Les facteurs régissant le transport bactérien en milieu poreux

Les facteurs régissant le transport bactérien en milieu poreux

Les interactions physicochimiques

Le phénomène d’adhésion est un processus cinétique dont la vitesse dépend des caractères physicochimiques de la surface des cellules et du milieu poreux traversé. Les expérimentations du second chapitre ont mis en évidence deux types de propriétés physicochimiques expliquant l’adhésion bactérienne : l’hydrophobicité et la charge électrique. Conforme aux prédictions de la théorie XDLVO, les souches présentant des surfaces cellulaires hydrophobes adhèrent le plus rapidement sur le sable. Les interactions hydrophobes entre le sable et ces souches sont attractives et par conséquent favorisent l’adhésion de ce type de cellules dans le minimum primaire. Mais la théorie XDLVO ne permet pas de faire des prédictions d’adhésion correctes pour les souches bactériennes avec une surface cellulaire hydrophile. Selon les calculs les répulsions hydrophiles devraient empêcher toute adhésion des cellules hydrophiles sur le sable. Contrairement à cette prédiction obtenue avec la théorie XDLVO les observations ont montré que les souches hydrophiles adhérent aux grains de sables. Ce résultat remet en doute l’utilisation de la théorie XDLVO pour prédire l’adhésion de cellules à un matériau pendant le transport. Cette remise en cause est d’autant plus important que beaucoup de cellules bactériennes ont une surface hydrophile. Il est probable que les répulsions hydrophiles évoquées ici (XDLVO) sont insuffisantes pour empêcher l’adhésion bactérienne. La déposition des cellules hydrophiles est donc due à des mécanismes autres que ceux pris en compte par la théorie XDLVO. La grande majorité de cellules bactériennes présentent une charge globale de surface négative tout comme le sable ou d’autres sédiments. Les interactions électrostatiques entre bactéries et le sable sont donc répulsives. Il faut cependant distinguer deux types de conditions environnementales pour lesquels l’effet des interactions électrostatiques est très différent. Les conditions favorables à l’adhésion sont causées par une force ionique élevée qui réduit fortement la portée des répulsions électrostatiques. Les conditions non favorables à l’adhésion sont causées par une force ionique faible ce qui augmente la distance d’influence des répulsions électrostatiques et par conséquent empêche les cellules d’aller au contact des grains du milieu poreux. C’est précisément dans ces conditions que les expérimentation du chapitre 2 ont révélé une corrélation significative (R² = 0.71) entre la charge négative des souches bactériennes testées et la constante de temps pour la déposition. Autrement dit, plus une bactérie est chargée négativement plus l’adhésion sera retardée voir largement inhibée. Ce résultat montre donc que la propriété d’adhésion d’une souche bactérienne dépend de son potentiel zêta. A noter que la littérature mentionne également l’effet du pH sur les interactions électrostatiques. Néanmoins nous n’avons pas considéré ce facteur dans la mesure où la majorité des sols sont tamponnés entre 6 et 8. La troisième force qui intervient dans les phénomènes d’adhésion sont les interactions Lifshitz-van der Waals. Les interactions Lifshitz-van der Waals ont la caractéristique d’être généralement attractives mais d’intensité relativement faibles par rapport aux interactions Lewis acide base ou électrostatiques (lorsqu’elles sont présentent). L’effet des interactions Lifshitz-van der Waals est fortement conditionné par la longueur de Debye comme l’attestent les résultats du troisième chapitre. Dans les conditions non favorables à l’adhésion, l’action des interactions Lifshitz-van der Waals est annulée par la barrière électrostatique. En revanche lorsque la portée des répulsions électrostatiques est inférieure aux interactions Lifshitz-van der Waals (en conditions d’adhésion non favorable) il se forme une zone située à quelques nanomètres de la surface solide où l’énergie d’interaction est attractive. Cette zone d’énergie généralement très faible (quelques kT) est responsable de l’adhésion réversible dans le minimum secondaire. En effet les cellules bactériennes retenues par le minimum secondaire peuvent sortir de cette zone d’énergie à condition qu’une diminution de la force ionique soit suffisante pour augmenter la longueur de Debye et rendre les répulsions électrostatiques plus importantes que les interactions Lifshitz-van der Waals. Cet aspect réversible de l’adhésion dans le minimum secondaire a été démontré (chapitre 3) lors des expériences de transport dans le sable et les billes de verre avec E. coli PHL1314. Le phénomène peut aussi être observé au microscope confocal. Le résultat de ces expériences a révélé un autre aspect intéressant du minimum secondaire réversible. Pour chaque diminution de la force ionique une fraction de cellules retenues dans le minimum secondaire est décrochée. Cela signifie que chaque fraction de cellules décrochée était retenue par un minimum secondaire d’intensité énergétique différente. Ce résultat s’explique vraisemblablement par une hétérogénéité des caractères physicochimiques de surface pour des cellules pourtant issues d’une même culture. Une hétérogénéité de la surface des grains constituant le milieu poreux peut également expliquer ces observations. En résumé, le transport bactérien est d’autant plus favorisé que les conditions de forces ioniques sont faibles. Il apparaît clairement que les interactions électrostatiques, conditionnées à la fois par la charge de surface des bactéries et du milieu poreux ainsi que par la force ionique de la solution, jouent un rôle majeur dans la possibilité d’adhésion et donc dans le déplacement bactérien dans un sol.

