Une question de culture
Résultats
Associé au discours portant sur les familles des EGRS, les enseignants traitent de la culture de leurs élèves. De façon générale, les enseignants se plaignent que la culture115 générale ainsi que la culture scolaire ne soient pas transmises par les familles. Il manque aux élèves les outils nécessaires pour pouvoir réussir réellement dans leur cursus scolaire.
Décalage culturel
Le milieu culturel pauvre le langage on parle la langue du pays d’origine à la maison une distance à l’école et au savoir Parce que la culture des parents n’est pas conforme à la culture scolaire en dehors du handicap avéré simplement parce que on ne lui a pas permis de comprendre ce qu’il faut mettre en place pour réussir et qu’ il n’a pas la possibilité de recourir aux outils nécessaires de savoir comment et quand les utiliser Pour être déclaré par notre population EGRS, la réussite scolaire aux évaluations ne suffit pas.
Les élèves doivent avoir une réussite autre que scolaire et une importante maturité. Ils attendent d’eux une aisance à l’oral, une culture générale importante, …
Ses connaissances scolaires sa culture générale son rapport avec les autres enfants sa maturité son comportement à l’école et dans sa famille ses capacités d’adaptation c’est un tout en relation toujours avec les parents Anne, lors de son discours, parle énormément du manque de culture de ses élèves. L’absence d’EGRS proviendrait d’un manque culturel trop important au regard des élèves présents dansles écoles hors ZEP. Si ses élèves en réussite se retrouvaient confrontés à d’autres élèves habitant d’autres quartiers, ils seraient en décalage, moins en réussite dès qu’on aborderait des sujets,des références culturelles. Elle n’a eu qu’une seule EGRS, provenant d’Alsace, depuis qu’elle enseigne dans cette école. Cette dernière avait un niveau culturel « bien plus haut » et des centres d’intérêt différent de « ce qu’on peut apprendre à l’école ». La connaissance culturelle est, pour Anne, un critère indispensable pour être en réussite scolaire et les élèves de ZEP manquent de références culturelles. Pour Jacques cette année, il ne peut « compter que sur un élève peut être deux pour tirer tout le groupe » d’un point de vue culturel.
Ce constat, plusieurs enseignants le font. Il y a chez leurs élèves « un manque culturel », il n’y a « aucun accès à la culture ». Mais ce critère n’est pas rédhibitoire et n’empêche pas ces enseignants d’avoir des EGRS dans leur classe. Ce manque culturel, selon certains enseignants, provient de la famille et non du milieu. Ils expliquent que des élèves vont à l’opéra, ont beaucoup de livres à la maison, ou partent à la bibliothèque en emprunter. Cette dernière activité étant une activité gratuite, il n’est pas question de manque de moyens. Selon les enseignants, « le niveau culturel et d’études des parents n’est pas forcément en lien avec la réussite ». Ils décrivent des familles d’élèves qui ont « honte eux-mêmes » et veulent que leurs enfants « s’en sortent mieux qu’eux ». Ce sont des familles en souffrance à cause de la situation dans laquelle ils vivent. Ce sont également des familles où les enseignants remarquent que les enfants sont plus poussés vers la réussite et le travail.
Je pense qu’il y a beaucoup de familles qui doivent être en souffrance du coup. Je pense que ça doit être des gens qui justement sont en difficulté financière, qui voient bien qu’ils ne vivent pas dans le meilleur quartier de Marseille qui font tout pour s’en sortir des gens qui ont des problèmes de papier, du coup qui voudraient travailler qui peuvent pas. Donc je pense que c’est quand même les familles dans lesquelles on pousse plus les enfants sont pas, sont quand même ouais des familles en souffrance sociale je pense.
Pour augmenter l’apport culturel des élèves des zones d’éducation prioritaire, les enseignants proposent des sorties. Mais ils regrettent le manque de temps qu’ils peuvent consacrer à cette activité. Beaucoup d’administratif, de nombreux apprentissages à faire en classe, empêchent les enseignants d’amener les élèves en sortie. Pourtant, cela les amènerait à voir « plus de choses » ce qui serait « largement plus bénéfique ». Jacques propose une solution originale. Il souhaiterait ajouter de l’apport culturel aux élèves en réussite scolaire. Lorsqu’il parle d’installer des ordinateurs au fond de sa classe pour personnaliser les apprentissages, il décrit des vidéos scientifiques, de géographie ou encore d’histoire qui pourraient permettre à ces élèves « d’améliorer leur culture ».
