LES EXPANSIONS DU NOM EN FRANÇAIS

LES EXPANSIONS DU NOM EN FRANÇAIS

POSITIONNEMENT ET STRUCTURE DES EXPANSIONS DU NOM

La langue est un outil de communication dont le locuteur se sert pour exprimer ses idées, ses émotions ou tout simplement pour rendre compte, de façon plus ou moins objective, ou alors avec une certaine subjectivité, des choses, des êtres et des événements qui passent sous le scanner de ses perceptions. Or pour réaliser ces objectifs spécifiques dans la communication qui serait donc l’objectif général que vise le locuteur, il y a nécessité à recourir aux expansions du nom qui ont une valeur informative dans le discours tant oral qu’écrit puisqu’elles viennent graviter dans l’orbite du substantif avec pour vocation de modifier, du moins de relativiser son sens. Il sera question pour nous, plus que toute autre chose, d’observer les circonstances qui gouvernent le positionnement des expansions nominales dans la sphère du nom auquel elles se rapportent. S’il est vrai que le propre de toutes les expansions nominales c’est de jouer à la prolongation du nom qui est le seul terme qui les régit, il n’en demeure pas moins que celles-ci n’entretiennent pas les mêmes rapports syntaxiques et n’ont pas le même positionnement dans l’environnement géographique du substantif, c’est-à-dire la sphère de délimitation du nom recteur. Les expansions du nom peuvent se placer avant ou après le nom selon leur nature et leurs propriétés syntaxiques. Alors ils entretiennent avec lui des relations d’antéposition ou de postposition qu’il conviendrait d’analyser pour en connaître les mécanismes de fonctionnement. De plus il serait intéressant de voir, au-delà du fait qu’elles se placent avant ou après le nom recteur, le caractère immédiat ou éloigné de cette relation entre le nom et son expansion : certaines expansions nominales peuvent être séparées du nom dont ils dépendent par un mot ou groupe de mots intermédiaires, alors que d’autres ne se prêtent absolument pas à une séparation avec le substantif de tutelle. En outre, l’analyse de la structure propre et collective de chacune des expansions du nom ne sera pas en reste dans cette analyse syntaxique.

LES EXPANSIONS DU NOM EN FRANÇAIS : ÉTUDE À PARTIR D’UN CORPUS DE LA LITTÉRATURE D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE 

L’adjectif épithète : positionnement et aléas structurels Partie intégrante du GN, l’adjectif épithète, qui est étroitement lié au nom, contribue à en modifier le sens. Ainsi, à l’image du complément du nom, l’épithète relève du nom auquel il vient apporter une précision supplémentaire. Autant pour l’adjectif qualificatif que pour les autres formes adjectives aptes à remplir la fonction épithète, il y a toujours une relation particulière avec le nom. Ce lien entretenu avec le terme régisseur est très révélateur quant à l’évaluation de la valeur sémantique de l’adjectif épithète. En effet, cette valeur de sens n’est pas la même selon qu’il s’agisse d’un adjectif de relation ou d’un adjectif qualificatif, mais elle est aussi variable en fonction du rapport entre le substantif et son caractérisant. Il apparait ainsi que la question de la valeur sémantique de l’adjectif épithète est indissociable de celle qui est relative à la place qu’il occupe par rapport au terme régisseur. Il est vrai que l’adjectif peut se placer avant ou après le substantif, mais il n’en demeure pas moins que l’occupation de l’une ou de l’autre place par l’épithète peut être sujette à une compréhension variable de l’énoncé. On n’a pas évidemment la même valeur sémantique quand on dit : « Le Président Abdou DIOUF est un homme [grand » et quand on dit : « Le Président Abdou DIOUF est un grand] homme ». Dans le premier énoncé, l’adjectif épithète « grand » est placé après le Nom, « homme » : on peut dire qu’il apporte au nom une information supplémentaire concernant la taille de la personne désignée. Il s’agirait, le cas échéant, d’un renvoi à une dimension physique de l’élément du monde désigné par le nom. Dans le second énoncé, par contre, l’adjectif épithète « grand » qui est placé avant le nom, « homme », renverrait moins à la taille qu’à la valeur de la personne en question. Grâce à la syntaxe qui permet, dans le cas d’espèce, l’antéposition de l’adjecitf épithète, « grand » a une dimension immatérielle, une valeur abstraite puisqu’il correspond à un jugement de valeur. Alors dans ce cas, la grandeur de la personne s’est mesurée plus par les actes qu’elle a posés, c’est-à-dire son œuvre, par le sens de sa vie, par les valeurs positives qu’elle a incarnées, que par son esthétique c’est-à-dire sa taille. Ainsi l’antéposition de l’adjectif épithète traduirait une subjectivité du locuteur là où sa postposition reflèterait une objectivité du sujet parlant. Sur ce rapport, le choix de l’antéposition ou de la postposition de l’adjectif épithète, qui est une prérogative que la syntaxe offre à l’énonciateur qui en use souvent librement, révèle une orientation sémantique donnée par le concepteur du message. Dans la mesure où choisir c’est exclure, on peut soupçonner par cette sélection une subjectivité chez le locuteur qui, sur deux options syntaxiques avec chacune une conséquence sémantique particulière, en a choisi une au détriment de l’autre. Il faut quand même constater qu’en français moderne de plus en plus la tendance est à la postposition de l’adjectif ; ce qui est plus ou moins le fruit d’un long parcours qui se caractérise entre autre par un rétablissement de l’ordre au XVIIème siècle déjà, où les grammairiens, dont Vaugelas cité par (KUKENHEIM, 1968), « [conseillaient], (…), à leurs lecteurs de consulter l’oreille. Le rythme du Français moderne a amené de nouveau un ordre « progressif » et rejette l’adjectif à la fin. » Ainsi, la postposition est devenue ce qu’on pourrait considérer comme une forme non marquée à l’opposé de l’antéposition, la forme marquée. Nous avions souligné dès le premier chapitre de la première partie de ce travail, que nous avons intitulé Identification et Classification des expansions du nom, que la fonction épithète n’est pas l’apanage de l’adjectif qualificatif qui, en réalité, y est concurrencé par d’autres outils de caractérisation, en l’occurrence l’adjectif de relation, le participe passé et l’adjectif verbal. Un des critères distinctifs de l’adjectif dit « pur », c’est-à-dire l’adjectif qualificatif, c’est son aptitude syntaxique à se placer avant ou après le nom à la différence des autres types d’adjectifs. En effet, les adjectifs de relation, particulièrement, et, dans une moindre mesure, les adjectifs verbaux, sont généralement postposés au substantif qui les régit. Si la tendance est à la postposition, qui apparaît comme la forme marquée, et spécialement pour les adjectifs occasionnels, il est établi que beaucoup d’adjectifs dits « purs » ou encore « primitifs » ont tendance à se placer systématiquement après le substantif. Étant donné le caractère incontournable du rapport entre l’adjectif épithète et le nom régisseur, notamment la place qu’occupe le caractérisant quant à la précision de sa valeur sémantique, il devient nécessaire d’identifier les facteurs qui peuvent influencer la syntaxe s’agissant de l’occupation d’une place ou d’une autre par l’adjectif vis-à-vis du nom dont il dépend.

