Les fibres végétales au papier

Composition des fibres végétales

La cellulose, les hémicelluloses et la lignine sont les trois principaux biopolymères constituant les fibres végétales, représentant à eux seuls généralement plus de 80 % de sesconstituants chimiques (Tableau 1.1). Leurs proportions varient sensiblement selon la sourcede la fibre. Ainsi, la lignine est en moyenne beaucoup plus abondante dans le bois que dans les fibres du lin, du chanvre, et elle est absente de la graine du coton.
La Figure 1.1 montre une représentation schématique d’une fibre de bois. Toute fibre végétale contient un canal central appelé lumen, délimitant une paroi cellulaire. Cette dernièreest composée de plusieurs couches : la lamelle moyenne (ML, « Middle Lamella »), la paroi primaire (P), et la paroi secondaire (S), elle-même définie par trois sous-couches S1, S2 et S3.
Les microfibrilles cellulosiques de la paroi primaire sont disposées de façon aléatoire, alors qu’elles sont arrangées de façon plus ordonnée dans la paroi secondaire, en enroulement à des angles différents par rapport à l’axe de la fibre selon la sous-couche considérée. La sous-couche S2, la plus épaisse, présente l’angle le plus petit, et détermine les propriétés mécaniques de la fibre (Salmén 1985; Pereira et al. 2015). La lamelle moyenne, quant à elle, sépare et relie les différentes fibres végétales.

La cellulose

La cellulose (Figure 1.2a) est la principale biomolécule constituant le papier. Présente danstoutes les parois végétales, il s’agit du biopolymère le plus abondant sur Terre, représentant 35% à 55 % de la biomasse lignocellulosique (Zhou et al. 2016). C’est un polysaccharide biosynthétisé àpartir d’un seul type d’ose, le β-D-glucopyranose (Figure 1.2b). Les résidus deglucose sont reliés entre eux par des fonctions acétal, du fait de la liaison covalente entre le OHéquatorial du C4 d’une unité, et le C1 d’une autre unité. On parle de liaisons glucosidiques detype β-(1→4). Leur configuration anomérique fait que chaque résidu consécutif est orienté à 180° par rapport à l’autre. Les unités anhydroglucose assemblées forment ainsi une longuechaîne linéaire. Dans la nature, le degré de polymérisation (DP), défini comme le nombred’anhydroglucoses de la cellulose, se situe entre plusieurs centaines et plus de 10 000 (Zhou etal. 2016). Le cellobiose (Figure 1.2c), disaccharide composé de deux résidus de β-Dglucopyranose,est le motif répétitif de la cellulose. Enfin, la cellulose native comporte un groupe terminal constitué d’un groupe C4-OH (groupe non réducteur), et à l’autre extrémité dela chaîne, un groupe C1-OH (groupe réducteur) qui est en équilibre avec une structure aldéhyde (en présence d’eau) (Figure 1.2a).

Les hémicelluloses

Les hémicelluloses constituent entre 20 et 35 %m de la biomasse lignocellulosique (Zhou etal. 2016), et sont la deuxième catégorie de polymères naturels la plus abondante dans les fibres,après la cellulose. Présentes dans toutes les couches constituant la fibre végétale, les hémicelluloses sont des polysaccharides entourant les microfibrilles cellulosiques etinteragissant avec elles essentiellement via des liaisons hydrogène (Ishii and Shimizu 2001).Comparativement à la cellulose, leurs DP sont bien plus petits, de l’ordre de 100 à 200 (Areaand Cheradame 2011; Zhou et al. 2016). Ce sont des copolymères amorphes, linéaires ouramifiés, constitués notamment de cinq monosaccharides : le D-glucose, le D-mannose, le Dgalactose et le D-xylose sous leurs formes pyranoses (hexoses), et le L-arabinose sous sa forme furanose (pentose) (Figure 1.4). Les acides uroniques (oses portant un acide carboxylique par l’oxydation du carbone C6) entrent également dans leur composition (Ebringerová et al. 2005;Zhou et al. 2016, 2017).