Les enseignants parlent d’un manque général de culture chez leurs élèves, les empêchant pour certains d’être en réussite scolaire. Car la connaissance culturelle est, pour quelques enseignants, un critère indispensable pour être en réussite scolaire. Les professionnelsprécisent que le manque culturel n’est pas à rapprocher du milieu mais bien des familles et qu’il est possible d’acquérir un capital culturel sans trop de moyens et dans tout type de milieu social. L’avis selon lequel la réussite scolaire est indissociable d’une bonne connaissance culturelle n’est pas partagé par tous. Les répondants donnent des exemples d’EGRS avec un faible capital culturel familial mais qui compensent par une forte volonté scolaire. Plusieurs des enseignants interrogés lors des entretiens tentent de compenser le manque culturel par des activités spécifiques au sein de la classe.
Discussion
Pourtant très présente dans les documents officiels119 , les enseignants soulignent un manque de culture chez leurs élèves. Plusieurs d’entre eux parlent de « l’arbitraire culturel dominant » (Bourdieu et al., 1970, p. 38) qui n’est autre que la culture que l’on retrouve dans les milieux aisés (Tazouti, 2002). Or, Anne dit que cette culture fait partie d’un attendu par l’école, que l’on retrouve dans le texte de Pirone et Rayou (2012, p. 53) sous le terme de « curriculum implicite » indispensable pour la réussite scolaire. C’est pourquoi certains enseignants des entretiens proposent plusieurs activités pour tenter de combler ce manque de culture. Selon eux, l’école « reste la seule et unique voie d’accès à la culture » (Bourdieu & Passeron, 1964, p. 35) pour les élèves des milieux défavorisés. Les enseignants interrogés installent des ordinateurs120 au fond de la classe pour permettre un enrichissement culturel. Ils organisent des sorties, encouragées par les textes officiels121, pour permettre aux élèves de découvrir et d’apprendre davantage, dans un autre contexte. Mais les enseignants se plaignent du manque de temps pour réaliser toutes ces activités d’ouverture culturelle. Ferrier (1998) met en garde contre le danger des sorties chronophages dont les apports ne justifient pas le temps consacré. Tessa rejoint plusieurs auteurs (Snyders, 1976; Tazouti, 2002) dans son entretien. Selon elle, le manque culturel ne provient pas du milieu mais des familles. Elle cite l’exemple d’élèves ayant une richesse culturelle acquise grâce à des parents leur permettant de réaliser des activités gratuites « à l’extérieur de l’enceinte scolaire » (Snyders, 1976, p. 23) amenant la culture attendue par l’école. Le manque culturel viendrait donc de la famille qui « ne donnerait pas à l’enfant les bases culturelles et linguistiques nécessaires pour réussir à l’école » (Tazouti, 2002, p. 36). Anaïs ne se retrouve pas dans cette affirmation de Tazouti car selon elle, au vu des exemples d’élèves qu’elle a connus, ce n’est pas le niveau culturel des familles qui définit la réussite scolaire de leur enfant. C’est d’ailleurs ce que l’on retrouve dans les travaux de Rayou et Bautier selon lesquels les enfants des minorités qui réussissent le mieux ne sont pas forcément ceux dont la culture est la plus proche de la culture dominante (Rayou & Bautier, 2009). A nouveau, les enseignants ne s’accordent pas tous au sujet de la culture de leurs élèves.
Le rapport à la langue / au vocabulaire
Les enseignants, dans leurs discours, parlent d’un manque de vocabulaire chez leurs élèves. Pensent-ils qu’il existe une influence des pratiques langagières sur la réussite des élèves ?Terrail (2004) précise que l’inculcation du beau parlé dans les familles aisées aide l’enfant à assimiler les normes de la langue écrite en matière par exemple de correction lexicale etsyntaxique. Lorsque le français n’est pas la langue parlée à la maison, ou qu’il existe des problèmes de langue dans la famille ou chez l’enfant, que pensent les enseignants de la posture des EGRS par rapport à cela ?
