Les Etudiants et la délinquance au Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles)

Pierre Mignon : Alchimiste et faussaire

« tous autres cas et crimes par luy commis et perpetrez, en quelque manière que ce soit »696 Bien que très différente, tout aussi atypique est la vie de Pierre Mignon qui, délinquant au temps de ses études, construisit sa carrière sur les connaissances qu’il avait acquises à l’université et aussi sans doute ailleurs, pour devenir un alchimiste, un faussaire, et pour certains, un véritable sorcier697, qui réussit, en les servant, à se faire protéger des Grands. Bien qu’incomplète, cette biographie nous est connue grâce à la lettre de rémission qu’il obtint en 1459 de la part du roi Charles VII. Nous y apprenons que dans son jeune temps, il étudia en arts puis en décret à l’université de Toulouse avant de se rendre à Barcelone et « en plusieurs autres estudes et contrées »698. Barcelone ne vit son studium reconnu en tant qu’université qu’en 1450 mais un enseignement y existait bien avant et en particulier lorsque le jeune homme y vint. Cet enseignement comportait certaines matières qui étaient absentes des principales universités européennes, et pour cause, plusieurs d’entre elles étaient condamnées par l’Eglise : la magie, la chiromancie et la nécromancie. Nous pouvons d’ailleurs penser que c’est la raison principale qui conduisit Mignon en Catalogne où la culture s’était largement enrichie, depuis plusieurs siècles, des connaissances qu’y avaient apportées Juifs et arabes. Et si, en ce début de XVe siècle, la région avait été intégrée aux royaumes d’Aragon et de Castille par les rois catholiques, elle conservait une certaine autonomie et en particulier sa langue et ses principales coutumes, dont l’enseignement de certaines pratiques divinatoires faisait partie. La chiromancie était une étude des mains, consistant à interpréter leurs lignes mais aussi différentes autres formes comme les monts ou la position des doigts, chaque signe étant censé refléter un aspect de la personnalité. La nécromancie, quant à elle, consistait à interroger les morts et à donner ainsi, à celui qui la maîtrisait, de véritables pouvoirs sur la vie et sur la mort. Ces sciences divinatoires étaient considérées comme de véritables hérésies par l’Eglise. Pour ne citer qu’un exemple célèbre, la pratique de la nécromancie
Les Etudiants et la délinquance au Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles) fut l’un des chefs d’accusation – parmi de nombreux autres – qui fit condamner et envoyer au bûcher, le grand maître du Temple, Jacques du Molay en 1314. Si nous y ajoutons l’astrologie qui, elle, était une science reconnue, nous mesurons mieux comment Pierre Mignon était devenu un expert « en toutes manières de sors et ars supersticieux »699. Mais, s’il vint approfondir toutes ces techniques auprès de spécialistes catalans, il nous apparaît qu’il s’y intéressait dès son plus jeune âge. C’est ainsi, qu’à Toulouse, alors qu’il n’avait que dix-huit ans et habitait encore chez son père, il avait été accusé du vol d’une tasse de grande valeur. Au cours de l’information qui fut diligentée et menée par un certain maître Bernard des Plez, Mignon fabriqua une image pour jeter un sort à ce dernier. Le résultat fut particulièrement saisissant puisque l’homme fut atteint de paralysie et que, ne pouvant plus écrire, il fut contraint d’abandonner ses poursuites contre l’étudiant.
Quant au vol de la tasse, lui-même pose question. En effet, le jeune homme n’était pas pauvre et n’avait aucunement besoin de dérober des objets pour les revendre et ainsi gagner de l’argent. Il se trouve qu’à cette époque, et à côté des études plus classiques, il apprenait aussi l’alchimie et donc la manipulation des métaux. Nous savons que de nombreux faux-monnayeurs récupéraient des objets de valeur, en argent ou en plomb, pour les fondre et fabriquer ensuite des pièces censées se rapprocher au plus près des différentes monnaies en vigueur. Il est donc fort possible, mais ce n’est là qu’une hypothèse, que Mignon ait commencé à faire de telles expériences, qui allaient lui servir par la suite puisque le faux en tout genre, monnayage, caractères ou sceaux, allait devenir une de ses principales activités.
La suite de la lettre de rémission est très révélatrice sur le fait que cette première approche, aussi bien en matière d’envoûtement que de manipulation des métaux, allait encourager le jeune homme à se perfectionner et à développer ses connaissances à plus grande échelle. Il fut d’abord sollicité par le maître des monnaies de Toulouse à l’encontre duquel, une information venait d’être ouverte pour faux-monnayage. Utilisant la même technique que dans l’affaire précédente, il fit deux images par l’intermédiaire desquelles les deux hommes chargés de l’enquête se retrouvèrent envoûtés au point d’en venir à se battre entre eux et à s’en aller du pays, abandonnant ainsi les poursuites. Mignon se servait donc de ses capacités de magicien mais également d’alchimiste puisqu’il allait, dans la même période, mettre en place tout un trafic lié aux métaux précieux tels que l’or, l’argent ou le plomb.
Puis vint l’affaire Jacques Cœur dans laquelle il joua un rôle central au côté d’Otto Castellan, l’homme qui fit tomber le grand argentier de France. C’est en effet lui, Pierre Mignon, qui fabriqua le sceau qui permit de constituer les faux qui furent décisifs dans le procès, et qui, une nouvelle fois, fit des images de cire, l’une pour faire tomber Jacques Cœur en disgrâce, l’autre pour que « ledit Otto Castellan et ses compagnons fussent en bonne grâce et amour »700. La réussite fut totale puisque nous savons qu’il fut trouvé, chez un certain Jean Thierry, un des collaborateurs de Jacques Cœur, un sceau semblable à celui qu’utilisait le roi pour sceller ses lettres701, ce qui s’avéra décisif dans l’enquête et permit l’accusation de crime de lèse-majesté à l’encontre de l’argentier.
Par la suite, se sentant sans doute menacé en France, Pierre Mignon retourna à Barcelone. Là, il se mit au service de deux individus qui lui demandèrent de leur fabriquer tout un attirail permettant de produire de la fausse monnaie. Les deux hommes qui, grâce à cela, se livrèrent à cette activité hautement illicite, furent arrêtés et condamnés à être pendus, tandis que, une fois encore, Mignon s’en sortait sans dommages.
La lettre de rémission obtenue pour l’ensemble de ses « cas et crimes déclarés »702, n’empêcha pas, par la suite, Pierre Mignon de continuer ses activités illégales puisque neuf ans plus tard, on le retrouvait détenu à la Conciergerie de Montpellier. Il devait alors avoir encore et toujours des relations haut placées puisqu’un arrêt du Parlement de Toulouse d’avril 1468 prononçait son élargissement à la seule condition qu’il cesse définitivement « d’user à l’avenir de nécromancie, de magie et d’autres arts prohibés »703.
Ce parcours rocambolesque, s’il semble tout à fait plausible quant aux affaires de faux, apparaît plus douteux quant à la véracité des passages sur l’envoûtement, sur ces pouvoirs surnaturels que s’attribue leur auteur. Mais, au-delà de leur réalité avérée ou non, ce qui nous étonne, c’est que Mignon ait tout consigné, tout avoué, sans aucune contrainte, et en particulier les faits remontant à sa jeunesse sur lesquels il n’avait plus aucun risque d’être inquiété. Bien au contraire, se vanter, dans le très chrétien royaume de France de pratiques divinatoires passibles du bûcher, c’était prendre un risque démesuré, peu en accord avec l’intelligence dont il semble avoir été doté.
Nous pouvons dès lors nous demander pourquoi il a écrit tout cela, pourquoi il ne s’est pas contenté d’évoquer les délits plus facilement rémissibles. L’hypothèse que nous émettrons est, qu’en agissant ainsi, il ne manquerait pas d’impressionner voire de terroriser le roi de France qui aurait pu se sentir menacé par les dons d’un tel homme s’il ne lui accordait pas sa grâce. A cette époque, en effet, Charles VII avait de nombreux ennemis et craignait pour sa vie. Il était lui-même très intéressé par tout ce qui touchait au surnaturel et les exploits d’un homme tel que Pierre Mignon les mettait en avant, ne pouvaient pas manquer d’avoir de l’influence. Ce qui vient conforter cette hypothèse, c’est la façon dont il décrivit, avec une grande précision, tous les épisodes où il se serait servi de ses pouvoirs d’envoûteurs, y compris ceux qui remontaient au temps où il était jeune et étudiant, alors que sur certains faits plus récents, il se montra beaucoup plus évasif. Par exemple, sur les caractères qu’il produisit à l’intention d’Otto Castellan, il nous dit que « du nombre desquelz n’est pas bien recors »704, alors qu’il avait le souvenir précis du nombre d’images de cire qu’il fut amené à faire tout au long de sa vie.

