LES FEMMES DANS LA GESTION DÉCENTRALISÉE DES RESSOURCES NATURELLES
Le féminisme et le courant de pensée « Femme et Développement »
Le féminisme et le développement sont deux concepts qui ont fait l‟objet de plusieurs débats.Nous essayerons de voir d‟abord les courants de pensée féministe, ensuite de comprendre la manière dont s‟est passée l’internationalisation de la cause féminine et enfin son rapport avec le développement. Selon Jeanne Bisilliat (1997), le féminisme est un «système d’égalité entre les sexes à la fois politique, économique et social»23. Pour Patricia Maguire (1984) : « C‟est un mouvement ayant pour objectif l’équité et la libération des femmes à travers l’anéantissement de toutes formes d’oppression structurelle ou personnelle basée sur le genre, la race et l’ordre économique international »24 . 23Jeanne Bisilliat, 1997, « Luttes féministes et développement une double perspective historique et épistémologique » in Face aux changements : les femmes du sud, Harmattan.Les féministes sénégalaises à l‟instar de FatouSow (1994) définissent le féminisme comme « la base de cette nouvelle prise de conscience et de la résistance culturelle à toutes les formes de domination » . Ces diverses définitions montrent que le féminisme fait paraître diverses connotations qui peuvent s‟expliquer pour une large mesure par les différences de contexte dans lesquels se trouvent les auteurs. Si pour Bisilliat (1997), il décrit l’égalité pour les femmes, pour Maguire (1984), c‟est un outil d‟égalité et de libération des femmes. Pour FatouSow (1994), c‟est avant tout, un outil de conscientisation et de lutte contre l’oppression féminine. Compte tenu des différentes interprétations de ce concept, Barbara Arneil (1999) annonce la difficulté à le cerner et à le définir de manière précise et exhaustive. En effet, dans sa forme actuelle, le féminisme est non seulement complexe car nourri par différentes théories, mais également multiforme puisqu‟il est fondé sur différentes écoles de pensées26. Francine Déscarries-Bélanger (1988), énumère trois courants centraux : – le féminisme égalitaire ; – le féminisme radical ; – le féminisme de gémellité ; – Auxquels il faut ajouter deux autres tendances : le féminisme néo-conservateur et le féminisme séparatiste lesbien27 . Cependant, cette pluralité de courants n‟englobe pas toutes les catégories de discours féministes. C’est pourquoi nous confirmons les propos de Sarr(1997) : 25FatouSow, 1994, L‟analyse de genre et les sciences sociales en Afrique, Dakar, Texte ronéotypé. « Le problème des typologies est leur propension à enfermer dans un cadre rigide des théories aux contours larges »28 . Autrement dit, les catégorisations ouvrent la voie au réductionnisme des courants de pensée. La logique d‟Arneil (1999) semble résoudre ce problème. En effet, contrairement aux typologies qui consistent à classifier des théories dans des catégories prédéfinies, Arneil (1999) a préféré distinguer trois vagues d’évolution du féminisme: – La première, dont l’articulation est influencée et déterminée par le libéralisme économique, est selon Arneil (1999), située entre la fin du XIXième siècle et le début du XXième siècle ; – La deuxième, unifiée autour de la dichotomie publique/privée, production/reproduction, homme/femme, a comme objectif dominant, la considération des femmes sur une base légaliste, dans les sphères politique et économique ; – La troisième, née dans les années 1990, transcende et concilie les différences individuelles et fait place à l’unité, à la coalition et aux différences identitaires remettant ainsi, les dualités traditionnelles public/privé, homme/femme, production/reproduction en cause29. Plus globalisante, elle intègre l’engagement politique, accepte la contradiction, la multiplicité et le recentrage des rapports du genre à l’environnement dans les débats et les recherches féministes comme force du féminisme. Parmi les différentes vagues de féministes, trois ont influencé le tiersmonde: – la vague libérale; – la vague radicale;- la vague postmoderniste. Nous nous intéresserons dans notre recherche à ces trois vagues puisqu‟elles sont celles qui, à notre avis, décrivent le mieux le féminisme au Sénégal. En effet, la vague féministe libérale est enracinée dans des idéaux d’égalité des chances et de liberté qu’elle prône pour l’ensemble des composantes sociales à travers une réforme du système patriarcal. Le féminisme libéral blâme le système patriarcal à travers sa perception des femmes comme des êtres biologiquement inférieurs. Du fait de sa revendication d’un traitement égalitaire entre les hommes et les femmes, il a marqué plusieurs mouvements de féministes. Mais au Sénégal, ce féminisme s‟est développé lentement car les revendications et les modalités