Discussion
Le français, pour certains élèves de nos répondants, n’est pas la langue parlée à la maison. C’est le cas de 17% des élèves des écoles en ZEP (Guillaume, 2001). La langue parlée à la maison est l’un des trois éléments pouvant avoir un « effet sur la réussite scolaire » (Moisan & Simon, 1997, p. 27) des élèves de ZEP. Les enseignants pensent que cela peut être un frein pour certains parents qui souhaiteraient aider leurs enfants (Tazouti, 2002). Leur manque de vocabulaire et la barrière de la langue (Davaillon & Nauze-Fichet, 2004) ajoutent à l’argumentaire des enseignants affirmant l’absence d’EGRS dans les ZEP. Cet avis n’est pas partagé par Lahire (1995, p. 66) pour qui « aucun rapport de causalité simple entre « langue » et « difficultés scolaires » » ne peut être établi. Pourtant Terrail (2009) souligne la possibilité d’une inégalité des chances scolaires en fonction du type de maniement de la langue orale qui a lieu dans son milieu social.
Pour Jacques, l’implication des familles est un critère de réussite des élèves. Mais plusieurs enseignants sont confrontés au manque de suivi, voire même à l’opposition de certaines familles dans certaines écoles. La communication est souvent « très insuffisante », voire impossible pour les enseignants dont une grande majorité des parents d’élèves ne parle pas le français. Cette relation parents/enseignants se charge d’incompréhensions (Armand, 2011).
Le rapport au milieu
Les professionnels interrogés, particulièrement lors des entretiens, expliquent que la famille a une influence plus importante que le milieu sur la réussite scolaire des élèves. Les enseignants pensent-ils à un effet du milieu sur les EGRS ?
Le journal officiel fait le constat alarmant que « notre système éducatif [n’est plus] un facteur de réduction des inégalités » car il ne permet pas d’atténuer les effets du milieu social sur la scolarité des élèves. Les élèves ayant réalisé toute leur scolarité en ZEP éprouvent plus de difficultés à leur entrée au second cycle que ceux ayant fréquenté des collèges hors ZEP (Kherroubi & Rochex, 2004). En plus du rôle central des familles, le rapport au milieu social est fort pour les élèves des milieux défavorisés ce qui amène Delahaye (2015, p. 37) à dire que les « enfants pauvres [sont] en situation d’apprentissage moins favorable que les autres enfants ».
Les élèves habitant dans des quartiers défavorisés pâtissent de la « faiblesse de l’offred’éducation » (Brinbaum & Guégnard, 2015, p. 2), en particulier sur le plan culturel. Pourtant,c’est une priorité avancée par le Ministère de l’Education Nationale (1998; 2000). Ce dernier demande de développer des activités extra-scolaires, d’ouvrir l’école sur le quartier ou encorede mettre en place des activités d’excellence, comme les sections sportives, les classesmusicales ou les sections européennes, « insuffisamment présentes dans les quartiers populaires » (MEN, 2000). Ici également, chaque quartier ne bénéficie pas des mêmes conditions. Lors des formations continues présentes tout au long de l’année pour les professeurs des écoles, nous avons rencontré des enseignants d’autres écoles et nous avons pu comparer l’offre culturelle dans les différents quartiers. L’école où nous nous trouvons profite d’un accès rapide au centre-ville, où la ville de Marseille permet un accès gratuit à certains musées. Un autre accès direct amène les élèves qui le souhaitent à une bibliothèque, où l’inscription estégalement gratuite. Les élèves de notre école sont une forte majorité à raconter des sorties au parc ou à la plage durant leurs week-end. Ce n’est pas le cas des élèves des enseignants rencontrés dont les écoles sont plus isolées par rapport au réseau des transports ou encore aux différentes structures.
Issehnane et Sari (2013) décrivent deux théories montrant l’influence du quartier sur les enfants y habitant :
– la théorie de la contagion : le fait de vivre dans un quartier où le niveau socioculturel est faible peut être un frein à la réussite scolaire ;
– la théorie de la socialisation : les enfants habitant un quartier sont influencés par les adultes vivant dans ce quartier.
