Les facteurs de l’insertion chinoise dans le tissu commercial

La prolifération des marchés 

La répartition des marchés, du point de vue géographique, est forcément très variable d’une ville à l’autre selon la morphologie de la ville (contraintes de site plus ou moins importantes), le type d’urbanisation, les politiques foncières mises en œuvre, etc. La répartition des marchés sur le territoire de la ville est aussi tributaire de la plus ou moins grande facilité de circulation des marchandises et des commerçants: elle est donc intimement liée au développement du réseau routier. Mais, au-delà d’une simple localisation des marchés sur une carte, c’est le croisement de l’analyse typologique des marchés avec leur mode de répartition spatiale sur le territoire de la ville qui fait apparaître les facteurs d’équilibre ou de déséquilibre dans le réseau des marchés urbains.
Si l’examen du réseau des marchés, d’une ville à l’autre, révèle bien évidemment des situations variées, la polarisation des activités commerciales sur un seul grand marché et ses effets de dépression sur le réseau des marchés secondaires s’observe fréquemment. Vu le nombre de marchés que compte la ville de Dakar, nous en avons choisi quelques uns en parfaite relation avec le centenaire.

Le marché kermel 

Celui-ci peut être considéré comme le plus ancien marché de l’agglomération et l’un des plus grands du plateau. Son importance fut telle que sa couverture fut indispensable. Tout autour, les grandes maisons commerciales, bordelaises et marseillaises, venues de Gorée et Saint louis y sont implantées. Le marché Kermel est le seul marché sénégalais à faire exception, car il s’adresse surtout aux européens et à une minorité africaine à haut revenus. C’est le marché dakarois qui offre la meilleure qualité des légumes et fruits frais sénégalais, du poisson, des crustacés et de la viande. Tout cela écoulé par une majorité de sénégalais. Du côté de la poste principale, un marché alimentaire prospère en vendant de bons fruits et légumes aux restaurants chinois et français de la capitale.
Tout autour du marché, diverses boutiques de référence sont installées pour le plus grand plaisir des habitants du quartier. On voit aussi à Kermel des vendeurs de fleurs, chose presque rare dans les autres marchés. En réalité, ce marché était conçu pour répondre à la demande d’une forte communauté européenne. Au croisement avenue Albert Sarraut x place Kermel, un commerçant expose sur un mur (le «Mur», d’où le nom de son commerce) de véritables objets d’art ou traditionnels. Ils sont principalement originaires d’autres continents et de la sous région. On peut trouver par exemple des portes gravées dogons d’une rare beauté et desstatuettes de natures différentes.
La pression démographique avait obligé les autorités à créer d’autres marchés. Cet état de fait est illustré par Moustapha Ndiaye affirmant qu’avec l’augmentation de la population et l’arrivée des libanais, le marché kermel spécialisé dans l’approvisionnement des européens, devait être doublé par un « marché indigène » le marché Sandaga24.
Aujourd’hui, les produits artisanaux dans ce marché sont concurrencés par de nouveaux produits en provenance de la chine. Parmi ces objets figurent surtout ceux d’art, de toile et de tableau. De plus, tout en copiant les objets trouvés sur ce marché, les chinois vont baisser les prix pour réorienter la clientèle dans leur marché.

