Les évaluations économiques en population dans les prises en charge des cancers
Les méthodes d’évaluation économique
Selon la Haute Autorité de Santé (HAS), les EME mettent en regard les résultats attendus d’une intervention de santé avec les ressources consommées pour la produire (3). Leur objectif est de comparer les différentes options envisageables pour les décideurs selon leurs résultats et en fonction des ressources mobilisées, en vue d’une allocation optimale des ressources. Cet objectif équivaut à une recherche d’efficience. L’EME fait ainsi face à deux logiques décisionnelles. Au niveau de la population entière, l’éthique impose de mener une réflexion sur la répartition optimale et équitable des ressources disponibles. Elle concerne un choix collectif. Au niveau médical, la déontologie suppose de pouvoir prendre en considération et d’appliquer à l’individu l’ensemble des données de la science disponible. Elle relève d’un choix individuel. L’EME des programmes de santé peut être définie comme « l’analyse comparative d’options possibles, sur la base de leurs coûts comme de leurs conséquences » (). Le premier travail associé à ces évaluations consiste donc à identifier, mesurer et comparer les coûts et les conséquences des options envisagées. Ce travail intégrant la définition préalable des options, caractérise toutes les EME menées dans le secteur de la santé. Les évaluations économiques en santé apportent également des informations sur les coûts d’une pathologie, et les conséquences sur le budget d’un financeur de l’introduction et la diffusion sur le marché d’un nouveau programme de santé. L’EME explore alors différentes facettes d’un tel programme. Selon Drummond, on peut les appréhender sous la forme d’input et d’output (). Les inputs correspondent aux ressources consommées par le ou les programmes évalués. Les outputs représentent les conséquences du ou de ces programmes. Les conséquences peuvent être exprimées de différentes façons selon le type d’EME réalisée. Elles peuvent être représentées par des coûts évités ou supplémentaires, par une mesure de l’efficacité (morbidité, mortalité, survie), par une quantification de l’amélioration de l’état de santé (qualité de vie) ou par un bénéfice (prix de la vie humaine). Soient A et B deux programmes mis en comparaison. On schématise le choix à faire entre les deux programmes selon la figure 1. Figure 1. Analyse comparative de deux programmes de santé La nature précise des coûts et des conséquences à prendre en compte et leurs évaluations seront discutées dans les paragraphes suivants. Cependant dès lors qu’on évalue deux programmes A et B, on compare en règle générale la différence entre les coûts à la différence entre les conséquences, dans le cadre d’une analyse différentielle. Choix Coûts A Coûts B Programme A Comparateur B Conséquences A Conséquences B Le tableau 1 permet de distinguer les différentes situations d’évaluation en santé communément rencontrées dans la littérature, à partir des réponses apportées aux deux questions suivantes : – Etudie-t-on à la fois les coûts et les conséquences des options envisagées ? – Y a-t-il une comparaison entre plusieurs options ? Tableau 1. Les différents types d’évaluation en santé. Quand les deux réponses aux questions posées sont négatives (cadrant situé en haut et à gauche), on se retrouve dans le cas d’une absence de comparaison entre les options. L’évaluation du programme se limite à une description des résultats. Dans un cas, l’évaluation est restreinte à la description des conséquences cliniques. Dans l’autre cas, l’étude se limite à la description des coûts. On parle alors d’étude de type « Cost Of Illness » (COI). Lorsqu’on décrit les résultats et les coûts d’un seul programme (cadran situé en haut et à droite), l’évaluation porte le nom de description coût-résultat. Le cadran situé en bas et à gauche correspond aux situations dans lesquelles deux options ou plus sont comparées, sans que ni les coûts, ni les conséquences de chacun des programmes concurrents ne soient examinés simultanément. Il peut alors s’agir d’une évaluation de l’efficacité théorique ou de l’efficacité pratique, ou bien d’une analyse de coûts. Dès lors que la réponse aux deux questions posées est positive, c’est-à-dire que les coûts et les conséquences de plusieurs programmes de santé sont à la fois évalués et comparés entre eux, on a alors recours aux évaluations économiques globales ou EME (cadran situé en bas et à droite) qui peuvent être déclinées en quatre types d’analyse : les Analyses de Minimisation des Coûts (AMC), les Analyses Coût-Efficacité (ACE), les Analyses Coût-Utilité (ACU) et les Analyses Coût-Bénéfice (ACB). Nous présentons dans les paragraphes suivants les études de types COI ainsi que les différentes EME. Nous présentons également l’Analyse d’Impact Budgétaire (AIB) qui permet d’analyser l’accessibilité financière d’un programme de santé pour le payeur.