Les enfants prennent comme « modèles » (Issehnane & Sari, 2013, p. 778) les adultes du quartier qui peuvent les pousser à adopter un « comportement déviant ». Cela a pour conséquence un « effet ghetto » (Moisan & Simon, 1997, p. 8) diminuant les chances de réussite de l’élève. Plus le quartier est considéré comme défavorisé, plus l’effet du lieu de résidence sur l’échec scolaire est important (Issehnane & Sari, 2013). Nous souhaitons mettre les propos d’Issehnane et Sari face à une observation que nous avons faite sur le terrain. A la sortie de l’école, à 16h30, nous voyons deux catégories d’enfants. Les premiers, une fois sortis, rentrent chez eux directement. Les autres restent dans le quartier à jouer, avec ou sans présence d’adultes. L’effet du milieu dont parlent ces auteurs est-elle la même pour les enfants qui ne restent pas dans les rues du quartier parce qu’ils rentrent directement chez eux et y resteront jusqu’au lendemain, et les enfants qui peuvent rester dehors, dans la rue, à jouer ou autre, pendant plusieurs heures ? Dans le premier cas, les élèves rentrés chez eux sont plus au contact de leur milieu familial que des habitants du quartier dans lequel ils vivent.
Chauveau (2011, p. 12) dénonce : « les enfants des pauvres sont des pauvres enfants ». En effet, les conditions de vie de certains les empêchent de se concentrer sur les apprentissages de l’école
et donc de réussir scolairement. Delahaye (2015) relate des situations de précarité importante dans les logements occupés. Plusieurs familles « s’entassent » dans un même logement insalubre proposé par des « marchands de sommeil » (ibid., p. 31), avec des « branchements électriques sauvages » qui n’assurent pas l’eau et l’électricité dans tous les foyers. Les enfants vivent avec « d’importantes fragilités » (ibid., p. 33) les empêchant de jouer leur rôle d’élève.
Les enseignants que nous avons rencontrés au début de notre recherche nous ont rassurés sur le fait que la grande pauvreté sociale n’était pas la norme pour les élèves de leur école. Pourtant, ils parlent d’enfants de six ans se couchant après minuit, car ils ont regardé la télévision seuls dans leur chambre, en précisant que les parents n’étaient pas présents pour réaliser le filtre indispensable quant aux choix des programmes télévisés après une certaine heure. Un autre enfant reviendra à l’école à 13h30 sans avoir mangé le midi, car « le frigo était vide ». Un autre enfin arrivera à l’école après avoir été brutalisé le matin même par sa mère dans un état qui l’a rendu incapable ne serait-ce que de pénétrer dans la classe avec ses camarades. Nous ne pouvons l’imaginer, suite à cela, entrer dans les apprentissages. Ces témoignages poignants, bien que rares, illustrent totalement les propos de Delahaye.
La mixité sociale
Résultats
Jacques est le seul enseignant des entretiens à avoir abordé le sujet de la mixité sociale au sein des classes. On rappelle que Jacques est enseignant depuis 30 ans et qu’il a fait 27 ans de sa carrière dans les ZEP. Il a pu découvrir différentes ZEP dans diverses zones géographiques de France. Pour cet enseignant, le manque de mixité est la principale difficulté de la ZEP. Qu’entend-il par-là ? Il a travaillé dans des écoles à Paris où les élèves accueillis venaient de façon équitable de milieux favorisés et de milieux défavorisés. Il y avait dans la même classe des élèves de milieux très différents. C’est ce qu’il appelle la mixité sociale. Dans toutes lesécoles dans lesquelles il a enseigné, celles qui fonctionnaient le mieux, c’est « quand il y avait une forme de mixité ». Le nombre d’EGRS était plus important que cette année où il est dans une école « enclavée dans la cité ». Les très bons élèves « tiraient les élèves qui auraient dû être en difficulté vraiment vers le haut ». Pour Jacques, cette mixité était un facteur de réussite pour tous. Les EGRS étaient plus nombreux et apportaient une émulation à la classe. Les élèves en difficulté scolaire étaient entraînés par ceux en réussite et se retrouvaient moins en difficulté.
Une vraie mixité. Et là c’était vraiment facteur de réussite pour les élèves. Et même les élèves de milieux défavorisés. Il y avait vraiment une émulation entre enfants. Parce qu’il y avait aussi de très bons élèves qui tiraient les élèves qui auraient dû être en difficulté vraiment vers le haut. Et ça par rapport à toutes mes années, euh …il n’y a que là où j’ai constaté ça quoi. A Trappes, je l’ai constaté parce qu’à Trappes les écoles étaient un peu comme ici entravées dans les cités. Et donc comme ici de mixité sociale tu en as entre étrangers mais tu n’en as pas d’autres je veux dire.
Le problème de l’absence de mixité dans les classes de ZEP apparaît dans certaines réponses au questionnaire. Cela empêche un échange au sein du groupe, une stimulation générale.