La lignine

Molécule largement associée au bois, la lignine est un polyphénol de structure complexe, formant un réseau tridimensionnel avec la cellulose et les hémicelluloses au sein de la fibre végétale (Area and Cheradame 2011). Elle est associée aux polysaccharides par desliaisonsglycosidiques, éther ou ester. Macromolécule amorphe et hydrophobe, la lignine confère de larigidité et de la résistance mécanique aux parois cellulaires (Pereira et al. 2015). La lignine est particulièrement abondante dans les lamelles moyennes : elle constitue environ 50 %m de la massetotale du bois, contre environ 20 %m de leur paroi secondaire (Adler 1977; Chen 2014).La lignine est biosynthétisée à partir de trois monolignols : l’alcool paracoumarylique,l’alcoolconiférylique et l’alcool sinapylique (Figure 1.6), qui correspondent aux unités phydroxyphénylpropane (H), guaïacylpropane (G) et syringylpropane (S) constituant le biopolymère. La différence entre les trois précurseurs est le nombre de groupes méthoxy sur le noyau aromatique (0, 1 et 2, respectivement). La proportion des trois précurseurs varie selonl’origine de la fibre (Tableau 1.2). Par exemple, la lignine du bois de résineux est constituée à 95 % d’unités G, tandis que celle du bois de feuillus contient des quantités équivalentes d’unités S et G (Pandey 1999; Dorrestijn et al. 2000; Sakakibara and Sano 2001; Brunow and Lundquist 2010). De ce fait, la lignine de bois de feuillus contient davantage de groupes méthoxy que celle de bois de résineux.

Autres composants

Outre la cellulose, les hémicelluloses et la lignine, les fibres végétales contiennent, en moindres quantités, d’autres composés organiques, qui sont solubilisés dans les liqueurs de cuisson lors de la mise en pâte. Les pectines, polysaccharides acides dont le constituant principal est l’acidegalacturonique, font partie de ces composés, ainsi que des protéines et des molécules organiques de plus faibles poids moléculaires dits « extractibles ». Ces derniersregroupent des glucides, des cires, des graisses, des terpénoïdes (incluant les résines naturelles),ou encore des dérivés phénoliques (dont des lignanes, c’est-à-dire des composés constituésd’unités phénylpropane, des tanins, et des flavonoïdes) (Lai 2001; Cael 2018). Dans le bois, laquantité de composés extractibles est généralement de l’ordre de 5 à 10 % (Lai 2001).
Enfin, des minéraux, appelés aussi cendres car ils constituent la matière restante aprèsincinération et élimination des composés organiques, sont aussi présents dans les fibres. Ilspeuvent représenter jusqu’à 4 % de la composition du bois (Baeza and Freer 2001). Les principauxminéraux contenus dans les fibres végétales sont le potassium, le calcium, le magnésium, le sodium, le silicium, ou encore les phosphates.
Ainsi, les fibres végétales sont constituées de diverses substances. Parmi celles-ci, la cellulose est le matériau de base du papier. En outre, comme nous allons le voir, la composition du papier dépend du procédé de mise en pâte et de l’ajout d’additifs.

La mise en pâte

Qu’elle soit obtenue à partir de chiffons ou de bois, la pâte à papier est produite en désolidarisant les fibres cellulosiques les unes des autres, sans trop les dégrader. Dans le cas des pâtes de bois, ce processus est réalisé soit par voie mécanique, soit par voie chimique. Selon le procédé, le degré de purification de la pâte varie, notamment du fait de l’élimination ou non de la lignine présente dans les fibres.

Les pâtes de chiffon

En Europe, entre le XIIIe et la première moitié du XIXe s., la fabrication des pâtes était principalementréalisée dans les moulins (fonctionnant à l’énergie hydraulique). Le chiffon, quiconstituait la matière première essentielle du papier (Biasi 1999), était obtenu à partir de vieillestoiles usagées (de lin ou de chanvre) collectées par les chiffonniers. Après avoir été délissées(c’est-à-dire, débarrassées de leurs coutures et triées (Diderot 1765)), les lambeaux découpésaudérompoir étaient fermentés dans l’eau pendant plusieurs semaines dans des cuves appeléespourrissoirs. La matière obtenue était ensuite introduite dans des piles remplies d’eau et défibrée par écrasement à l’aide de maillets armés de clous (Figure 1.9). Ce « défilage » permettaitl’obtention de la pâte, qui était ensuite raffinée en la battant dans d’autres piles équipées demaillets cloutés plus tranchants, aboutissant à une pâte plus homogène.

Les pâtes mécaniques

Les pâtes mécaniques désignent toute pâte obtenue à partir d’une opération mécanique de défibrage du bois, éventuellement en présence de composés chimiques. Les procédés mis enœuvre ne permettent pas d’éliminer la lignine des fibres, et la composition chimique de la pâteest proche de celle du bois d’origine. Cette pâte est de qualité médiocre, de faible résistance, etjaunit fortement avec le temps. Toutefois, son faible coût de production, son opacité et son rendement élevé (supérieur à 90 % (Petit-Conil 1999)), en font une matière incontournable pourles papiers de consommation courante à courte durée de vie, notamment le papier journal, le papier magazine, ou encore les cartons. Il existe divers procédés d’obtention de la pâte mécanique :
➢ La pâte mécanique de meule (GWP, Ground Wood Pulp) : ce procédé de défibrage a été mis au point en 1846 par l’inventeur allemand Henri Voelter, avant de se généraliser dansles années 1860 (Biasi 1999). Des rondins de bois écorcés sont râpés en présence d’eau dansune grosse meule (Figure 1.10). Les frottements entre les rondins et la meule génèrent de la chaleur qui permet de ramollir la lignine et de séparer les fibres cellulosiques. Le défibrage s’effectue à pression atmosphérique ou sous haute pression.