Analyse de coût ou « Cost of Illness »
Selon Jefferson et al, l’objectif des études COI est descriptif (). Elles visent à détailler, évaluer et additionner les coûts d’une pathologie particulière dans le but d’étudier son fardeau économique. Une étude de type COI portant sur une maladie spécifique met en évidence les économies potentiellement réalisables si la maladie en question venait à disparaitre (). Ce type d’étude apporte des informations importantes sur les différentes composantes du coût et leur poids respectif dans le coût total de la pathologie étudiée. De telles informations peuvent par nature aider les décideurs à identifier des priorités de recherche et de financement en mettant en avant les domaines dans lesquels des économies potentielles peuvent être réalisées (). Les estimations des coûts peuvent également aider à la réalisation d’EME. Les études COI apportent un grand nombre d’informations sur les coûts d’une pathologie qui peuvent ensuite être utilisées dans l’implémentation de modèles mobilisant des données agrégées issues de la littérature. Afin de réaliser une étude COI, Il est nécessaire d’identifier, de répertorier, de mesurer et d’évaluer les coûts d’une pathologie, et des conséquences qu’elle peut engendrer (complications, comorbidités…). Deux approches peuvent être développées: l’approche reposant sur la prévalence et celle sur l’incidence. L’approche fondée sur la prévalence permet d’estimer le coût total d’une maladie contractée au cours d’une année donnée. Elle permet d’estimer le poids économique d’une pathologie, si possible pour la société. L’approche par incidence permet d’estimer les coûts induits par une maladie sur une période de temps, qui peut aller du diagnostic initial jusqu’à la guérison ou tout autre évènement, chez des patients nouvellement diagnostiqués. Elle est particulièrement adaptée à l’évaluation des conséquences économiques des pathologies car elle permet d’étudier finement les coûts des différentes phases de la prise en charge d’une pathologie (diagnostiques, thérapeutiques, complications, rémissions, fin de vie) (). Cette approche offre également la possibilité de disposer d’une base de référence qui aidera à évaluer les innovations dans le domaine de la santé (). L’approche par prévalence est préférablement utilisée dans les analyses d’impact budgétaire en raison du fait qu’elles considèrent, au sein d’une population, l’ensemble des individus malades (). Il existe néanmoins des contre-arguments à l’utilisation d’études de types COI. Certains auteurs critiquent le fait qu’identifier un domaine de dépense relié à une maladie ne suffit pas à justifier des changements dans les actions des pouvoirs publics (). Compte tenu du fait que les maladies ne peuvent que très rarement être complètement éradiquées, les coûts totaux évalués ne peuvent être économisés en totalité. Une autre critique provient de la priorisation des pathologies étudiées dans le cadre des COI. Les pathologies présentant un lourd fardeau économique sont souvent étudiées même si nous ne savons pas s’il est possible de réaliser des économies en lien avec sa prise en charge. Les pathologies moins coûteuses pour la société sont moins étudiées alors que, dans certains cas, leur prise en charge pourrait être facilement optimisée, notamment par des interventions de prévention peu coûteuses mais apportant un gain clinique important (). Les études COI contribuent néanmoins au fonctionnement d’un système de santé efficace en apportant des informations utiles et qui peuvent aider à la réalisation d’études comprenant un critère d’efficacité clinique.
Analyse de minimisation des coûts
L’Analyse de Minimisation des Coûts (AMC) se présente comme un cas particulier de l’analyse coûtefficacité. Elle s’applique lorsque les conséquences de deux interventions sont comparables ou très proches. Elle repose sur une hypothèse très forte d’égalité de l’efficacité et de la tolérance (i.e. innocuité) des stratégies comparées. Elle revient à comparer simplement les coûts des deux options étudiées. Ainsi, l’intervention la moins couteuse devrait être choisie. Dans ce cas, on peut évoquer la comparaison entre un médicament princeps et son générique par exemple. Néanmoins, l’hypothèse d’égalité de l’efficacité est rarement totalement satisfaite. L’AMC est utilisée lorsque les niveaux d’efficacité sont jugés sensiblement équivalents. Il faut alors être en capacité de démontrer l’équivalence d’efficacité entre les options comparées. L’AMC est le plus souvent utilisée en pharmaco-économie.
Analyse coût efficacité
L’ACE est l’analyse la plus répandue parmi les EME. Elle se caractérise par la prise en compte simultanée des coûts et des conséquences des interventions étudiées. Ces analyses nécessitent l’utilisation d’un critère d’efficacité adapté. La HAS recommande l’utilisation de la durée de vie calculée à partir de la mortalité toutes causes confondues (3). Le plus souvent, un proxy de l’espérance de vie est utilisé. Pour les pathologies cancéreuses, la survie nette (i.e. relative) ou absolue (i.e. globale) ou le temps jusqu’à la progression de la maladie sont régulièrement retrouvés dans la littérature () (). La survie nette est néanmoins à privilégier car elle permet de s’affranchir des éventuelles différences de mortalité dues à d’autres causes que celle de la maladie étudiée, et facilite ainsi la comparaison entre les programmes
LES EVALUATIONS ECONOMIQUES EN POPULATION DANS LES PRISES EN VIII. EVALUATION DU COUT DE LA LEUCEMIE MYELOÏDE CHRONIQUE . 2 |