LES FONDS D’EPARGNE SALARIALE, INSTRUMENT DE CONTROLE DU CAPITAL
L‟épargne salariale se développe comme un mode de redistribution alternatif aux salaires, qui permet à l‟entreprise de bénéficier de nombreux avantages économiques et financiers, en particulier pour atteindre les niveaux de rentabilité exigée dans le cadre de la création de valeur pour l‟actionnaire. En effet, en plus d‟un statut fiscal et social très compétitif, les dispositifs d‟épargne salariale sont supposés présenter de nombreux avantages en matière de trésorerie et de financement. Ainsi, nous avons vu1 que l‟intéressement ou la participation semblent participer ou s‟inscrire dans une stratégie de maîtrise des liquidités en vue de maximiser la gestion de trésorerie. En revanche, l‟actionnariat salarié, malgré des avantages fiscaux et financiers, ne semble pas être une source de financement significative pour les entreprises, celles-ci continuant globalement à privilégier une gestion restrictive des fonds propres. Pourtant, l‟épargne salariale continue d‟être majoritairement investie en titres de l‟entreprise via des FCPE. Si les liquidités drainées via l‟épargne salariale vers l‟actionnariat salarié ne servent pas au renforcement des fonds propres de l‟entreprise, pour quel autre objectif sont-elles utilisées ?
Orienter l’Epargne salariale vers l’actionnariat salarié
une forme de contrôle du capital au service de l’enracinement les dirigeants Le développement de l‟actionnariat salarié est censé permettre aux salariés aussi bien de bénéficier d‟une partie de la création de valeur actionnariale, mais aussi de renforcer leur pouvoir au sein de l‟entreprise. En fait, l‟actionnariat salarié est souvent mis en place par les dirigeants (et encouragé par les pouvoir publics) dans une perspective de contrôle du capital visant à empêcher les prises de contrôle hostile par un concurrent. En effet, en raison du fonctionnement des dispositifs d‟épargne salariale, la direction de l‟entreprise est en mesure d‟orienter fortement les placements des salariés vers l‟actionnariat comme de contrôler étroitement les droits de vote associés aux titres détenus dans des FCPE ou de SICAV. Si les salariés sont en grande partie exclus du contrôle de leur épargne, les actionnaires sont aussi susceptibles d‟être lésés.
L’épargne salariale au service du contrôle du capital… par les dirigeants
L‟actionnariat salarié est parfois considéré comme un moyen pour les salariés de rééquilibrer en leur faveur les rapports de pouvoir au sein de l‟entreprise face au dirigeant et aux actionnaires1 . En fait, l‟actionnariat salarié sert souvent d‟arbitre ponctuel au conflit opposant dirigeants et actionnaires. En effet, lorsqu‟il y a séparation entre propriété et contrôle, il existe des divergences d‟intérêts entre les actionnaires et les dirigeants, ces derniers recherchant la maximisation de leur utilité individuelle (prestige, pouvoir, rémunération) y compris au détriment de la création de valeur pour l‟actionnaire. L‟actionnaire en tant qu‟apporteur de ressources financières attend de la firme une rémunération sous forme de dividendes ou de plusvalues. Si pour garantir que leurs intérêts seront respectés, les actionnaires doivent contrôler les actions du dirigeant, celui-ci va parallèlement essayer de se soustraire à ce contrôle. Il peut ainsi utiliser l‟actionnariat salarié comme un dispositif anti-OPA et déjouer le contrôle externe des actionnaires dans le cadre d‟une stratégie d‟enracinement. L‟actionnariat salarié est alors utilisé comme une forme de contrôle du capital de la société.
Les prises de contrôle : principale arme aux mains des actionnaires
Comme nous l‟avons déjà abordé dans le premier chapitre de ce travail, la firme est un lieu de coopération et de conflits. Ce problème prend différentes formes selon la structure de l‟actionnariat de la société. Dans le cas d‟un actionnariat dispersé, le pouvoir discrétionnaire du 1 Voir par exemple, AGLIETTA M. et REBERIOUX A. (2004), Dérives du capitalisme financier, Editions Albin Michel, 396 p. 241 dirigeant est important1 . En revanche lorsque l‟actionnariat est concentré, l‟actionnaire majoritaire assure le contrôle des dirigeants (qu‟il nomme et peut révoquer) le « conflit d‟agence » est réduit voir inexistant (confusion propriété/gestion) ; il peut éventuellement se déplacer et opposer l‟actionnaire majoritaire et les actionnaires externes2 . Les structures de contrôle se répartissent en deux catégories selon qu‟elles relèvent de procédures de contrôle interne (corporate governance) ou du contrôle externe (activisme des actionnaires, prises de contrôle)3 . Les prises de contrôle concernent aussi bien les firmes dont l‟actionnariat est dispersé mais aussi les firmes contrôlées par un actionnaire minoritaire. En théorie, la prise de contrôle constitue le recours ultime des actionnaires pour discipliner un dirigeant, c‟est à dire après épuisement des voies de contrôle internes de la corporate governance. Dans les faits, la menace et l‟exécution d‟une prise de contrôle hostile constituent le principal moyen de pression sur les dirigeants. En effet, dans une économie de marché financier le contrôle actionnarial est principalement vectorisé par le prix de l‟action4 . L‟actionnariat des sociétés étant dispersé, le contrôle a priori du dirigeant par les mécanismes traditionnels de gouvernance est rendu très difficile5 , d‟autant plus que les investisseurs institutionnels refusent bien souvent d‟assumer une responsabilité patrimoniale au sein des firmes dont ils sont actionnaires, privilégiant une logique d‟investissement en portefeuille.