Le marché Sandaga

Le seul succès de Sandaga est dû à sa situation. En effet c’est le marché central de Dakar, à 200 mètres de la place de l’Indépendance, au bout de l’avenue Pompidou. Ce marché est situé à un carrefour très animé et très populeux, sur le grand espace triangulaire que forment, en se rejoignant, les avenues blaises Diagne et Lamine Gueye. Le marché proprement dit est complété, à l’extérieur, le long de l’avenue Blaise Diagne, par un marché permanant de tissus émaillés, chaussures, pacotille et produits de toilette, par des boutiques de tailleurs et tant d’autres articles.
Les rues qui longent Sandaga connaissent de jour comme de nuit, une animation extraordinaire. Nous entendons de partout les cris des commerçants qui interpellent la clientèle. A Sandaga, les activités commerciales sont diverses. On y vend aussi bien du gros, du demi gros et du détail. Depuis le renouvellement des relations diplomatiques entre le Sénégal et la chine, ce marché enregistre une large gamme de marchandises proposée par des ambulants à la recherche de gain. C’est sans doute ce qui a permis à l’espace commercial d’enregistrer de nouveaux produits sur le marché. Pourtant, les « Baol Baol » avaient très tôt assuré ce type d’échanges avec comme centre d’échange ce même marché. Ces derniers, dans cet espace, sont concurrencés par un autre acteur contribuant à la récupération de nombreuses personnes qui assuraient la distribution de leurs marchandises.
En effet, ces dernières années, les terrains et les emplacements disponibles dans le centre ville deviennent rares et sont soumis à des enchères exorbitantes. Ce constat est étayé à travers l’article de vieux savané* où il dit : « un terrain de 379 m2 situé au centre ville est cédé à 250 millions FCFA. Les prix semblent grimper au gré du temps et des humeurs, en dehors de tout contrôle. Le dernier décret fixant les valeurs au mettre carré pour les habitations collectives ou individuelles date de 1988 ».
Par ailleurs, des commerçants, cloitrés parfois dans de très petites cantines, vendent différents produits : de la contrefaçon, des jeans de grandes marques aux parfums français et italiens ne sont pas laissés en rade. Les alentours du marché sont très encombrés en permanence par des véhicules apportant l’approvisionnement, la foule de commerçants, et les multitudes de gens, surtout les femmes venues de tous les quartiers pour se procurer les denrées qu’elles iront revendre sur les marchés de la banlieue. Au croisement Emile Badiane x Jean Jaurès, les parents d’élèves trouvent toute l’année de quoi approvisionner les enfants en livres scolaires. En plein air ou dans des petites boutiques, les commerçants vendent des bouquins neufs ou d’occasion pour tous les niveaux scolaires.
Au même endroit, les petites boutiques du « centre commercial » EL Malick proposent sur plusieurs niveaux du prêt-à-porter et de la contrefaçon en provenance de chine, d’Iran, de Dubaï et d’autres pays. Au croisement Sandaga x Peytavin, plusieurs commerçants vendent les magnifiques tableaux « sous-verre » exposés sur les murs. De vrais bijoux et de beaux vêtements d’art y sont exposés tous les jours. Aujourd’hui, le commerce des articles de contrefaçon occupe une place prépondérante dans le marché car beaucoup de commerçants se sont spécialisés dans ce domaine. Cela a sans doute été accentué par l’arrivée massive, depuis 2003, des migrants de la république populaire de chine et de leur insertion dans le tissu commercial dakarois.
Contrairement aux autres espaces dévoués aux activités commerciales Sandaga est le plus bruyant et le plus animé des marchés. Sa notoriété et son attirance fait de lui le point de convergence de nationalités diverses mais aussi de produits divers. Aujourd’hui, les produits venant de chine inondent ce marché et, il est très fréquent de voir ces mêmes produits dans certains centres commerciaux. Ce qui témoigne du degré de pénétration des chinois dans l’économie urbaine de Dakar.

Le marché colobane

Comme Sandaga, Colobane est un marché célèbre. Un dicton sénégalais dit qu’on trouve tout à Colobane. C’est certainement vrai d’autant que la gare routière de Colobane collée aux boutiques,dope le commerce. Ce marché est d’une taille raisonnable mais la densité de commerçants est impressionnante : « des livres d’occasion aux télévisions couleurs, des chaussures usagées aux sacs de riz, du poulet à la marmite, on y trouve bel et bien de tout »26. D’ailleurs, toutes les variétés de marchandise y sont vendues. On y fait certainement de bonnes affaires à condition de connaître les « réseaux » comme, le disent, les jeunes. Le marché Colobane s’étend sur le quartier du même nom. De l’habillement à la cosmétique, en passant par les chaussures de marques et des articles divers ; tout est vendu par les commerçants sur place. On y trouve aussi beaucoup de marchands ambulants brandissant divers articles sur les abords du marché.
La distance entre ce marché et le centre ville étant un peu loin, certains ambulants n’hésitent pas à faire la navette, chaque jour, pour se ravitailler. Les articles vendus par ces commerçants proviennent de l’Europe des Etats unis, de Dubaï, d’Arabie Saoudite, mais aussi et surtout de la chine. Certains grossistes de Colobane nous affirment qu’ils s’approvisionnent depuis l’empire du milieu car, depuis un certains temps, les gens n’achètent que du « chinois » et, nous sommes obligés de suivre le rythme et les besoins des consommateurs. Donc la présence des produits chinois dans le marché de Colobane est le fait, non seulement des petits commerçants et d’ambulants, mais aussi des grossistes qui ont changé de fournisseurs.

