Exploitation clandestine du bois d’œuvre
A l’instar de toutes les forêts Sud et Sud-est du Sénégal où la ressource est disponible, la forêtde la Commune de Badion ne fait pas exception à une exploitation clandestine du bois d’œuvre.
Cette exploitation frauduleuse du bois vers la Gambie a pris de l’ampleur en 2011 au niveau de la Commune. Elle est favorisée par la présence de grands consommateurs de bois, chinois et indiens dans les marchés gambiens (source : enquête de terrain).
Les exploitants clandestins sont pour la plupart des sénégalais, même si on retrouve ceux de la Gambie. Ils ont commencé à exploiter les ressources disponibles vers les villages frontaliers, une fois qu’elle se raréfie, ils avancent vers l’intérieur de la Commune jusqu’à épuisement. Les espèces les plus ciblées sont le Vène (Pterocarpus erinaceus) et le kapokier (Bombax costatum) ; d’où la justification de leurs raréfactions dans les placettes au niveau desvillages frontaliers.
Les heures de coupes et de transports
Toutes les heures où ils savent que les gardes forestiers ne sont pas sur les lieux sont propices. A n’importe quelle heure, des charrettes remplies de troncs sont croisées en cours de route A l’approche de la fête de la Tabaski, les forestiers surtout ceux du département de Médina Yéro Foulah (MYF) sillonnaient presque tous les jours la zone. Les exploitants ont adopté une nouvelle stratégie pour les contourner. Certains clandestins coupent les troncs vers 6h dumatin d’autres 00h.
Les outils utilisés pour abattre l’arbre sont les scies en deux qu’ils appellent communément « sérou », d’après les personnes interrogées, ils font moins de bruit et plus faciles à transporter en cas de poursuite par les agents forestiers, et rarement le coupe-coupe.
Après la coupe, les troncs sont laissés sur place. Entre 2h et 3h du matin, ils reviennent sur le site, font le chargement sur des charrettes et se mettent en route vers les dépôts, pour retourner aux environs de 7h du matin. En analysant les horaires, l’exploitation frauduleuse est un réseau bien organisé composé de coupeurs, transporteurs et évidemment de commerçants.
Les exploitants clandestins sont très solidaires entre eux. Quand ils aperçoivent les agents forestiers automatiquement, ils trouvent des moyens pour alerter les autres soit en les téléphonant s’ils ont le réseau, soit en prenant n’importe quels moyens de déplacement. Des exploitants ont confié qu’ils reconnaissent même le bruit des roues des agents. Les troncs appelés dans leur langage courant « Timba » sont acheminés dans les dépôts qu’ils appellent « Boda » qui est un anglicisme, ce mot est ainsi écrit « border » qui signifie frontière.
Les dépôts
Tous les dépôts visités sont en territoire gambien, et se trouvent près des villages sénégalais.
Une fois que les troncs franchissent la frontière sénégalaise, les exploitants n’ont aucune crainte à se faire car les agents forestiers sénégalais n’ont pas le droit de franchir la limite sénégalo-gambienne. Les villages où ils sont localisés, le chef perçoit de l’argent de la part des exploitants. Un enfant de dix ans habitant dans un village très éloigné de la frontière, a signalé les dépôts suivants : Soumakunda qui est le plus grand dépôt, suivi de Gambissara, Saré Bothié, Saré Diaobé, Saré Bacary et Saré Aly. Le fait qu’un enfant de cet âge connaisse ces noms, prouve l’intensité de cette activité frauduleuse.
Les cinq ont pu être visités excepté celui de Saré Bacary car le temps ne l’a pas permis. Les coordonnées de géo-référencements de chaque dépôt ont été prises par le GPS, représentées sur la carte ci-dessous.
