Les facteurs structurants la dynamique d’occupation du sol de la foret classée de KASSAS

Entretien avec les services techniques et les ONG

Les entretiens successifs avec les agents du secteur des Eaux et Forêts de Kaffrine, ceux de l’Agriculture et de l’Elevage, les responsables de l’ONG PADMIR, nous ont permis d’aborder plusieurs questions concernant l’exploitation et la gestion de la ressource forestière. Dès lors, l’analyse des changements d’occupation du sol ainsi que les obstacles rencontrés dans la gestion des forêts de Kaffrine en général et de Kassas en particulier ont été abordés.

Dépouillement des guides d’entretien

Le dépouillement des guides d’entretien a été fait en utilisant les méthodes d’analyse qualitative. Nous avons procédé à une analyse thématique qui a permis de recenser les thèmes qui ont été abordés lors des entretiens. Ensuite, nous avons procédé au sommaire ethnographique qui consiste à extraire les citations les plus déterminants et les plus adéquates par rapport aux phénomènes expliqués. Ces citations sont ensuite rapportées telles qu’elles sont exprimées par les personnes interviewées. En résumé, cette étape a été menée comme représentée sur la figure 11.
A l’issue du dépouillement des guides d’entretien et des rapports de discussions, nous avons pu établir des liaisons entre la dynamique de l’occupation du sol et les réalités socio-économiques qui prévalent dans la zone. Les informations recueillies lors des enquêtes nous ont permis de mieux prendre en compte les facteurs anthropiques dans l’analyse spatiale.

Les facteurs structurants les changements d’occupation du sol dans la forêt classée de Kassas de 1954 à 1999

Les mutations dans l’occupation du sol de la forêt classée de Kassas sont liées à des facteurs naturels, socio-économiques, politiques et juridiques.

Les facteurs naturels

Effets de la péjoration climatique sur la couverture végétale de la forêt classée de Kassas

Notons que le cycle de sécheresse qui frappe les pays de l’Afrique de l’Ouest depuis 1970 n’a pas épargné la forêt classée de Kassas qui est située dans une zone tampon entre les régions sahéliennes et soudaniennes du Sénégal.

Les facteurs socio-économiques

La Pression démographique

Nous remarquons que tous les effectifs des populations des villages entourant la forêt ont doublé ou triplé en trente ans d’intervalle (figure 12).