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Le Centenaire et son aire d’extension, la gare de Petersen

Le boulevard du General De gaulle, anciennement Allée du centenaire, mais toujours appelée le « centenaire » est devenu le siège des chinois depuis1999-2000. Il s’agit là d’une longue avenue rectiligne qui accueille les défilés officiels lors de l’anniversaire de l’indépendance. Cette Allée est transformée en marché chinois par ces derniers qui y vendent des articles de toutes sortes, constitués dans la majorité des cas de contrefaçon. En effet plus de 160 échoppes sont tenues par les chinois. On dénombre aussi une multitude d’étals à perte de vue devant les magasins chinois. Le cadre présente toutes les allures d’un marché avec une vaste aire de chalandise.
L’ambiance de la matinée accompagne le mouvement des vendeurs et des clients de ce marché conquis par les vendeurs à la sauvette, distribuant comme « des petits pains » les articles proposés par les chinois. Les premiers marchands guettent les clients du matin et autres vacanciers de passage, tandis que d’autres vendeurs déballent leurs marchandises tirées dans de gros sacs en plastique.

Le marché HLM 

Le marché des HLM. 5 et le marché Tilène font partie des marchés les plus intéressants de la capitale. On y trouve différentes marchandises : prêt à porter, légumes, cuillère en bois, des ustensiles de cuisine, articles d’usage quotidien, habillement et des chaussures originaux comme contrefaits.
Mais la plupart des clients s’y rendent surtout pour ses tissus et ses vêtements. C’est la raison pour laquelle les meilleurs couturiers travaillent au marché HLM5 ; et la qualité ou choix des tissus est le plus important de la ville. On note aussi la présence de beaucoup de marchands ambulants aux alentours et à l’intérieur même du marché. Ces commerçants vendent des produits composés de vêtements pour femmes, enfants et des effets de toilette. La plupart d’entre eux se ravitaillent dans les échoppes chinoises et le marché Sandaga.
La présence de la marchandise chinoise dans ce marché est matérialisée par la nouveauté, la couleur mais surtout par la diversité des articles retrouvés sur place. Les ambulants trouvés sur place sont les principaux acteurs qui partagent avec les commerçants sénégalais la distribution des articles chinois que domine l’habillement.

Les centres commerciaux

Dakar, à l’image de certaines capitales ouest africaines, a changé de visage depuis quelques années. En effet, on voit de plus en plus des centres commerciaux émerger dans le décor de l’espace économique dakarois. Des acteurs urbains appelés « Modou Modou » ont construit des centres commerciaux dans le but de développer le secteur informel en le rendant plus professionnel. Ces derniers sont concurrencés par la municipalité de Dakar qui s’investit, elle aussi, dans la construction d’édifices modernes pour mieux asseoir son contrôle28. Aujourd’hui, nous assistons à une prolifération de centres commerciaux dans le plateau. On peut citer celui de Petersen, le centre commercial de Touba Sandaga situé sur l’avenue
Lamine Gueye, de Touba Khelcom, celui du champ de course (quatre C), de celui d’EL Malick, de SICAP plateau situé sur l’avenue Jean Jaurès, Score, Filfili, etc. Ces centres contribuent à la densification du secteur commercial de Sandaga. Ils marquent le début d’une nouvelle ère avec notamment le contrôle de l’espace commercial urbain par des nationaux.
Mais, non loin de cet espace émerge, un commerce qui, contrairement aux autres, est au centre de tous les débats dans le pays. Il s’agit sans doute du commerce des produits chinois qui empêche aux propriétaires de ces centres de dormir. Tous les produits vendus par les commerçants des centres commerciaux sont copiés par les chinois et mis sur le marché. Ces nouveaux acteurs ont multiplié, via les marchands ambulants, leurs activités sur presque toutes les zones de convergence du centre ville, naguère bastion des français, libano syriens, et Baol Baol. Certains gérants de magasins dans ces édifices commerciaux nous affirment que leur chiffre d’affaire a baissé depuis l’insertion des commerçants chinois dans le tissu commercial Dakarois.
Actuellement, la distribution de leurs échoppes ainsi que de leurs marchandises montre leur degré d’insertion dans l‘économie urbaine et, plus particulièrement dans un espace en compétition entre plusieurs acteurs.