La commercialisation du bois d’œuvre
Toutes les personnes ayant répondu aux questionnaires ont affirmé que le bois d’œuvre est commercialisé en Gambie et trois parmi les 97 ont confirmé qu’il est aussi vendus dans la région de Kolda. Ceci prouve que l’exploitation frauduleuse marche plus en Gambie qu’au Sénégal. Cela s’explique par le fait que c’est dans ce pays qu’on trouve les principaux marchés et les grands clients exportateurs de bois; les firmes asiatiques sont installées dans ce pays d’après les personnes interrogées.
D’après les mêmes sources, les troncs sont acheminés dans les marchés de Serrekunda, Banjul et Birkama avant d’être exportés par des navires, passant par le port de Dakar pour la Chine et l’Inde. Les camions viennent charger les troncs dans les dépôts pour ensuite les transporter vers les zones de consommation. Tout au long du trajet, le transporteur négocie avec les gardes forestiers de la Gambie qui leur délivrent un laissez passez comme si les troncs étaient exploités dans leur pays.
Les commerçants ne vendent pas par tronc, ils préfèrent vendre par trentaine à la rigueur une quinzaine. Les trente troncs de Vène sont vendus entre 450000 et 500000 FCFA au niveau des dépôts. Il peut arriver qu’ils soient échangés contre des motos Djakarta sans papier, très fréquentes dans la Commune et qui sont, mis à part les vélos et les charrettes, les seuls moyens de déplacement vu l’enclavement de la zone.
Le choix de vendre par trentaine prouve l’abondance des troncs au niveau des dépôts et l’importance des ressources monétaires des clients. Les coupeurs au minimum deux, gagnent entre 1000 à 2000 FCFA par tronc, le transporteur entre 2000 et 4000 voire même 5000 FCFA par chargement, le prix varie entre la distance du site d’exploitation et le dépôt de décharge. C’est la tâche la plus risquée car il peut arriver qu’un garde forestier l’attrape ou saisisse sa charrette.
Cette chaine des valeurs montre que les coupeurs et les transporteurs qui prennent les plus grands risques sont les moins payés et les commerçants qui en prennent moins profitent plus de cette activité. Il peut arriver aussi que le commerçant se retrouve dans la coupe et le transport pour réduire non seulement les frais mais aussi trouver des solutions en cas de problèmes.
Toutes les personnes qui ont répondu aux questionnaires confirment qu’il y a eu des saisies de charrettes, des incarcérations, des amendes dans la Commune. Malheureusement, les données concernant les contentieux n’ont pas pu être obtenues au niveau communal, ni départemental.
L’analyse de celles-ci, auraient permis d’avoir une idée sur le montant qu’ils génèrent annuellement comme surplus dans les caisses de l’Etat.
Heureusement, le long séjour sur le terrain, a permis de comprendre que, si l’agent forestier attrape une charrette, il l’amène chez le chef du village dans lequel l’infraction est commise, ensuite les troncs sont déchargés dans la concession, et sont confiés de même que les charrettes, l’âne ou le cheval au chef de village.
Les feux de brousse
La présence des feux de brousse a été signalée par 25% des personnes enquêtées comme étant le principal facteur d’appauvrissement des ressources ligneuses de la Commune. Malheureusement, les données les concernant n’ont pas pu être obtenues au niveau de l’IREF de Kolda.
Les populations ont affirmé que chaque année, la forêt en est victime. Selon certaines personnes interrogées, ce sont les branches de Vène et parfois même des troncs de Kapokier laissés sur place par les exploitants après coupe qui les intensifient, puisque ces deux espèces prennent vite feu, et la Commune ne dispose pas de matériels de lutte efficaces pour les neutraliser à temps.
Les défrichements agricoles
Les données de l’occupation du sol de la Commune de Badion obtenues à la Direction des Travaux Géographique et Cartographique (DTGC), ont permis de déterminer la manière dont le sol est occupé au niveau de la Commune.
A la lecture de ce tableau, la savane occupe la superficie la plus importante avec 20699 ha, suivie de la zone de culture surtout en associant les cultures proprement dites de celles irriguées qui font en tout 9938 ha. La zone bâtie est très faible 84 ha. Il est important de rappeler que ces données datent de 2009, donc la population a pu croitre.