Les facteurs morphologiques

Les facteurs morphologiques sont marqués par un certain nombre d’influences qui peuvent être d’ordre rythmique ou morphosyntaxique.

Influences d’ordre rythmique

On trouve dans (le Petit Larousse, 1993), dictionnaire de langue française, la définition suivante du mot rythme : « En prosodie, cadence régulière imprimée par la distribution d’éléments linguistiques (temps forts et temps faible, accents etc.) à un vers, une phrase musicale, etc. ; mouvement général qui en résulte. » Par analogie à la versification classique propre à la poésie, le rythme peut parfois permettre de justifier la place de certains adjectifs épithètes par rapport au Nom qui les régit, compte tenu de leur taille, c’est-à-dire le nombre de syllabe qui les compose.

L’adjectif épithète est monosyllabique

Pour les besoins du rythme, de l’harmonie sonore ou de la commodité auditive, beaucoup d’adjectifs, du fait de leur taille (nombre de syllabe), sont placés soit avant, soit après le nom. Les adjectifs qualificatifs monosyllabiques sont le plus souvent antéposés au terme régisseur. C’est ici le phénomène de la versification qui est plus ou moins en vigueur. Il s’agit de l’influence de la méthode utilisée dans la décomposition et la lecture d’un texte poétique. En effet, au-delà de la scansion des vers, il est question du placement des accents (mobiles ou fixes) en fonction des groupes rythmiques, qui constituent les différentes mesures. L’accentuation, consistant en une élévation de la voix pour marquer une syllabe forte, dite tonique, lors de la déclamation d’un poème, est immédiatement suivie d’une pause respiratoire (une coupe) permettant de distinguer les différentes mesures (les groupes rythmiques). C’est l’ensemble de ces paramètres qui font le rythme du poème ; cela marque davantage la progression de l’information, l’évolution de la pensée. Par analogie à cette méthode de la versification classique, on peut comprendre le placement d’un adjectif monosyllabique avant le nom qui comprend plus d’une syllabe et qui doit porter l’accent pour permettre de distinguer le groupe rythmique. Par souci de commodité auditive pour ne pas dire de musicalité, étant entendu que la musique se voudrait une combinaison des sons de manière agréable à l’oreille, la recherche d’harmonie et de rythme sonore influence parfois l’emplacement de l’adjectif épithète avant le substantif. Mère Soukaїna paraissait alors se recueillir un instant, puis, hochant tristement la tête, laissant sourdre un grand] soupir et, lentement, reprenait le fil de son discours.  Les adjectifs « grand », « fin » et « bon », qui sont monosyllabiques, sont antéposés au substantif recteur dans les GN « un grand] soupir »; « sur le fin] visage » ; « de bon] médecin ». Placés devant le nom recteur, ces adjectifs monosyllabiques font corps avec ce nom pour constituer une mesure c’est-à-dire un groupe rythmique. Cette mesure tient sur le fait qu’elle se lit d’un trait et qu’elle porte un accent rythmique à travers sa dernière syllabe tonique. Or si ces adjectifs monosyllabiques sont placés après le substantif recteur, ils marquent une rupture dans le groupe rythmique et fractionnent la mesure en deux entités sonores portant chacune son propre accent de groupe. – [un grand soupir] = [un soupir] [grand] – [sur le fin visage] = [sur le visage] [fin] – [de bon médecin] = [de médecin] [bon] On voit que ces groupes rythmiques sont fractionnés en deux du fait de la postposition des adjectifs épithètes monosyllabiques qui se rapportent aux substantifs recteurs.

