Pourquoi reconstruire les pertes de substances osseuses ?
L’absence de reconstruction dans les mandibulectomies interruptrices est responsable : d’une déformation du tiers inférieur du visage allant d’un simple recul du relief osseux, d’une déviation du menton jusqu’à la déformation dite en « Andy Gump » ; de troubles de la fonction masticatrice; d’une altération de la phonation, la ventilation, la déglutition et de la cosmétique globale. Une perte de substance maxillaire comprend à des degrés différents :l’apparition d’une fistule ou d’une communication bucco-sinusienne ou bucco-nasale, responsable de troubles de la déglutition ou de l’élocution (rhinolalie ouverte); une perte partielle ou complète de l’arcade dentaire entrainant des troubles de la mastication ; une incontinence labiale avec trouble de l’élocution et difficulté d’alimentation en cas d’extension cutanée ; une atteinte esthétique par affaissement et/ou déformation des tissus mous de l’étage moyen. En l’absence de soutien, on peut observer une enophtalmie, un ectropion, un défaut de projection de la lèvre supérieure, de la joue, du nez et/ou du rebord orbitaire selon l’importance de l’atteinte.
Tous ces éléments importants dont dépend la qualité de vie du patient sont les enjeux de la reconstruction en Chirurgie Maxillo-Faciale.
Comment reconstruire ?
Plusieurs lambeaux sont classiquement décrits pour la reconstruction mandibulaire. Néanmoins, le lambeau libre de fibula reste le plus utilisé . L’apport d’un tissu osseux vascularisé améliore sa tolérance tissulaire à l’irradiation dans les cas de cancérologie nécessitant un traitement adjuvant. La réalisation d’un lambeau libre apporte une meilleure qualité de vie postopératoire du patient, comparée à une greffe osseuse non vascularisée .
Le lambeau libre de fibula peut être prélevé comme un lambeau composite. Le repérage et la dissection des vaisseaux perforants permettent la confection d’un lambeau dont la palette cutanée est mobilisable par rapport au lambeau osseux.
De plus, avec le développement actuel du Dessin Assisté par Ordinateur et de la Chirurgie Assistée par Ordinateur (DAO/CAO), l’individualisation de la prise en charge a permis le développement d’une personnalisation de la chirurgie. Cette technologie impose parfois un délai de conception qui limite son utilisation, notamment dans une chirurgie carcinologique.
Autrement appelée Planification Virtuelle de la Chirurgie (VSP), cette innovation est basée sur les données d’imagerie préopératoire des tissus à réséquer et de la fibula prélevée pour la reconstruction. La VSP permet des reconstructions de meilleure qualité, plus précises grâce : aux guides de coupe chirurgicaux sur mesure. La planification est d’autant plus utile que la reconstruction est complexe avec de multiples segments ou lorsque les points de référence anatomiques sont absents ; aux plaques en titane préformées, imprimées en 3D .
La simplification du geste technique par ces outils permet également une diminution du temps interventionnel, donc une anesthésie générale plus courte et un temps d’occupation de bloc opératoire plus court comme l’ont montré certains auteurs .
La planification peut être reconnue comme une technique financièrement viable et son surcoût doit être contrebalancé avec le bénéfice apporté au patient .
La VSP est un outil très performant dans les situations où la chirurgie se déroule comme prévu. Suite à des modifications peropératoires inattendues, on peut être confronté à un manque de laxité qu’impose la planification préopératoire .
Quelles précautions péri-opératoires ?
Quelques prérequis sont nécessaires avant la réalisation d’un LLF : une analyse de la perte de substance à prévoir et des fonctions altérées. On fait réaliser un scanner cervico-facial en coupe native, avec injection de produit de contraste iodé, aux temps artériel et tardif, et en fenêtre osseuse qui permet d’évaluer : la taille du défect osseux et l’extension aux tissus mous adjacents le cas échéant ; ainsi que l’existence et la perméabilité de vaisseaux receveurs en cervical pour anastomoser le lambeau.
une imagerie préopératoire des membres inférieurs. Celle-ci est devenue indispensable tant sur le plan médical que sur le plan médico-légal . Son absence est considérée comme une négligence par Whitley . Dans le service de Chirurgie Maxillo-Faciale du CHU de Caen, un angioscanner des membres inférieurs est réalisé en préopératoire. Certaines équipes réalisent des angio-IRM des membres inférieurs en première intention . Cependant, sa plus faible disponibilité en fait un examen difficile à réaliser en routine.
une imagerie du réseau veineux. La circulation veineuse est souvent peu étudiée en préopératoire . Ce réseau sous-estimé peut être la cause de l’échec du LLF. Chez les patients atteints de cancer, il existe un risque plus élevé de thrombose veineuse profonde (TVP) non connue, pouvant atteindre les veines fibulaires, mettant en péril la réussite du lambeau. Patel propose la réalisation d’un échodoppler veineux des membres inférieurs de façon systématique chez les patients atteints d’un cancer .
Sur le plan général, le patient est pris en charge de façon globale permettant la réalisation de l’intervention en toute sécurité (médecin anesthésiste, nutritionniste, addictologue). La gestion du patient en peropératoire, au-delà de la technique chirurgicale, revient à l’anesthésiste, notamment sur le plan hémodynamique. L’étude de Vidal en 2017 souligne l’absence de prise en charge anesthésique uniforme dans la gestion des lambeaux libres .
L’usage de drogues vasoconstrictrices en peropératoire est permis et les objectifs de pression artérielle ou de transfusion seraient les mêmes que pour les autres types de chirurgie. Le protocole encadrant la gestion péri-opératoire des lambeaux libres au CHU de Caen regroupe principalement une antibioprophylaxie, un remplissage vasculaire adapté associé si nécessaire à une transfusion de produits sanguins labiles et une prévention des nausées et vomissements postopératoires.
L’anastomose vasculaire microchirurgicale
L’un des temps important, et souvent la source d’échec dans le lambeau libre, est l’anastomose vasculaire microchirurgicale. Le temps d’exploration cervicale, la qualité des vaisseaux et de leur préparation pour recevoir le lambeau libre sont des clés de la réussite d’un lambeau libre. Une réflexion en amont de l’intervention permet de prévoir le positionnement du lambeau et son pédicule pour éviter toute torsion, plicature ou traction.
Le nombre d’anastomose veineuse et leur géométrie (termino-latérale ou termino-terminale) sont également des réflexions importantes à avoir. Pour cela, l’imagerie offre une estimation de la longueur du pédicule fibulaire et les possibilités d’anastomoses vasculaires cervicales. De nombreux facteurs intrinsèques et extrinsèques au patient peuvent être la cause de l’échec du lambeau libre de fibula. L’identification et la correction de ses facteurs permettra d’améliorer le taux de succès des lambeaux libres de fibula.
L’objectif de cette étude rétrospective était de mettre en évidence l’impact de l’anastomose veineuse sur les échecs de lambeau libre de fibula dans la reconstruction du massif facial ainsi que les différents facteurs de risque
Table des matières
I Introduction
I.1 Pourquoi reconstruire les pertes de substances osseuses ?
I.2 Comment reconstruire ?
I.3 Quelles précautions péri-opératoires ?
I.4 L’anastomose vasculaire microchirurgicale
II Matériel et Méthodes
II.1 Caractéristiques de l’étude
II.2 Démarche éthique
II.3 Analyses statistiques
III Résultats
IV Discussion
V Conclusion
Bibliographie
Annexes