Les étiologies des dermites de contact allergiques
Notre étude prospective et descriptive sur une période de 06 mois a recensé 109 cas de DCA confirmés par les patch tests. Ceci a représenté 87,2% dans 125 cas de suspicions de DCA. Les limites de notre travail étaient la non disponibilité des batteries spécialisées au Sénégal, la difficulté de recensement de tous les produits personnels utilisés par les patients et l’absence de lecture des tests à 48h, 96h et à 7 jours. Cependant , notre étude a montré une sensibilité des tests de 87,2 % , avec une positivité seule de la BSE dans 47,8% de cas , des produits personnels dans 76,38 % de cas , avec les deux dans 17,39 % des cas et une pertinence dans 80,8 % des cas . Cette sensibilité était d’autant plus importante qu’il existait une polysensibilité dans 17,39 % des cas mettant en exergue la plus grande fréquence des métaux avec en tête le Nickel (44,4 %), le Cobalt (33,3 %), suivi des produits cosmétiques type Fragrance, puis les vêtements (25,6 %) avec en tête les chaussures. De plus, il existait un lien statistiquement significatif entre l’atopie personnelle et la positivité des tests (p=0,02) et entre le sexe féminin et la positivité au Nickel (p=0,01) .
Aspects épidémiologiques
Les 125 cas de suspicion de DCA représentaient 1,48 % de l’ensemble des 3775 patients vus en consultation dans notre structure. Ce résultat était inférieur à celui retrouvé par Kostner et al en Suède qui variait entre 4 et 7 % sur une période d’un an [83]. Cette faible prévalence s’expliquerait par le fait que de nombreux patients consultent également dans d’autres structures spécialisées à Dakar. Les patch tests ( BSE et produits personnels ) étaient d’une bonne sensibilité dans 87,2 % des cas , dépassant même celle de Uter et al [46] dans une étude multicentrique dans 10 pays européens réalisée en 2005/2006 et qui avaient noté respectivement 43,5 % à Barcelone , 56,5 % à Bern et 62,5 % à Aberdeen . La sensibilité de 47,8 % trouvée à la BSE ne s’éloignait pas de celle notée par Freireich et al en Israel dans son étude portant sur 943 patients où la BSE était positive dans 44 % des cas [34]. Au Sri Lanka, keragala et al avaient trouvé une sensibilité de 54,8 % à la BSE sur 438 patients testés sur une période de 7 ans (2012-2018) [26]. En effet, une positivité à la BSE variant de 40 à 70 % a été rapportée par plusieurs auteurs [18,29,30,34,39]. Nous avons noté une forte sensibilité des produits personnels dans 76,34 % des cas. Uter et al , Tammela et al , Akasya et al , et Camacho-Hilali et al avaient trouvé respectivement des taux inférieurs à 16 % , 15 % , , 28,9 % et 7 %. [56, 55,14 ,28]. La forte sensibilité du test des produits personnels (¾ des cas) fait que ce dernier peut être une bonne alternative lorsque la BSE est inaccessible comme c’est souvent le cas dans notre contexte de travail. De plus, il peut constituer un très bon complément lorsque le produit suspecté n’existe pas dans la BSE et que nous ne disposons pas de produits spécialisés adaptés au contexte. Il peut être également d’une grande utilité en milieu professionnel. Combiné à la BSE, il renforce de manière indéniable la pertinence des positivités. En Afrique, les 61 produits traditionnels cosmétiques ou médicamenteux peuvent être testés aisément en technique semi occlusive. La pertinence des tests était significative puisqu’elle était notée dans 80,8 % des cas. Elle l’était d’autant plus qu’elle était actuelle dans plus de la moitié des cas (57,6 %). La pertinence qu’elle soit actuelle ou ancienne permettait d’établir des mesures d’éviction efficaces seul garant de l’absence de récidives. Dans l’étude de Lazarov et al. comparant les résultats des patch tests en Israel sur