Les activités socio-économiques

Les populations des villages ceinturant la forêt, étant peu informées par rapport aux lois et droits d’usage, ne se privent pas des ressources forestières. Cet état de fait est confirmé par Cissé M. et Ngom A. (1997), qui affirment que 84,9 % des personnes interrogées lors des enquêtes qu’ils ont menés ne connaissent pas le code forestier et que 92,2 % d’entre eux ignorent l’intégralité des droits d’usage. La forêt de Kassas est confrontée à cette réalité. Le statut de la forêt classée, de Kassas fait que les droits d’usage sont bien définis. Selon Diallo B. (2002), « ces droit portent essentiellement sur :
Le ramassage du bois mort et de la paille ;
Le bois de service destiné à la construction et /ou à la réparation des habitations ;
Le parcours du bétail dans les conditions prévues par le décret, l’émondage et l’ébranchage des espèces fourragères.
La récolte des fruits, des gommes, des résines, du miel, des plantes alimentaires ou médicinales ».
Les conditions d’exploitation de ces ressources forestières bien qu’étant bien définies, Les réalités au niveau de la forêt classée sont différentes. Le développement des activités socioéconomiques (carte 8) traduit cette réalité.
De l’agriculture à l’élevage en passant par l’exploitation forestière les ressources de la forêt classée de Kassas font l’objet d’exploitations spécifiques.
Toutes ces activités socio-économiques (carte 8) ont des pratiques communes d’un village à l’autre. Ces méthodes entraînent des conséquences non négligeables sur la couverture végétale et peuvent donc être considérées comme des facteurs structurants des changements d’occupation du sol dans la forêt classée de Kassas. Dès lors, une étude rétrospective de ces activités socio-économiques s’avère nécessaire.
 L’agriculture
 Le défrichement pour l’agriculture
La conquête des terres neuves dont une bonne partie est contiguë à la forêt classée de Kassas a facilité les défrichements dans la forêt. Cette conquête faite dans le souci de freiner l’accaparement de l’espace par l’agriculture wolof destructrice selon l’autorité coloniale, a favorisé l’installation des Sérères venus du Sine où les terres étaient déjà appauvries par l’agriculture. Ce transfert n’a fait qu’encourager la progression des espaces agricoles avec la banalisation du défrichement de surfaces forestières. Beurnier (1935) cité par Faye V. (1999) confirme ces faits en affirmant que « l’expérience a démontré que dans le Sine Saloum, lorsqu’il s’agissait de mettre en culture des terres à arachide dans des régions nouvelles, les défrichements s’effectuaient à une cadence telle que le pays était rapidement menacé d’un déboisement total ».
L’agriculture est l’activité principale dans tous les villages ceinturant la forêt classée de Kassas, si bien que le déboisement menace toutes les parties périphériques de la forêt. De l’avis des populations « tous les villages ceinturant la forêt ont des champs dedans ». L’importance de l’activité agricole dans le département de Kaffrine est loin de provoquer une inversion de cette tendance. L’étendue des superficies emblavées y est très élevée : 140,92 ha, contre 87,488 ha pour le département de Kaolack (DPS, 2003).
La production de l’arachide a été encouragée par l’Etat sénégalais depuis son accession à l’indépendance en 1960. Ainsi, du coté de la recherche, l’ISRA s’est évertué à développer des variétés plus productives; tandis que l’ONCAD se chargeait de la collecte, du stockage et de la commercialisation des graines d’arachide. La transformation quant à elle est assurée par la SONACOS qui garanti aux producteurs d’arachide, l’écoulement d’une bonne partie de leur production.
Le problème d’empiètement a été évoqué dès juin 1979 dans un rapport paru sur la situation de la forêt classée de Kassas. En effet, lors de la mission préliminaire au dit rapport, beaucoup de cas d’empiètement ont été constatés sur le terrain par les agents du service des Eaux et Forêts de Kaolack. D’ailleurs, à cette époque, les éleveurs peuls craignaient déjà la disparition totale de la forêt au profit de l’agriculture comme mentionnée dans le rapport du service des Eaux et Forêts de Mbirkelane en 1979.
Bien que n’apparaissant pas sur les cartes faute de données antérieures à 1954, la forêt a subi plusieurs amputations liées à l’expansion agricole. En effet, sept ans (1942) après son classement, elle a fait l’objet d’un premier déclassement à la faveur des populations des villages situés au sud. Ainsi les 2500 ha ont été défrichés et mis à la disposition de l’agriculture. C’est d’ailleurs ce déclassement que brandissent les paysans situés dans la zone contiguë au village de Kahi pour légitimer leur occupation. En effet, comme l’illustre la photo 1 prise au début de l’hivernage 2005 dans le secteur de la forêt contigu au village de Kahi, une bonne partie de la forêt est occupée par des champs de cultures pluviales. Ces espaces sont matérialisés sur toutes les cartes d’occupation du sol.

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La fabrication de charbon de bois dans la forêt classée de Kassas

La production de charbon de bois est très développée, au niveau de la forêt classée. Anogeissus leiocarpus est l’espèce la plus ciblée. Le bois de chauffe est également très utilisé dans les villages entourant la forêt classée de Kassas. L’espèce prisée est également Anogeissus leiocarpus.
Depuis 1988, les prélèvements de bois d’énergie ont surtout ciblé le reboisement du projet PARCE. Si bien qu’une partie importante des peuplements d’Anogeissus leiocarpus a subi un prélèvement anarchique de la part des Peuls Fouta qui s’adonnent à cette activité clandestine.
Le choix de l’espèce s’explique par sa forte présence dans la forêt mais aussi par la valeur énergétique élevée obtenue avec son charbon. Cette pression sur Anogeissus leiocarpus a entraîné sa raréfaction de telle sorte que les exploitants se ruent maintenant sur les arbustes tels que Combretum glutinosum et Guiera senegalensis qui selon les populations du village de Sorokogne sont très exploités pour la production de charbon. Ce dernier se fabrique dans la zone centrale de la forêt où quelques traces de meules sont perceptibles. Toutefois, dans la crainte d’être surpris, certains Peuls Fouta prélèvent dans la forêt et vont fabriquer le charbon hors de la forêt.
Le prélèvement de bois mort pour la cuisson au niveau des ménages bien que permise dérape sur des actes prohibés. Les populations locales affirment avoir recours aux arbres et arbustes vivants pour satisfaire leurs besoins en énergie.