Le milieu poreux

Les résultats du chapitre 2, 3 et 4 ont permis de mettre en évidence des caractéristiques du milieu poreux qui influent sur le déplacement de bactéries à travers un sol. Et en particulier la compétition entre l’hydrodynamique et les interactions physicochimiques. Chapitre 6 212 Le transport d’E. coli PHL1314 dans du sable et du verre n’a pas été influencé par la filtration comme l’attestent à la fois les observations au microscope confocal et les résultats en colonne (chapitre 3). Seules des bactéries exceptionnellement grandes comme les Bacillus sont susceptibles d’être retenue à cause de leur taille comme il a été observé dans les expériences du chapitre 2. En revanche les observations in situ du transport bactérien en milieu poreux (chapitre 3) ont attesté l’existence du blocage de cellules sur deux types de sites : (i) d’une part au niveau des aspérités définies par la topographie d’un grain, (ii) d’autre part au niveau des zones de contact entre grains là où le passage est réduit. Des grains de milieu poreux avec un aspect très irrégulier (comme le sable) présentent de nombreux sites que l’on peu assimiler à des pièges à bactéries comme l’attestent les observations au microscope confocal (chapitre 3). Les milieux poreux constitués de grains présentant ces caractéristiques sont donc moins favorables au transport bactérien. Un autre point important à considérer dans un milieu poreux est la complexité de l’écoulement. En effet nombreux sont les travaux qui se limitent à l’étude de déplacement de bactéries dans des milieux poreux homogènes (billes de verre, sable). Le chapitre 4 présente des résultats de transport d’E. coli PHL1314 dans une série de matrices porales allant graduellement du système très homogène (billes de verre) au système hétérogène (sol non perturbé). La déposition des cellules bactérienne de la souche PHL1314 apparaît comme très dépendante de la force ionique dans les milieux homogènes (sable et billes de verre). Ce résultat est concordant avec ceux obtenus dans les chapitres 2 et 3 à savoir le rôle primordial des interactions électrostatiques dans les processus d’adhésion. En revanche le transport de la souche PHL1314 dans les colonnes de sol Poirson est nettement plus influencé par la taille des agrégats que par la force ionique. Les bactéries sont d’autant mieux transportées que la taille des agrégats est élevée. A noter que l’effet de la force ionique n’est pas nul mais moins marqué que dans les milieux homogènes. Il est probable que dans les milieux avec une large distribution de tailles de pores les chances de contact entre cellules et solide soient fortement réduit. Tout comme pour les milieux poreux simples il n’y a pas de filtration dans le sol Poirson. En effet les agrégats de sol sont constitués d’un réseau de petits pores dans lequel il pourrait y avoir filtration, mais dans les conditions expérimentales ces pores sont saturés en eau et donc la Chapitre 6 213 circulation se fait essentiellement par les pores inter agrégats. Il est toutefois possible que les bactéries entrent par diffusion dans ces petits pores, cependant le coefficient de diffusion des bactéries est très faible et la quantité de cellules qui y diffusent est donc négligeable. L’élution avancée des cellules de la souche PHL1314 par rapport au traceur (dont le coefficient de diffusion permet de diffuser dans tous les pores) dans les colonnes de sol Poirson soutiennent ce point (chapitre 4). Malgré l’absence de filtration et une porosité supérieure aux matrices de sable ou de verre, la déposition de la souche PHL1314 dans le sol Poirson est très supérieure à celle observée pour les milieux homogènes. La présence de sites favorable à l’adhésion dans un milieu hétérogène comme un sol permet d’expliquer ces résultats. Dans le cas du sol non saturé (expériences avec le sol non perturbé, chapitre 4) une partie du flux d’eau appliqué va participer à la saturation en eau des petits pores entraînant avec lui des bactéries. Donc la filtration et le piégeage dans de petits pores est probablement favorisée dans ce type de milieu poreux avec un hydrodynamique complexe. Ces points pourraient expliquer les faibles quantités de bactéries transportées dans le sol non perturbé (chapitre 4

