Les formes aux patrons d’alternances

Les formes aux patrons d’alternances

Pour en finir avec la segmentation en radicaux et exposants Nous avons montré (section 1.3.3) qu’il était préférable de poser les questions de prédictibilité et de complexité dans les paradigmes flexionnels à l’échelle du mot plutôt qu’à celle du morphème. Pour déterminer les alternances entre formes, il semble intuitif de se reposer sur une segmentation catégorique des formes en unités plus petites, radicaux et affixes, comme le font entre autres Stump et Finkel (2013). Nous avons discuté dans la section 1.3.3 du chapitre 1 du fait que cela conduit à sous-estimer les similarités entre le comportement flexionnel des lexèmes. Mais le problème de ces segmentations est bien plus considérable. Nous montrons ici que la segmentation de formes en radicaux et affixes est bien plus complexe qu’il n’y paraît, et argumentons que le problème de l’exponence catégorique ne peut trouver de réponse satisfaisante.

Le problème technique de la Segmentation

Les segmentations en affixes et radicaux des formes flexionnelles paraissent souvent intuitives. À partir de formes de surface, il semble au premier abord suffire de retirer de chaque forme son radical pour obtenir un paradigme d’affixes sur lequel fonder une théorie des classes flexionnelles : c’est la stratégie de Carstairs (1987), pour qui le comportement flexionnel d’un lexème est manifesté par un paradigme d’affixes. On trouve rarement de description détaillée du processus nécessaire à l’inférence de ces segmentations. Comme nous l’avons mentionné dans la sous-section 1.2.4, il n’existe pas de procédure communément admise permettant d’inférer systématiquement des affixes à partir des paradigmes de formes, sans préconception sur les données, et de façon universelle, c’est à 2.1.

Pour en finir avec la segmentation en radicaux et exposants 75 dire applicables à toute langue sans préconception sur la nature des phénomènes morphophonologiques mis en jeu. C’est ce que Spencer (2012) nomme le P   S : Problème de la Segmentation : En général, pour n’importe quel mot complexe de n’importe quelle langue, il n’y a (apparemment) aucun moyen d’établir une segmentation de façon algorithmique. 2 Spencer identifie en fait deux problèmes distincts : d’une part, il s’agit d’un sujet peu étudié en lui-même ; d’autre part « lorsque l’on regarde la pratique des grammairiens, il apparaît clairement d’un examen superficiel des descriptions de langues morphologiquement complexes familières qu’il n’y a aucun consensus sur la segmentation même pour des langues extrêmement bien étudiées 3 ».

En effet, les descriptions de segmentations élaborées manuellement par les linguistes sont le fruit de séries d’arbitrages qui varient entre auteurs, entre traditions théoriques, et d’une langue à l’autre. Il existe bien des outils de segmentation non supervisée de formes de surface. Ceux-ci se fondent généralement sur l’optimisation de longueurs de description afin de fournir une segmentation économique des formes. C’est le cas de Linguistica (Lee et Goldsmith 2016) ou de certains programmes de la famille Morfessor (Virpioja et al. 2013 ; Grönroos et al. 2014). Cependant ces programmes ne sont pas capables d’inférer des segmentations spécifiquement flexionnelles, d’associer les segmentations opérées à des valeurs morphosyntaxiques (c’est à dire aux cases), de tirer parti de la structure paradigmatique, ou d’extraire des morphèmes discontinus. Ils ne permettent donc pas de segmenter des formes de paradigmes en radicaux et affixes, et ne sont pas utiles en présence de morphologie non-concaténative (Hammarström et Borin 2011, p. 68).

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Le problème de la segmentation catégorique

Afin de répondre à cette question, il nous faut déterminer comment juger de la qualité d’une segmentation. Nous proposons d’appeler   la segmentation des mots d’un paradigme flexionnel en deux sous-chaînes complémentaires, le  et l’, de telle façon à ce que le premier soit l’expression exclusive de l’identité du lexème et l’autre l’expression exclusive des traits morphosyntaxiques d’une case de paradigme. Une segmentation catégorique peut être jugée en fonction de sa conformité à cette définition : les radicaux doivent exprimer toute l’identité lexicale et seulement elle, et les affixes toute l’identité flexionnelle et seulement elle. Mais il arrive qu’un même matériel marque en partie l’identité lexicale et en partie des valeurs morphosyntaxiques. C’est le cas des formes supplétives, qui sont spécifiques à la fois à une case (ou quelques cases) et à un lexème. Dans une moindre mesure, il en va de même des 80 Chapitre 2.

Des formes aux patrons d’alternances allomorphes d’un radical : la présence d’un allomorphe dans une forme, même si sa distribution est parfaitement régulière, donne des informations permettant de reconnaître la case à laquelle elle appartient, puisque certaines cases ne présentent pas cet allomorphe. De façon symétrique, lorsqu’un système présente des classes flexionnelles, les marqueurs de ces classes portent une valeur lexicale, car ils ne sont communs qu’à certains lexèmes. Plus la classe de ces lexèmes est petite, et plus ces marqueurs portent d’information lexicale. Les éléments dits thématiques sont un cas par excellence de matériel ambigu : dire que le radical de  n’inclut pas la voyelle thématique /a/, c’est ignorer que dans dix cas sur douze, cette voyelle est présente dans les formes de ce lexème, et qu’elle ne peut donc que lui être fortement associée.

Cependant, dire qu’elle appartient aux radicaux revient à ignorer le fait que sa présence, comme les contrastes de longueur, contribue à l’expression casuelle. Il en va de même pour les verbes français du second groupe qui se caractérisent par un /s/ final à certaines personnes. Celui-ci fait partie de l’expression spécifique de ces lexèmes : en effet, eux seuls présentent une alternance du type fini/finis-, et celle-ci est systématique. L’identifier comme une allomorphie radicale permet d’analyser des affixes qui sont communs à la plupart des autres verbes du français (Boyé 2000 ; Bonami et Boyé 2003b). Pourtant, il est certain également que la présence de ce /s/ donne une indication sur la case du paradigme, puisqu’il n’est présent que dans 23 cases sur une cinquantaine. Par ailleurs, faire de cet élément une partie des affixes correspondants produit une analyse sans allomorphie radicale.

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