Les facteurs exogènes 

La seconde catégorie de facteurs qui peuvent accélérer la pénétration chinoise dans l’économie urbaine de Dakar est le facteur dit « exogène », c’est-à-dire qui n’est pas liés aux produits eux-mêmes mais à l’environnement dans lequel ils s’insèrent. On peut designer d’une part l’espace qui est un facteur très important. En effet, la position des aires de vente à Dakar suit la logique de la convergence de la population pendant la journée. Leur saturation, leur étroitesse et leur engorgement ont entrainé leur débordement ou leur excroissance. Par conséquent, les alentours immédiats du centenaire sont « colonisés » et les rues adjacentes envahies par des commerçants jouxtant parfois leurs marchandises à même le sol. Partout où des masses de populations se sont convergées, de nouvelles aires de vente ont émergées. On ne peut pas parler d’espace sans pour autant faire allusion à l’accessibilité. Les migrants chinois ont porté leur choix sur les allées du centenaire, un nouveau centre très facile d’accès et bien desservi par les voies de communication.
D’autre part, Dakar enregistre aussi un véritable poumon de familles à faibles revenus et à faibles moyens. Avec l’arrivée des chinois dans le tissu commercial, beaucoup de produits sont devenus maintenant accessibles. Il s’y ajoute que la clientèle trouve une variété de marchandise à des prix abordables.

Un contexte favorable au commerce chinois au Sénégal

Pour ceux qui observent la scène africaine, la présence chinoise en Afrique n’est pas une nouveauté. Ses entreprises de travaux publics sont installées sur place depuis au moins30 ans.
Troisième partenaire commercial, investisseur stratégique, partenaire au développement et pourvoyeur financier en devenir, la Chine bouleverse les rapports de force qui s’étaient instaurés depuis les indépendances sur le continent. De ce fait, les« partenaires traditionnels », Europe et Etats-Unis en tête, s’interrogent sur leurs relations avec l’Afrique.
Ce phénomène n’est pas nouveau ; ce qui frappe aujourd’hui, c’est l’intensité de l’offensive commerciale notoire sur le continent.
Certains économistes affirment qu’il est probable que dans quelques années, des particularismes ouest-africains et une présence beaucoup plus importante de la Chine dans cette région, justifieront un exercice plus spécifiquement ouest-africain.
En 1978, les réformes économiques et sociales menées par Deng Xiaoping engagent la Chine sur le chemin de la mondialisation. Le pays tire aujourd’hui sa croissance (10 % par an en moyenne depuis plus de 20 ans) des exportations de marchandises à bas prix. La compétitivité de ses produits à l’exportation et ses besoins de matières premières modifient les paramètres de l’économie mondiale. Même si elle ne représente pas un enjeu essentiel pour l’économie chinoise, l’Afrique vit avec intensité les conséquences de ces bouleversements. Les échanges avec l’Afrique ont considérablement augmenté : « ils ont été multipliés par 50 entre 1980 et 2005 pour atteindre 40 milliards de dollars. Cependant, ils ne représentent guère que 2,5 % du commerce extérieur chinois ».

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