Le prélèvement clandestin du bois d’œuvre dans la forêt classée de Kassas

L’exploitation de bois d’œuvre se fait encore au niveau de la forêt classée de Kassas. Selon les agents du service des Eaux et Forêts, le bois, même vert, est coupé dans la forêt et convoyé à Kaffrine par des charretiers. Ces derniers profitent de l’obscurité de la nuit pour mener leurs activités. Les essences tels que Pterocarpus erinaceus « vèn » et Cordyla pinnata « dimb », font l’objet de convoitise. Ce qui explique en partie leur quasi-inexistence dans la forêt classée de Kassas. Selon le chef de secteur des Eaux et Forêts de Kaffrine, le département comporte 30 établissements de menuiseries. D’après les menuisiers de Kaffrine, interrogés lors de notre enquête de terrain, l’approvisionnement en bois se fait à partir du Sud-Est du pays notamment dans la région de Tambacounda. Cependant, ces derniers soutiennent qu’avant la disparition des grands arbres tel que Pterocarpus erinaceus de la forêt classée de Kassas, ils prélevaient le bois directement dans la forêt classée, qui est très accessible par rapport à Kaffrine. En effet, elle se trouve non seulement à 8 km, mais aussi est traversée par une route goudronnée. Ces prélèvements sont aussi faits sur Bombax costatum par les artisans du département : les Laobés. A partir de ce bois, ces derniers confectionnent des ustensiles de cuisine. Les populations des différents villages l’utilisent également dans la confection des bancs de place publique.

Les formes d’élevage développées dans la forêt classée de Kassas

De l’élevage sédentaire pratiqué par les agriculteurs à la petite transhumance des éleveurs qui viennent du Sud du département de Kaffrine, en passant par la grande transhumance constituée par les animaux venant des autres régions du pays, la forêt de Kassas constitue en toute période de l’année un point de rencontre des éleveurs.

La transhumance

La logique de mobilité des éleveurs est la stratégie développée face à la précarité des conditions naturelles. Elle se base sur les conditions qu’offre un milieu donné pour la satisfaction des besoins des animaux en eau et en nourriture.
La partie Nord du Sahel est caractérisée par une pluviométrie instable et irrégulière qui constitue le principal facteur limitant ; alors que la partie méridionale est caractérisée par des sols pauvres marqués par le déficit en azote et phosphore qui constitue une contrainte. Penning de Vreis et Djitèye (1982) confirment ces faits en soutenant que « la valeur protéique des pâturages dans le domaine sahélien est variable du Nord au Sud. Au Nord, la valeur en protéine des jeunes plants est d’environ 18 % et se stabilise autour de 12 % à la fin de leur croissance ; au Sud cette valeur décroît rapidement jusqu’à 3-6 %. En résumé, « au Sud, la biomasse augmente, mais les protéines diminuent, alors qu’au Nord, la biomasse diminue et les protéines augmentent ».
La limite entre ces deux zones se trouve autour de l’isohyètes 300 mm qui correspond au Sénégal à la zone du Ferlo qui est le domaine de prédilection de l’élevage. Toutefois, en hivernage, les éleveurs installés sur les terres du Ferlo en saison sèche vont laisser ce milieu reverdir et gagner les zones sahélo-soudaniennes qui englobent la forêt classée de Kassas. Dansla forêt classée de Kassas on distingue deux types de transhumance : la grande et la petite.

La grande transhumance

La grande transhumance est pratiquée par les « Walenkés » venant de Podor, spécialisés dans l’élevage ovin et par les Maures originaires de la Mauritanie qui viennent pour la Tabaski (fête religieuse musulmane lors de laquelle un bélier est sacrifié par chaque chef de famille) avec des troupeaux d’ovins. Les transhumants du centre en provenance de Thiès, Diourbel, Fatick et du département de Kaolack avec de grands troupeaux de bovins et quelques ovins sont également classés dans cette catégorie.
Ces différents groupes commencent à s’installer dans la forêt classée de Kassas dès le mois d’avril et ne la quittent qu’en décembre quand les mares ont tari. Ils se rendent ensuite dans le département de Linguère situé au nord où les pâturages sont plus riches selon un éleveur interviewé à Kassas.

La petite transhumance

Les éleveurs pratiquant cette transhumance sont originaires du Sud du département de Kaffrine.
Une bonne partie de cette zone est réservée à l’agriculture ; les pâturages ne sont composés que de sous-produits de la récolte.
Au niveau des forêts du Sud de Kaffrine, la pression parasitaire surtout la trypanosomiase est forte en hivernage. Ainsi, dès l’approche de la saison des pluies, les éleveurs de ces terroirs rejoignent les forêts du Nord du département, en l’occurrence la forêt classée de Kassas.

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