Les pâtes chimiques

Les pâtes chimiques sont obtenues par cuisson des substances fibreuses en présence de composés chimiques, dans des grandes cuves appelées lessiveurs. L’intérêt de ces procédés est de dépolymériser ou de solubiliser une grande partie de la lignine afin de l’éliminer plus facilement, sans trop dégrader les fibres cellulosiques. Cependant, les pâtes chimiques présentent des coûts plus élevés de production et des rendements plus faibles (entre 45 % et 55% (Petit-Conil 1999)) que les pâtes mécaniques. De ce fait, de nombreux papiers datant de la fin XIXe s. – début XXes. sont fabriqués à partir de mélanges des deux types de pâtes. Il existe deux principaux procédés de production de la pâte chimique : le procédé au bisulfite et le procédé kraft.

Le procédé au sulfate (ou procédé kraft)

Exploité depuis les années 1880 (Biasi 1999), ce traitement chimique est depuis les années 1940 le plus répandu pour la fabrication du papier (Axegård 2019). Il est appliqué à la fois auxbois de résineux et de feuillus. Les copeaux sont chauffés en présence de NaOH et de Na2S à140 – 170 °C pendant 1 à 2 h (Gellerstedt 2001). La dépolymérisation de la lignine s’effectueprincipalement via des ruptures des liaisons β-aryl au sein des unités structurales β-O-4(Gellerstedt 2001) (Figure 1.12). Ce procédé conduit à des fragments de masses faibles solublesdans la liqueur de cuisson. Comme pour le procédé au bisulfite, la cellulose et les hémicelluloses sont aussi dégradées, cette fois via des réactions de « peeling » et d’hydrolyse alcaline (cf §2.3) (Gellerstedt 2001). Les pâtes obtenues sont brunâtres, du fait de la formation de quinones et autres systèmes conjugués (Gellerstedt 2001; Arnoul-Jarriault 2015), mais elles sont plus résistantes que celles obtenues avec le procédé au bisulfite car les fibres cellulosiques isolées sont de meilleure qualité.

Le blanchiment

La pâte chimique obtenue au terme de la cuisson est dite écrue (relativement claire, mais pas tout à fait blanche), cela étant dû à la présence de jusqu’à 5 % de lignine résiduelle (Gellerstedt 2001). Pour acquérir sa pleine blancheur, elle doit subir un traitement de blanchiment. Au XIXe s. et durant la première moitié du XXes., les dérivés chlorés, tels leshypochlorites de calcium (Ca(OCl)2) et de sodium (NaOCl, ou eau de Javel actuelle), étaientles agents de blanchiment des pâtes bisulfites les plus utilisés, avec le dichlore et le dioxyde dechlore à partir des années 1920 (Torén and Blanc 1997). La lignine résiduelle est plus difficile à extraire des pâtes kraft, qui nécessitent plus d’étapes de blanchiment. Celles-ci n’ont été réellement mises en œuvre qu’à partir des années 1940 (Gellerstedt 2001).La réactivité du dichlore et du dioxyde de chlore avec la lignine est schématisée sur la Figure 1.13. Les réactions de substitution sur les noyaux aromatiques par le dichlore sont les plusimportantes (Biermann 1996), et entraînent des scissions de chaînes qui facilitent l’extraction de la lignine résiduelle. Le blanchiment avec le ClO2 correspond à l’oxydation de la lignine qui induit l’apparition de groupes carboxyle, transformés en carboxylates en milieu aqueux alcalin qui rendent la lignine soluble et donc éliminable par extraction (Gellerstedt et al. 1995; Biermann 1996).
Du fait de la toxicité des composés organochlorés et de leur effet néfaste sur l’environnement, des méthodes multi-stades sont développées depuis les années 1970 pour blanchir la pâte sans dichlore gazeux (séquences ECF, Elemental Chlorine Free, les plus utilisées à l’heure actuelle), voire sans composé chloré (séquences TCF : Totally ChlorineFree). Ainsi, alors que le dioxyde de chlore est couramment exploité lors des séquences ECF(Gellerstedt 2001), il est exclu des séquences TCF. L’oxygène moléculaire, le peroxyde d’hydrogène, le FAS (Formamidine Sulfunic Acid) et l’ozone font partie des agents de blanchiment non chlorés utilisés dans l’industrie papetière.
Alors que le blanchiment des pâtes chimiques consiste à en retirer la lignine résiduelle, cettedernière n’est que structuralement modifiée lors de celui des pâtes mécaniques. En effet, le blanchiment consiste alors à détruire les systèmes conjugués de la macromolécule qui sont responsables de sa couleur. Dans l’industrie papetière contemporaine, cette opération est notamment effectuée avec le peroxyde d’hydrogène et l’hydrosulfite de sodium (Gellerstedt 2001).