Les Etudiants et la délinquance au Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles)

Nous terminerons cette galerie de portraits par celui qui est devenu, de par son œuvre comme de par sa vie, à la fois le mieux connu mais aussi le plus mystérieux, François Villon. Cette apparente contradiction s’explique finalement assez bien puisque ce sont justement les énigmes le concernant qui ont incité historiens et littéraires à tenter de décrypter cet homme complexe. Car il n’était pas simple pour les uns d’entrer dans les méandres de son parcours d’étudiant devenu voyou et disparaissant tout à coup sans que personne ne sache comment, et pour les autres d’analyser une œuvre riche mais dont les mots n’avaient pas toujours le sens attendu.
Le « poète maudit » est une notion qu’inventa Paul Verlaine en 1888 pour parler d’êtres talentueux mais fragiles et surtout incompris, qui rejettent les valeurs de la société dans laquelle ils vivent et pour cela se conduisent de manière asociale, voire dangereuse pour eux-mêmes comme pour les autres. Si le livre de Verlaine n’évoquait pas Villon, le concept qu’il a ainsi défini s’applique parfaitement au jeune homme qui vécut au milieu du XVe siècle.
Né à Paris en 1431, François de Montcorbier aurait pu avoir le même parcours que Jean Buridan. Comme lui, il était issu d’une famille modeste, voire pauvre. Comme lui, il entra à la faculté des arts de Paris et y obtint sa licence. Comme lui, il aimait s’amuser et fréquentait les tavernes et les femmes. Il provoqua donc certaines jalousies de la part de ses condisciples, et comme lui, un jour il se battit peut-être pour une d’entre elle, mais c’est là que leurs chemins divergèrent pour un détail : l’homme qu’avait blessé Buridan s’en tira vivant alors que celui qui fut victime de François, mourut peu de temps après.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *