Les explications à la présence.
Séquence réalisée par M. Carlos Guerreiro, professeur certifié de Lettres Modernes, pour ses élèves de seconde du lycée de l’Arc à Orange (84) Objet d’étude : « Genres et formes de l’argumentation : XVIIème et XVIIIème siècle » La séquence s’articule autour de trois groupements de textes : Un groupement en lien avec l’étude de l’argumentation directe (lectures analytiques et cursives) : ◦ Le Poème sur le désastre de Lisbonne, Voltaire (1756). ◦ La Lettre sur la Providence, 18 août 1756 : réponse de Rousseau à Voltaire. ◦ Un extrait du Sermon sur la Providence de Bossuet (1662). ◦ Deux textes contemporains qui permettent d’introduire la séquence : « De Lisbonne à Haïti, penser la catastrophe », article de Fabien Trécourt, publié dans Philosophie magazine (15 janvier 2010), et « Le tesson de Job ou le non-sens de la souffrance », in Grandes légendes de la pensée de Henri Pena-Ruiz. Un groupement en relation avec les cultures de l’Antiquité et l’histoire des arts (lectures cursives et analyse d’images) : ◦ L’Ancien Testament, Le Livre de la Genèse – 3, le récit de « La Chute », traduction de Louis Segond – 1874 ◦ Les Travaux et les jours, Hésiode, traduction d’Ernest Falconnet : le mythe de Pandore ◦ Un dossier iconographique comportant diverses représentations du récit biblique, du mythe de Pandore et de châtiments divins infligés aux hommes. Un dernier groupement centré sur l’étude de l’argumentation indirecte (lectures analytiques) : ◦ Candide ou l’Optimisme, Voltaire (1759) : le chapitre 6 in extenso. ◦ « Conte oriental », Le Bon sens, Le Baron d’Holbach (1772) : œuvre intégrale. ◦ En prolongement, et pour comparaison avec le conte d’Holbach, un extrait d’un essai où celui-ci critique la Providence : « Ce qu’on appelle Providence n’est qu’un mot vide de sens ». L’ensemble des textes ainsi que les évaluations sont fournis en annexe à la fin du présent document. Un dossier iconographique accompagne ce document : il est téléchargeable sur le site Internet de Lettres de l’académie d’Aix-Marseille. L’exploitation du dossier iconographique peut donner lieu à des activités TICE dont les modalités sont précisées à la séance 7. Séance 1 : Introduction à la séquence Objectifs : Il s’agit de poser le plus simplement possible les enjeux de la séquence en donnant toute son actualité et son acuité à la question du mal. Le premier texte établit un parallèle entre les catastrophes récentes (ici, le séisme d’Haïti du 12 janvier 2010, mais notre époque offre malheureusement d’autres exemples que l’on peut évoquer) et le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, puis rappelle les positions respectives de Voltaire et Rousseau qui s’opposèrent à cette occasion. L’étude de ce premier texte permet un ensemble de révisions autour de l’argumentation (notion de thème / thèse / argument). Le second texte est un extrait tiré d’un recueil d’articles du philosophe Henri Pena-Ruiz qui revient sur les questions que soulève la présence du mal sur terre. Partant du postulat d’un Dieu bon et tout-puissant, le philosophe propose une série de raisonnements déductifs qui, essayant de concilier l’existence du mal et les attributs divins, aboutissent tous à une contradiction insoluble. Ce texte est l’occasion d’un travail autour du raisonnement déductif et de l’expression de l’hypothèse.
Activités autour du texte.
On s’intéresse ensuite à l’organisation du texte. Consigne : résumez le contenu de chaque paragraphe en une phrase. P. ex. : « Dans le premier paragraphe, le journaliste relate le tremblement de terre d’Haïti de janvier 2010 et évoque son bilan humain. Dans le deuxième, il établit un parallèle avec le séisme de Lisbonne de 1755 et rappelle les critiques émises par Voltaire contre les idées philosophiques optimistes de l’époque. Dans le troisième, il mentionne la position de Rousseau qui voit dans la catastrophe bien plus de responsabilités humaines que naturelles. Enfin, dans le dernier paragraphe, le journaliste indique que la catastrophe avait été prévue dès 2002 et conclut sur un partage des responsabilités : la faute revient aussi bien à la nature qu’aux hommes. » On n’attend pas à ce stade une analyse approfondie des thèses et arguments de Voltaire et Rousseau (cette analyse viendra par la suite). c) On procède à une explication, cruciale pour la suite de la séquence, des idées de Leibniz et du sens du mot « providence ». Il s’agit de rendre ces notions accessibles à des élèves de seconde : on peut se limiter dans un premier temps à l’explication de l’idée d’ « optimisme » et du credo « tout est bien » (voir 1er point ci-dessous), sans évoquer les problèmes que pose la coexistence du mal et d’un Dieu bon et tout-puissant (points qui seront abordés avec le deuxième texte et la suite de la séquence). Gottfried Leibniz (1646-1716) : philosophe chrétien allemand dont les idées philosophiques tentent de concilier la présence du mal sur terre et l’existence d’un Dieu tout-puissant et infiniment bon. Le mot d’« optimisme » sera utilisé au XVIIIème siècle pour qualifier ses idées philosophiques, résumées par Pope dans l’axiome « Tout est bien ». D’après ce philosophe, Dieu a créé le « meilleur des mondes possibles ». Leibniz parvient ainsi à expliquer et à justifier la présence du mal : 1 – Le mal est le signe de l’imperfection du monde. Pour le philosophe, cette évidence n’entre pas en contradiction avec l’existence d’un Dieu bon et tout-puissant : le monde ne pouvait être parfait, car seul Dieu est la perfection même. Ainsi, parmi tous les mondes possibles que Dieu pouvait créer, il a créé le meilleur, même s’il est imparfait. 2 – Les souffrances et catastrophes que subissent les hommes s’expliquent aussi : le mal peut soit se justifier comme la punition d’une faute commise (c’est l’idée du châtiment divin), soit comme un mal nécessaire à une plus grande perfection (les épreuves vécues permettent à l’homme de s’améliorer dans la vertu) ou à un plus grand bien (opposition entre un mal particulier et le bonheur général). De plus, l’homme ne pouvait non plus être parfait, sinon il serait Dieu : lorsqu’il commet le mal, c’est qu’il fait un mauvais usage de sa liberté. 3 – Enfin, Leibniz souligne l’incapacité de l’homme à comprendre les plans divins, les desseins cachés de la Providence. Ce qui nous apparaît comme un malheur n’en est peut-être pas un au regard de Dieu. Si le sens du malheur nous échappe, nous devons cependant croire que Dieu a tout prévu et que notre salut est garanti, si ce n’est en ce monde, au moins dans l’au-delà. La notion de « Providence » : terme désignant à la fois la volonté et l’action de Dieu. C’est l’idée que tout dans le monde a été conçu et organisé par la volonté divine pour assurer le bonheur de l’humanité, même s’il nous est impossible de comprendre le sens des malheurs sur terre (catastrophes, tragédies, …).
On rappelle les notions de thème, thèse, argument et exemple dont on donne une définition. Les élèves doivent ensuite repérer et reformuler la thèse de Voltaire et son argument principal à partir du 2ème paragraphe, puis la thèse de Rousseau et ses arguments à partir du 3ème. Pour ce faire, on demande de repérer les verbes qui indiquent une prise de position de Voltaire (« il critique », « il s’attaque aux… », …). Ces verbes permettent de conclure qu’il y a là plutôt contestation d’une thèse existante qui est niée (celle de « l’optimisme ») : on introduit ainsi la notion de réfutation. L’étude des verbes liés à la position de Rousseau (« relativise », « soulignant », « réaffirme ») indique au contraire l’affirmation réelle d’une thèse (d’abord nuancée, puis plus ferme). Pour finir, les élèves doivent reformuler la position du journaliste, lisible dans la dernière phrase de l’article. P. ex. : Thèse de Voltaire : réfutation de la thèse « optimiste » de Leibniz (caricaturée dans Candide). Argument : constat de la présence du mal sur terre (« au milieu des massacres et des catastrophes » l.15). [Remarque : on peut indiquer aux élèves que Voltaire ne nie ni ne rejette l’idée de Providence : il n’est pas athée mais théiste. En revanche, il critique les conclusions « optimistes » que tirent les épigones de Leibniz : l’axiome du « tout est bien » pourrait mener à une passive et dangereuse résignation (si tout est déjà au mieux dans le monde, à quoi bon tenter de l’améliorer ?), bien éloignée du militantisme du philosophe qui s’illustre dans sa devise « Écrasons l’infâme ».] Thèse de Rousseau : défense de la thèse « optimiste » Arguments : 1. L’homme porte plus de responsabilités dans la catastrophe que la nature (pour Rousseau, le terme de « nature » prend évidemment le sens de « Dieu ») 2. Relativité du malheur (la mort dans le tremblement de terre est peut-être un moindre mal à l’échelle d’une vie qui aurait pu connaître de « plus grands malheurs » qu’une mort soudaine) Position du journaliste : la catastrophe est imputable à la fois à la nature et aux hommes. e) On termine par une brève synthèse des enjeux liés à la séquence. Plusieurs questions se posent face à l’existence indiscutable du mal dont les catastrophes sont l’incarnation : comment l’expliquer et à qui la faute ? Rousseau dédouane la Providence pour incriminer l’évolution des sociétés humaines : c’est donc la faute à l’homme. Voltaire semble condamner la Providence à travers la remise en cause de l’optimisme (en réalité, sa position est plus ambiguë, et ce problème est source de bien des interrogations : voir son article « Bien (tout est) » du Dictionnaire philosophique où il finit par conclure : « non liquet, cela n’est pas clair »). Activités autour du texte 2 : a) A partir d’une première lecture, on demande d’identifier le thème de l’extrait. b) On introduit le raisonnement déductif que l’on oppose au raisonnement inductif à partir d’exemples simples (comme les syllogismes p. ex.). On revient ensuite brièvement sur l’expression de l’hypothèse (on se limite à la conjonction « si » et à l’expression du potentiel ou de l’irréel dans des phrases associant les temps suivants : présent de l’indicatif dans la subordonnée / présent ou futur dans la principale ou imparfait dans la subordonnée / conditionnel présent dans la principale).