Les fleurs bleues
«Le vingt-cinq septembre douze cent soixante-quatre, au petit jour, le duc d’Auge se pointa sur le sommet du donjon de son château pour y considérer, un tantinet soit peu, la situation historique.» Il se parle à lui-même, et parle aussi à son «percheron favori», Sthène, qui lui répond. Il veut qu’il l’emmène loin de la boue qui est faite de «fleurs bleues». Vêtu de son armure, il fait abaisser le pont-levis pour quitter son château féodal, aller vers la «ville capitale» y présenter son «feudal hommage au saint roi Louis neuvième du nom», en compagnie de son page, Mouscaillot qui, lui, est monté sur un autre cheval, Stéphane. Mais le duc s’endort, et surgit… Cidrolin, qui habite «une péniche amarrée à demeure» près de Paris, appelée «l’Arche». Venant de se réveiller, il se parle aussi à lui-même ; il a fait un rêve où il était sur un cheval, et cherche une explication. Sa fille, Lamélie, lui sert un repas «pas fameux», et il s’exclame : «Encore un de foutu». Puis il s’endort… Et on revient au duc d’Auge qui se trouve près des murailles de «la ville capitale» où il vient voir «les travaux à l’église Notre-Dame». Il a rêvé qu’il a fait un mauvais repas, mais mange superbement. On apprend qu’il habite Larche près du pont.
La péniche étant amarrée près d’un «camp de campigne pour campeurs», Cidrolin est réveillé par «deux nomades», qui s’adressent à lui dans un mélange de mots de langues étrangères. Il leur offre de «l’essence de fenouil», sa boisson favorite. À peine sont-ils partis, qu’il ne se souvient plus d’eux, et s’endort à nouveau.On apprend que le duc avait une femme qui est morte et lui a laissé des triplées. À Paris, il se trouve auprès du «saint roi» Louis IX qui veut mener une huitième croisade, et se rendre à Carthage. Mais le duc s’y refuse ; aussi «manants, artisans et borgeois» lui lancent-ils des tomates pourries et une pluie d’insultes. Dégainant son «braquemart», il «en occit quelques dizaines». Puis il prend un bain et s’y endort. Cidrolin s’intéresse aux travaux de construction d’un immeuble effectués en face de chez lui, vérifie que sa clotûre n’est souillée d’aucun graffiti, et constate que son repas est, une fois de plus, «foutu». Il n’arrive pas à suivre une conversation normale avec un passant. À l’auberge, le duc se voit offrir du «bortch», demande une «liqueur ecphratique, de l’essence de fenouil par exemple». Comme un palefrenier est venu dire que le cheval du duc parle, il lui faut fuir l’auberge à la porte de laquelle une foule s’en prend à lui à cause de son refus d’aller à la croisade : «dégainant son braquemart pour la seconde fois», il «occit deux cent seize personnes, hommes, femmes, enfants et autres ».
Cidrolin est réveillé par une acerbe et harmonieusement musclée campeuse canadienne à laquelle il indique le chemin du camping proche de sa péniche, tout en la questionnant sans mettre «d’ire au quoi». Puis il se rendort. Le duc écoute la messe, puis s’entretient, à coups de «gnons», avec l’abbé Onésiphore Biroton, des rêves, du langage des animaux et de «l’histoire universelle en général». Le duc rêve souvent qu’il est sur une péniche et qu’il fait une sieste, qu’il voit des «houatures», ce qui fait que, pour en parler, il «néologise». Cidrolin, qui, avec d’autres badauds, observe la variété des campeurs peuplant le camping, se fait traiter d’«emmerdeur», et constate que «sur la clôture et le portillon [qui donne accès à sa passerelle] des inscriptions injurieuses avaient été barbouillées».Cidrolin et Lamélie reçoivent ses autres filles, Sigismonde et Bertrande, et leurs maris, Lucet et Yoland. Ils boivent de «l’essence de fenouil». L’un d’eux s’étonne que Cidrolin n’ait pas la «tévé» car «les actualités d’aujourd’hui, c’est l’histoire de demain». Mais la discussion tourne en rond, et, comme l’un des gendres fait allusion au «milieu» où Cidrolin vient de vivre, celui-ci, prétextant vouloir faire sa sieste, leur fait comprendre qu’ils doivent partir.
Le duc se réveille et constate l’absence de l’abbé Biroton, qui est sans doute au concile de Bâle. Déçu par «la situation historique», il confie à son «queux» sa volonté d’obtenir de «Charles septième du nom» la libération du «noble seigneur Gilles de Rais» avec lequel il a «pourfendu tant de Godons sous le commandement de Jehanne la Pucelle». Il se rend à Paris, monté sur Sthène, qui récite un rondeau de Charles d’Orléans, tandis que Mouscaillot est sur Stèphe.Pour se défendre contre «les compagnies royales de sécurité», le duc a acquis des canons dont il fait l’essai sur l’abbé Biroton et le diacre Riphinte, les effrayant fort. Ils annoncent l’échec de la conjuration, le duc «restant seul en face du roi de France, en état de rébellion ouverte». Mais il est heureux, car il a trouvé pour ses trois filles, Phélise, Pigranelle et Bélusine, les gendres «les plus cloches parmi les cloches» : le sire de Ciry, le comte de Torves et le vidame de Malplaquet. Comme il a tiré l’oreille de l’abbé Biroton, celui-ci, indigné, lui brûle la main, le menace d’excommunication, exige et obtient qu’il lui demande pardon. Cidrolin, après s’être assuré que «clôture et portillon sont vierges de tout graffite», prend l’autobus «qui le mène vers le centre de la ville capitale». Il y entre au «bar Biture» dont le patron a une casquette minutieusement décrite. Cidrolin regarde le reflet d’un tableau : ‘’L’Hercule mourant’’ de Samuel-Finlay-Breese Morse, et il ne manque pas de prendre de «l’essence de fenouil». «C’est alors qu’entre Albert»…