Les Fluides Supercritiques
La notion de « point critique » est apparue au XIXème siècle. En 1822, le physicien Cagnard de La Tour (1777-1859) (Cagnard de La Tour, 1822) découvre l’existence du point critique d’un corps pur en réalisant une expérience consistant à placer une bille métallique dans une enceinte fermée remplie d’alcool. Il observa qu’à partir d’une certaine température correspondant à la disparition de l’interface liquide-gaz, cette bille pouvait se déplacer presque sans résistance. Thomas Andrews (1813-1885) confirme l’existence de cette température critique lorsqu’il réalisa des expériences sur les transformations du CO2 entre 1861 et 1869 (Andrews, 1870). Mendeleïev (1834-1907) appela cette température : « température d’ébullition absolue ». Il mena une expérience consistant à placer et chauffer des liquides dans des tubes capillaires. Il observa qu’au-delà d’une certaine température, les liquides ne montaient plus dans les tubes et que les ménisques caractérisant l’interface liquide-gaz disparaissaient. Il conclut ainsi qu’à cette température, la phase liquide et la phase gaz avaient les mêmes propriétés. Les premiers travaux réalisés sur des mélanges binaires furent menés par Kuenen et Robson (1899). Ils étudièrent l’évolution des équilibres de phases de mélanges binaires constitués d’un composé dit « » tel qu’un alcool (éthanol, propanol et butan-1-ol) et d’un composé dit « léger » tel qu’un hydrocarbure (éthane). Ils ont ainsi constaté que la phase dense du mélange disparaissait sous l’effet de l’augmentation de la pression dans une gamme restreinte de température au-dessus de la température critique de l’éthane. Par ailleurs, ils ont constaté que cette phase dense réapparaissait par diminution de la pression, découvrant ainsi le phénomène de « condensation rétrograde ».
Une définition courante d’un fluide supercritique (FSC) est celle d’un fluide porté à une pression et une température au-delà de son point critique. Les coordonnées critiques des corps purs s’élèvent d’une manière générale avec l’augmentation de la taille des molécules. Le Tableau 1.1 rassemble les coordonnées critiques de quelques corps purs. Comme il est exposé dans le Tableau 1.2., les fluides supercritiques sont à la fois denses et compressibles puisqu’ils présentent des propriétés thermophysiques intermédiaires entre celles des liquides et celle des gaz. Ainsi, ils ont une densité voisine de celle d’un liquide leur conférant ainsi un bon pouvoir solvant et en termes de transfert de matière, ils possèdent des caractéristiques proches de celles des gaz telles que la viscosité. En effet, l’état des molécules au voisinage du point critique est caractérisé par une concurrence entre un système ordonné lorsque les forces intermoléculaires sont prépondérantes (comme à l’état liquide) et un système dispersé lorsque l’énergie cinétique d’agitation des molécules est prédominante (comme à l’état gazeux).
Enfin, les fluides supercritiques présentent une particularité du point de vue de l’importante variabilité de leurs propriétés autour du point critique comme la masse volumique, la densité, la solubilité, la viscosité et le facteur de compressibilité, qui sont très sensibles aux variations de pression et de température. Les fluides supercritiques ont une densité se rapprochant de celle des liquides, qui varie très sensiblement autour du point critique (et pour P > PC) pour de faibles variations de la pression et de la température (Figure 1.3.) : on les qualifie ainsi de fluides « à géométrie variable ». En outre, les valeurs élevées de masses volumiques leur confèrent un bon pouvoir solvant. La viscosité des fluides supercritiques est légèrement supérieure à celle des gaz mais plus faible que celle des liquides (Tableau 1.2.). Ainsi une faible valeur de viscosité favorise le transfert de matière par une meilleure pénétration dans le milieu et permet de diminuer l’apport énergétique nécessaire pour déplacer le fluide. Par ailleurs, on observe d’importantes variations de viscosité au voisinage du point critique (et pour P > PC).
Le transfert de matière dépend également d’une autre propriété : la diffusivité. Elle augmente avec la température mais diminue pour une élévation de pression, entraînant ainsi une augmentation de la densité qui limite le transfert de matière. Par ailleurs, en raison de leur faible viscosité et de leur diffusivité plus élevée que celles les liquides, les fluides supercritiques présentent un bon intérêt pour des applications telles que l’extraction, le traitement des solides (imprégnation et micronisation), les synthèses organiques et la chromatographie. En raison d’une densité élevée, les fluides supercritiques favorisent la solubilisation d’une solution de par les interactions solvant-soluté dues à la proximité des molécules. Ainsi, en influant sur les conditions de pression et de température, on parvient à adapter le pouvoir solvant des fluides supercritiques en fonction de l’opération envisagée. De plus, le pouvoir solvant dépend également de la nature chimique du soluté, caractérisée par la polarité, l’acidité, la volatilité et d’autres propriétés physico-chimiques. Dans le cas par exemple du CO2, en ajoutant un cosolvant polaire (acétone, méthanol, éthanol…), on parvient à modifier le pouvoir solvant du fluide supercritique et à améliorer la solubilité d’un soluté polaire (liquide ou solide) en phase supercritique. Cette technique est donc moins « propre » du fait que certains fluides supercritiques comme le CO2 perdent partiellement leur non-toxicité mais il s’avère que certains de ces co-solvants comme l’éthanol présentent une toxicité réduite.