S’APPROPRIER LES FONDAMENTAUX DE LA STRATÉGIE
Pour une entreprise, l’objectif stratégique est la création et le maintien d’un avantage durable par rapport à ses concurrents. L’entreprise qui aura besoin de manière pérenne d’une moindre consommation de ressources (souvent matérialisée par une position de coût favorable) pour fournir un service donné s’assurera une position favorable à long terme. Certes, une meilleure position de coût n’est pas le seul avantage compétitif d’une entreprise, mais il est certainement le plus déterminant, notamment dans les périodes de croissance. Or, le comportement des coûts dans l’entreprise sur longue période est prévisible (sous réserve des remarques émises plus loin) ; il obéit à un phénomène qui a été mis en évidence et formalisé en 1966 par Bruce Henderson, fondateur du Boston Consulting Group. La courbe d’expérience Ce phénomène, connu sous le nom d’« effet d’expérience » ou « courbe d’expérience », peut être résumé de la manière simple suivante : à chaque doublement du volume de production cumulée par une entreprise bien gérée dans la production d’un bien ou d’un produit clairement identifié, les coûts de production unitaires exprimés en monnaie constante de ce bien diminuent de 15 à 20 %. Cette baisse des prix et des coûts en fonction de l’accumulation d’expérience a été mise en évidence dans de nombreuses industries et secteurs : ce constat a une portée universelle et se remarque sur des périodes très longues. Les graphiques ci-dessous montrent plusieurs exemples de comportements de prix et de coûts, dans les services (téléphone) l’énergie (sables bitumineux et éoliennes) et dans l’industrie (mémoires dynamiques)1. À ce stade, l’hypothèse est faite que prix et coûts évoluent de la même manière à long terme :
Les raisons de ce phénomène Les raisons expliquant ce phénomène ont été clairement identifiées. Elles peuvent être regroupées en six grandes catégories :
• l’apprentissage ;
• la spécialisation ;
• l’investissement ;
• l’effet d’échelle ;
• le changement technologique ;
• la maîtrise du temps.
Dans chacune de ces catégories, tout ou partie des coûts baisse, qu’il s’agisse des coûts fixes, des coûts variables ou du coût d’utilisation des investissements.
L’apprentissage
L’apprentissage est un effet qui a été observé lors de la production d’avions pendant la Seconde Guerre mondiale : le taux de décroissance des coûts de main-d’œuvre par unité produite était en général de 10 à 15 % pour chaque doublement de volume cumulé. Cet effet est facilement compréhensible : plus on fait quelque chose, mieux on le fait. D’une manière pratique, cela signifie que l’on peut produire le même bien avec moins de temps ou que l’on peut en produire plus dans le même temps.
Ce phénomène est néanmoins complexe parce qu’il se matérialise dans l’entreprise aussi bien au niveau individuel qu’au niveau collectif ; il est connu que les entreprises qui licencient un personnel expérimenté pour faire face à un cycle de production bas mettent du temps à retrouver leur niveau de productivité antérieure quand elles recrutent du nouveau personnel. C’est une des raisons qui a pénalisé Boeing par rapport à Airbus de 1995 à 2005 ; le directeur des ressources humaines d’Airbus a indiqué en public (congrès HR 2003, Paris) que ce mode de gestion, pratiqué par British Aerospace, avait pénalisé le GIE Airbus au milieu des années 1990 par des délais de livraisons d’ailes plus longs et des coûts plus élevés. C’est aussi une des raisons, mais non la seule, qui explique l’écart de coût entre les constructeurs automobiles nord-américains et les constructeurs japonais qui produisent aux États-Unis : alors que Mitsubishi assemble un véhicule en 21 h 33 dans son usine de l’Illinois et que Nissan annonce un temps d’assemblage par véhicule de 15 h 74 dans son usine de Smyrna Tennessee, GM annonce un temps de 36 h 67, Ford de 39 h 95 et Chrysler 40 h 60 (source : FT 19/06/03).
Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises cherchent à capter de manière formelle cet effet d’apprentissage, notamment lors du départ à la retraite de collaborateurs de l’entreprise, en mettant en place des systèmes de génération et de conservation des connaissances.
La RATP a mis en place un système de rétention des expériences des conducteurs qui partent à la retraite. La transmission méthodique du savoir-faire des « anciens » aux « jeunes » est souvent la toute première étape de cette nouvelle science et compétence qu’on appelle la « gestion du savoir ».
La spécialisation
Lorsque les volumes augmentent, il devient possible de spécialiser tout ou partie du processus de production : la spécialisation permet ainsi de diminuer de 10 à 15 % le temps nécessaire pour produire une unité ou d’augmenter de 10 à 15 % le nombre d’unités produites dans un temps donné. L’avantage de coût de l’entreprise japonaise provient principalement d’une focalisation de la production sur un nombre réduit de familles de produits. Sony, leader mondial de la production de produits électroniques grand public, a connu un affaissement fort de sa marge au début des années 2000. Afin de la rétablir, le groupe s’est engagé dans un vaste programme de réductions de ses coûts. L’un des éléments les plus spectaculaires de ce programme était la focalisation sur un nombre réduit de composants : celui-ci est passé de 840 000 à 100 000, dont 20 % propres à Sony, les 80 % restants étant des composants standards utilisés par les autres fabricants. Une réduction forte du nombre de fournisseurs, passés de 4 700 à 1 000 était aussi au programme. À l’inverse, la dispersion est toujours coûteuse. Encore faut-il être capable de la mesurer et de comprendre et saisir les coûts réels affectés à un produit. Une étude menée au sein d’une usine sur une ligne de produits générant environ 10 millions d’euros de ventes annuelles a montré que 23 % des produits réalisaient 85 % des ventes, une situation probablement caractéristique de nombreuses lignes de production. De manière plus surprenante peut-être, il s’est avéré que ces 23 % de produits réalisaient 400 % du résultat de l’usine, après réallocations des coûts indirects, des amortissements et des coûts de stocks. Les 77 % de produits restants perdaient de l’argent et ne couvraient pas les frais généraux nécessaires à leur production. L’analyse stratégique des coûts a révélé que ces produits de petits volumes avaient en réalité une marge brute négative et pénalisaient fortement les produits qui représentaient le cœur de l’activité. La spécialisation a de la valeur, la dispersion a un coût.