une durée de 7 ans (1998- 2004), la pertinence était de 68,4 %. Elle était de 67,9 % dans l’étude Akasya et al en Turquie et de 84,4 % dans l’étude de M Hajjaji et al en Tunisie [17, 14,7]. Dans les 19,2 % des cas, où une pertinence n’a pas été notée, il pouvait s’agir d’une difficulté à l’interrogatoire de recenser les épisodes, d’une omission d’une pertinence ancienne, de faux positifs ou d’une réaction croisée. Un test faussement positif pouvait induire en erreur, faisant surestimer la sensibilité des tests, il pouvaitt être dû à une réaction d’irritation ou à un emballement du système immunitaire « dos en colère ». La morphologie d’un test pouvait orienter vers une irritation : pustules, bulles à hypopion, dessiccation, nécrose, purpura isolé ou un simple érythème sans infiltration cutanée. De plus, le pH du produit testé devait être compris entre 3 et 10 [58]. La technique semi ouverte utilisée dans notre travail même pour la BSE, a évité les réactions irritatives pouvant être accentuées par la chaleur dans notre contexte de travail. . De plus, une dilution à 1% était pratiquée sur les produits rinçés comme les gels et les savons. Bien que ces faux positifs de type irritation pouvaient exister, la nette positivité des tests dans nos travaux a écarté cette hypothèse. Plusieurs cas de polysensibilisations étaient notées à la BSE, celles-ci concernaient essentiellement les métaux dans 30,55 % des cas dont 6 cas de 62 positivité combinée au Nickel et le cobalt. Akasya et al avaient trouvé une polysensibilisation aux métaux dans 58,5 % des cas. Cette dernière s’expliquerait par les réactions croisées de ces allergènes liées à des leurs similitudes structurelles [44]. Dans les cas où les tests étaient négatifs (12,8 %), il pouvait s’agir soit d’un faux négatif ou d’un défaut d’identification de l’allergène (allergène responsable manqué non testé). Les faux négatifs pouvaient être causés par une défaillance technique du test comme une occlusion ou une durée d’applications insuffisantes, une concentration insuffisante de l’allergène ou un excipient inadéquat. Dans notre technique, la première lecture à 72h au lieu de 48h pouvait rendre négatif certains tests. De plus, une lecture des tests à 7 jours n’a pas pu être faite concernant les corticoides. L’existence de ces faux négatifs, devrait faire recourir à des tests spécialisés ou tester directement les produits bruts des patients ou réaliser des tests moins standardisés (tests d’usage) non disponibles au Sénégal [7 ,31]. Dans tous les groupes étiologiques, la prédominance féminine était de mise aussi bien à la BSE que pour les produits personnels (59,2 %), cela était noté également par de nombreux auteurs [16, 33, 34,35 ,36]. Mayo et al avaient trouvé dans leur étude (2001-2005) aux Etats Unis une prédominance féminine de 66,8 % sur 3854 patients testés, Freireich et al en avaient rapporté 59 % sur 943 patients en Israel [33,34]. Cette prédominance féminine s’expliquerait par la plus forte manipulation par les femmes des produits cosmétiques, les accessoires vestimentaires et les produits d’entretien domestiques [28, 40-42]. La moyenne d’âge de nos patients de 36 ans était similaire à celle de 38,5 ans trouvée par M. Hajjaji Drouiche et al en Tunisie [7 ], et à celle de 33,4 ans notée par Akyol et al en Turquie [ 18 ] . Aux Etats Unis et en Isarel des moyennes d’âge sensiblement plus élevées étaient décrites comme Tam et al. de l’académie 63 américaine de dermites de contact (ACDS) [15] avec 47,7 ans ou Rastogi et al [24] avec 47,1 ans, et Lazarov et al [17] avec 45,4 ans. En effet, l’adulte jeune serait plus exposé du fait des activités professionnelles, de la manipulation des produits cosmétiques et des médicaments.