La fabrication de la feuille

Principe

Une fois la pâte obtenue, elle est mise en forme pour obtenir la feuille de papier. Jusqu’au XIXe s., les feuilles étaient fabriquées à la main. Délayée dans l’eau tiède, la pâte était puiséedans une cuve à l’aide d’une forme, c’est-à-dire un réseau serré de fils en laiton (appelésvergeures) sur un support de bois, permettant d’obtenir la feuille (Figure 1.14). Séparées par des feutres, les feuilles obtenues étaient placées sous presse afin d’en extraire l’eau, puisdétachées. Elles étaient ensuite mises à sécher dans des salles aérées des moulins appelées étendoirs. La solidité mécanique du papier est assurée par la formation de liaisons hydrogène entre les différentes fibres de cellulose lors du séchage (Ek et al. 2009).

Les charges

En papeterie, les charges sont des minéraux introduits pour améliorer les propriétés optiques(blancheur, opacité) et l’imprimabilité des feuilles. Les plus couramment utilisées sont le kaolin(argile blanche composée principalement de kaolinite de formule Al2Si2O5(OH)4), le carbonate de calcium (CaCO3), le talc (Mg3Si4O10(OH)2), le gypse (CaSO4.2H2O), ou encore le dioxydedetitane (TiO2). En Europe, le kaolin était la charge la plus utilisée pour les papiersd’impression jusqu’aux années 1960, période à partir de laquelle le carbonate de calcium devintmassivement exploité (Hubbe and Gill 2016). Aujourd’hui, la plupart des papiers d’impression contiennent du CaCO3, base de Brønsted leur conférant de l’alcalinité (Williams 1981; Zeronian et al. 1989; Ahn et al. 2011; Banik and Bruckle 2011).Peu coûteuses, les charges peuvent représenter jusqu’à 30 % de la masse d’une feuille depapier (Hubbe and Gill 2016). Elles sont directement incorporées dans la pâte (charges de masse), ou bien ajoutées en surface lors du couchage du papier (charges de couchage), de sonenduction ou de son collage (presse encolleuse).

Les produits de collage

Comme mentionné précédemment, le papier est un matériau hydrophile et poreux. Suivant l’application souhaitée, il peut donc être nécessaire d’augmenter son imperméabilité à l’eau.
Pour cela, des produits de collage sont appliqués sur la surface de la feuille (encollage) ou dans la masse lors de la production de la pâte. La nature de ces additifs a considérablement varié au cours du temps.

L’encollage des papiers artisanaux

Entre le XIVe s. et le XIXe s. (Hunter 1978; Biasi 1999), en Europe, la gélatine a été le principalproduit de collage utilisé en papeterie. Elle remplaçait alors les colles d’amidon de riz ou de blé précédemment exploitées par les Asiatiques et les Arabes (Hunter 1978; Biasi 1999).
La gélatine, produit de dénaturation du collagène, protéine animale la plus abondante, est obtenue en faisant bouillir des morceaux de peau et d’os. Le procédé consistait à immerger rapidement unepoignée de cent à deux cents feuilles dans un bain aqueux de gélatine maintenu à environ 40 °C,puis à les presser pour retirer l’excédent de colle. Après séchage, les feuilles étaient mises une dernière fois sous presse, avant d’être séchées puis lissées.
A partir du XVIes., il était courant d’ajouter de l’alun dans le bain de gélatine, afinnotamment de préserver la colle de sa biodégradation, de la rendre moins visqueuse, et depermettre un meilleur accrochage de la gélatine sur les fibres du papier (Dupont 2002; Banikand Bruckle 2011). L’alun avaitalors pour formule KAl(SO4)2.12H2O (alun « romain » ou « deroche »). Par la suite, l’alun « de papetier », de formule Al2(SO4)3.18H2O (Banik and Bruckle2011), a été couramment utilisé à partir du XIXes., concomitamment à l’émergence de l’industrie papetière. Peu coûteux, ce dernier était extrait de la bauxite. Cela était notammentréalisé avec de l’acide sulfurique, qui peut parfois être présent dans le papier sous formerésiduelle et contribuer à son acidité.

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