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Le phénomène de désorption des bactéries au cours du transport

Le mécanisme de déposition des bactéries dans un milieux poreux à lui tout seul ne permet pas de décrire les observations. En effet l’adsorption paraît comme partiellement réversible. Les expériences de transport dans tous les milieux poreux utilisées ont permis de constater qu’il existe deux types de désorption : La première peut être qualifiée de Chapitre 6 214 rapide car correspondant à un décrochage de bactéries retenues très brièvement dans des zones de stagnation ou dans un minimum secondaire faible. Ce type de désorption est responsable de la sortie légèrement décalée de cellules par rapport au pic. L’absence de prise en compte de ce phénomène dans le modèle ne permet pas de reproduire correctement les courbes d’élutions observée. A noter que le pic de sortie correspond à la sortie de cellules qui n’ont pas eu d’interaction significative avec la phase solide (α = 0). La seconde désorption est beaucoup plus lente et correspond à un décrochage très faible mais continu des bactéries initialement déposées. La quantité de bactéries décrochées ne concerne qu’une fraction de la population totale. Néanmoins nos expériences n’ont pas duré assez longtemps pour savoir si le phénomène perdure jusqu’à sortir la totalité des cellules retenues. Il faut cependant souligner que si ce décrochage continue invariablement au taux observé il faudrait plusieurs heures pour décrocher l’ensemble des bactéries. L’origine de ce décrochage lent et continu est mal connue. En revanche le facteur biologique peut être exclu car le même phénomène a été observé pour des colloïdes artificiels (Li et al. 2005). Une hétérogénéité de la population ne permet pas d’expliquer la sortie retardée de plusieurs volumes de pores de certaines cellules. L’hydrodynamique très complexe d’un milieu poreux pourrait peut-être expliquer le phénomène. Nous suggérons que la distribution anormale du temps de séjour des cellules d’une même souche dans un milieu poreux est le résultat d’un déséquilibre fluctuant entre forces Lifshitz-van der Waals et hydrodynamiques. Les équations pour calculer les forces hydrodynamiques utilisées dans cette étude se limitent au milieu poreux très simplifié et en 2D (chapitre 3). Malgré ces limites les résultats de ces calculs ont permis de comparer les forces hydrodynamiques avec les forces physicochimiques de la théorie XDLVO. Les forces hydrodynamiques sont très inférieures aux répulsions électrostatiques mais très légèrement supérieures au minimum secondaire. Il est possible que des fluctuations des lignes de courant au niveau des zones de remous causent momentanément des stagnations du flux ou des courants plus faibles. Le minimum secondaire d’un site donné est constant mais des fluctuations des lignes de courant pourraient modifier la balance entre forces Lifshitz-van der Waals et hydrodynamiques. Une cellule (ou colloïde) piégée dans un tel site sera retardée par rapport au reste de la population. Aussi de légères fluctuations des forces hydrodynamiques pourraient localement et temporairement provoquer ou empêcher l’adhésion dans le minimum secondaire. Suivant le nombre de fois où une Chapitre 6 215 cellule subirait ces fluctuations, la traversée du milieu poreux pourrait prendre plus ou moins de temps. Il n’existe à ce jour pas de moyens adéquats pour déterminer très précisément les lignes de courants dans un milieu poreux surtout si celui-ci est hétérogène. Toutefois, sans vouloir recourir à des modèles mécanistes très fin, il nous semble que l’hypothèse pourrait être testée avec un modèle faisant migrer un ensemble de bactéries sur un réseau de sites et en affectant à ces sites des forces de Lifshitz-van der Waals et des forces d’arrachement avec des lois de probabilité.

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