Le substantif recteur est monosyllabique

Notons également que toujours sous l’influence du facteur d’ordre rythmique, les adjectifs épithètes se rapportant à des substantifs courts (monosyllabiques), sont généralement placés après ceux-ci. Dans ce cas, c’est l’adjectif qui porte, en effet, l’accent afin de distinguer le groupe rythmique. De temps en temps, une voix [virile excédée met en garde, redéfinit le rassemblement. Une si longue lettre, p. 14 Cheminant à travers les rues [poussiéreuses, la femme du père Benfa butait souvent contre un caillou… Sous l’orage, p.44 Il conviendrait cependant de noter que ces considérations d’ordre rythmique, si elles peuvent permettre d’expliquer l’emplacement de l’adjectif épithète par rapport au nom, elles ne sont pas pour autant à prendre comme une règle définitive et générale. Le critère monosyllabique n’est pas une condition sine qua non pour la postposition de l’adjectif vis-à-vis du substantif ou celle du substantif court par rapport à un adjectif long. Les exemples qui vont suivre présentent des situations allant à l’encontre de ces considérations de rythme.  … les femmes présentes, prévenues de l’opération, se lèvent et jettent sur la toiture mouvante de piécettes pour conjurer le mauvais] sort. Une si longue lettre, p. 10 L’abandon de sa première famille (ma famille et moi) était conforme à un nouveau] choix de vie. Une si longue lettre, p. 22 Victime d’un triste] sort que vous n’avez pas choisi… Une si longue lettre, p. 25 Dans les exemples précédents, l’antéposition au nom régisseur est le lot des différents adjectifs épithètes en présence, indifféremment du critère monosyllabique de ces substantifs. Ce choix syntaxique pourrait s’expliquer par une primauté de la subjectivité du message délivré. En effet, l’auteure du roman, Une si longue lettre, s’est généralement inscrite dans une logique de dénonciation des abus perpétrés par les hommes contre la gent féminine. Dans ce récit à la première personne, la narratrice, également personnage principal, prend le parti de la femme africaine en particulier. La subjectivité notée dans la syntaxe, à travers l’antéposition des adjectifs épithètes au nom recteur, est le corollaire d’un registre apparemment féministe. C’est cette même tendance subjective qui justifie l’antéposition par rapport à leur nom recteur des différents adjectifs épithètes dans le prochain exemple Et le pauvre] homme abandonnait sa pauvre] fille à son misérable] sort et aux mains de la méchante] femme. Les nouveaux contes d’Amadou Koumba, « La cuiller sale », p.178 En vérité, le narrateur veut à travers ce choix de l’antéposition syntaxique des épithètes, produire une tonalité pathétique pour mieux signifier la plainte de la victime en l’occurrence le personnage principale du conte, en l’occurrence Binta, l’orpheline. L’emplacement des adjectifs épithètes avant les noms dont ils dépendent est révélateur d’une absence de neutralité chez le conteur qui chercherait à émouvoir son auditoire et ses lecteurs en partagent sa propre émotion à travers son parti pris et son pathos clairement affiché.

Table des matières

 INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : ÉTUDE FORMELLE DES EXPANSIONS  DU NOM
CHAPITRE I : IDENTIFICATION ET CLASSIFICATION DES EXPANSONS DU NOM
CHAPITRE II : MORPHOLOGIE ET EMPLOI DES EXPANSIONS DU NOM
DEUXIÈME PARTIE : ÉTUDE SYNTAXICO-SÉMANTIQUE DES EXPANSIONS DU NOM
CHAPITRE III : POSITIONNEMENT ET STRUCTURE DES EXPANSIONS DU NOM
CHAPITRE IV : VALEUR SÉMANTIQUE DES EXPANSIONS DU NOM
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
INDEX

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