L’accroissement de la population accentue les besoins d’espace d’habitation et agricole, d’où le défrichement de nouvelles zones de culture. La plupart des personnes interrogées, ont signalé la pauvreté des sols au niveau des zones agricoles et préconisent de nouveaux champs. Seul 1% de la population considère les défrichements agricoles comme le principal facteur d’appauvrissement des ressources ligneuses. L’observation des zones de cultures montre que les populations font une culture extensive, on voit des champs de mil, de maïs mais surtout d’arachide et de coton à perte de vue.
L’importance des terres agricoles fait que des Gambiens ont des champs au niveau de la Commune.
L’étude effectuée par Mamadou Saliou Keita en 2010, montre que la distribution des terres est l’apanage du Conseil Rural mais actuellement avec l’acte trois de la décentralisation, le Maire. Le défrichement est du ressort des agents du service des Eaux et Forêts qui doivent faire une étude d’impact avant de donner le feu vert pour que le demandeur puisse entamer le travail. Ce qui fait que la procédure est jugé trop longue par les paysans qui préfèrent défricher clandestinement, et payer l’amende une fois arrêtés. Ceci est constaté dans une des placettes effectuées à Dioulanguel Banta où il y avait des défrichements illégaux, confirmés par l’agent forestier qui supervise la zone.
Les placettes d’inventaire effectuées dans les zones de culture prouvent que même si, la majeure partie des personnes interrogées ne la considère pas comme étant le principal facteur d’appauvrissement des ressources ligneuses au niveau de la Commune, elle ne reste pas incontournable, vu la faible représentativité des espèces ligneuses au niveau des zones de cultures.
L’action des autorités locales sur la gestion des ressources forestières
La gestion des ressources naturelles dans le but d’une utilisation durable, a toujours été un souci pour les autorités Sénégalaises. Des stratégies de gestions ont été effectuées en passant par la méthode coercitive, à celle participative. La première méthode, qui mettait à l’écart les populations riveraines des forêts n’a pas eu les résultats escomptés car les populations se sentaient lésées, donc elles ne voyaient pas l’intérêt à protéger une forêt dont elles ne bénéficiaient pas ; évidemment, la méthode a échoué. C’est ainsi qu’en mars 1996, l’Etat du Sénégal a promulgué une loi portant sur le transfert des compétences aux Régions, aux Communes et aux Communautés Rurales en décentralisant le pouvoir pour que toutes les couches sociales puissent ressentir des améliorations dans le milieu où elles évoluent.
Cette loi fait que la gestion des ressources naturelles est du ressort des autorités locales comme il est écrit dans l’article 30: « la gestion des forêts sises en zones de terroir sur la base d’un plan d’aménagement approuvé par l’autorité compétente de l’Etat ».
Malgré cette loi, les autorités locales de Badion à savoir le Maire, ses Conseillers et les Chefs de villages ont du mal à faire face à cette activité frauduleuse du bois d’œuvre. Tous les chefs de villages et conseillers interrogés ont répondu qu’ils ne disposent pas de moyens pour faire face aux exploitants. D’après eux, ces derniers ne connaissent que l’autorité forestière. Les agents des Eaux et Forêts ont non seulement une tenue de travail mais aussi une arme de service qui fait qu’ils sont facilement reconnaissables, sans avoir à se présenter verbalement. Alors qu’eux, ils n’ont juste qu’un titre qui n’effraie nullement les exploitants. En ce qui concerne le Maire qui est nouvellement élu, il a déclaré qu’il va organiser des campagnes de sensibilisation pour que les populations osent dénoncer les exploitants et organiser des comités de surveillance de la forêt.
Pour les enquêtes adressées aux ménages concernant l’explication de l’inertie des élus locaux face à cette exploitation frauduleuse, les résultats obtenus sont listés sur le tableau suivant