d‟action se heurtaient aux particularités culturelles et socio-économiques. Par ailleurs, dans le contexte du tiers-monde encore intolérant à l’endroit d’éventuels changements du statut de la femme, le féminisme est considéré comme un mimétisme idéologique occidental visant le démantèlement du système patriarcal au profit d‟une domination féminine. La faiblesse du discours féministe libéral réside dans son incapacité à convaincre les leaders d’opinion de son bien-fondé. La vague féministeradicale quant à elle, dénonce l’appropriation et l’exploitation des femmes par les structures de production économique. A priori, la vision féministe radicale renvoie à l’explication de l’infériorisation féminine au niveau structurel. Les femmes seraient des exploitées des structures économiques de production. L’incrimination du patriarcat comme un système socioéconomique et politique d’appropriation des femmes est présente. Contrairement au féminisme libéral, le féminisme radical refuse selon Descarries-Bélanger (1988), d‟expliquer l’infériorisation des femmes par des arguments d’ordre 16 biologique30. Ce féminisme attribue également le statut marginal des femmes à la sous-estimation de leur capacité dans l’ensemble des dynamiques socioéconomiques et politiques. En revanche, le peu d’attention porté aux schèmes culturel, historique et traditionnel nourrissant la subordination féminine est déploré dans des contextes comme le Sénégal où, selon Bisilliat (1997), «l’argument culturel est souvent utilisé pour cacher le refus de l’amélioration de la condition des femmes sous le prétexte de la coutume»31 . A ce niveau, se trouvent les insuffisances de ce courant où l’oppression féminine semble exagérément corrélée à une vision économiste égocentrique. Certes, les causes de la subordination des femmes sont enracinées dans les structures économiques et politiques mais, l’exclusion des facteurs culturels et historiques de la marginalisation féminine est une faiblesse du courant radicale que le féminisme postmoderniste se propose de combler. Il postule que: la mondialisation, défiant et façonnant l’intégrité de la structure mondiale, implique la révision de l’agenda féministe. Les référents culturels et idéologiques sont à comprendre comme des systèmes dynamiques ouverts à des influences internes et externes qui les transforment et les situent historiquement.
Genre et développement
L‟approche « Genre et Développement » (GED) se veut transversale. Pour les théoriciens de GED, il est plus logique de comprendre les problèmes des femmes en relation avec les hommes afin de pouvoir saisir les rôles et les besoins sociaux selon le genre. L’approche GED va au-delà de la différence biologique hommes/femmes. Elle prend en compte le social et le culturel. Elle prend appui sur une perspective holistique étudiant l‟intégrité de l‟organisation sociale, de la vie économique et politique, afin de comprendre la formation des aspects particuliers de la société, la dynamique sociale. Elle montre que la position qu‟occupe chacun est déterminée par la société puis affirme que les hommes et les femmes créent et perpétuent la société. Ils déterminent la répartition des tâches, mais les bénéfices et les souffrances sont mal partagées. Ils ont des rapports différents et évoluent dans des secteurs différents de la communauté. Compte tenu de leurs rôles sociaux, les hommes peuvent selon leur plaisir restreindre ou élargir les options des femmes. Il n‟est donc pas surprenant que le développement s‟observe de façon différente sur les hommes et sur les femmes car chaque catégorie exerce une influence différente sur les projets et les ressources. L‟approche « Genre et développement » (GED) est donc perçue comme une solution pour corriger les autres approches précédentes que les différences entre les hommes et les femmes ne sont pas que d‟ordre biologique mais également socioculturel. Le concept de genre est le principal objet de théorisation du GED et est supposé permettre une analyse plus complète et pragmatique des problèmes des femmes. II induit parallèlement le rejet systématique du déterminisme biologique qui est dans le mot « sexe » et renvoie aux catégories sociales permettant ainsi, de questionner les rôles sociaux. L‟approche genre vise à équilibrer les rapports de pouvoir entre homme et femme. Contrairement aux approches précédentes, elle ne vise plus seulement les projets dédiés qu‟aux femmes mais aux deux sexes. Elle nous assure une distribution équivalente des ressources, des bénéfices et des chances dans les diverses couches de la société et des groupes marginalisés dont font partie les femmes (PNUD, 2010). Le tableau 1 fait une distinction entre le courant « Femme et Développement » et le courant « Genre et Développement ».
Introduction |