Aspects cliniques
Une forte prévalence de l’atopie personnelle (68 %) était notée en association avec les DCA et même un lien statistiquement significatif était trouvé entre l’atopie personnelle et la DCA (p=0,02). Akasya et al avaient objectivé une atopie personnelle dans 57 % des 542 cas d’une étude réalisée en Turquie en 2002 avec un lien statistiquement significatif entre la positivité au Nickel chez les atopiques (p<0,001) [14]. Camacho-Hilali et al dans leur étude américaine multicentrique de 5 ans sur 427 malades avaient noté une atopie personnelle dans 54 % des cas [28]. Akrout M. et al. avaient mis en évidence une atopie chez 51,5 % des patients avec une relation statistiquement significative entre l’antécédent d’atopie et le développement d’une DCA professionnelle (p = 0,001) [2]. Le diagnostic d’atopie était basé sur l’enquête allergologique dont les antécédents familiaux d’atopie , l’existence d’équivalents atopiques et les prick tests respiratoires confirmant de manière formelle cette atopie en montrant une sensibilité aux pneumallergènes dans 14,4 % des cas . De plus , par la clinique avec l’atteinte élective des plis de flexion (6,67%), la kératose pilaire (8 %) , la xérose (28,8%) et la topographie des lésions à distance de la zone contact avec l’allergène ( 9,6 %) . Ainsi, longtemps controversée, la possibilité de l’acquisition d’une sensibilisation de contact à un haptène au cours de la DA est actuellement reconnue par plusieurs auteurs .En effet, la barrière épidermique défectueuse des patients atopiques facilite l’entrée des irritants et des allergènes potentiels. De ce fait, une 64 pénétration accrue de l’allergène peut conduire à la présentation de l’antigène et à la sensibilisation, favorisant ainsi le développement de la DCA lors d’expositions ultérieures [25]. L’existence de cette atopie pouvait être à l’origine de la chronicité des lésions, de leur étendue et de l’augmentation du nombre de poussées. C’est pour cette raison que devant tout sujet atopique l’indication de patch tests est d’autant plus nécessaire que les lésions sont sévères, étendues et siègeant sur des zones inhabituelles [27]. Les formes chroniques érythémato-squameuses plus fréquentes notées dans 58,4% des cas dans notre série étaient objectivées par Hajjaji et al [7] dans 70 % des cas et par Hsinet et al [86] dans 68,8 % des cas. La chronicité des lésions érythémato-squameuses et/ou liquénifiées et l’impétiginisation attestaient du retard de consultation avec un long itinéraire thérapeutique et des traitements probablement non adaptés. Quant aux localisations, la main venait en premier (17,92) suivie des pieds (16,67 %) puis des avant-bras (15 %). La localisation des mains arrivait également en première place dans les études de Akasya et Akyol en Turquie et de Hajjaji en Tunisie dans respectivement 54,4 % , 61,7 % et 52,7 % des cas [14,18,7] . Kallat et al dans une étude multicentrique réalisée à Dakar en 2018 portant sur 60 cas de dermites de contact des mains avaient trouvé une fréquence hospitalière de 0,83 sur période d’une année [61] . Cette fréquence s’expliquerait par le fait que la main membre de la pronation et du toucher par excellence est au contact au quotidien avec d’innombrables substances notamment les métaux, les cosmétiques et les topiques. L’interrogatoire garde une importance capitale dans la définition des gestes pratiqués et la recherche des différentes substances avec lesquelles le patient est en contact dans son quotidien [7]. 65 Dans notre série, le visage était moins atteint contrairement à d’autres études où il occupait parfois la première place comme dans l’étude américaine de Tam et al portant sur 2373 cas avec une proportion très importante (38,8 %) [15]. Cette localisation est facilitée par les allergènes contenus dans les produits cosmétiques. Quant à la topographie podale , de nombreux auteurs avaient noté une prévalence des DCA des pieds variant de 3 à 11 % [ 71,72,73]. Une étude récente menée dans notre service sur les DCA des pieds par Aouad et al avait trouvé sur 39 cas une fréquence hospitalière de 01 % sur une durée de 06 mois [82]. De même, Hajjaji et al dans une étude réalisée en Tunisie avaient trouvé une atteinte des pieds dans 59 cas sur un total de 447 cas faisant suite à l’atteinte des mains. L’âge moyen des DCA des pieds de 38,59 ans noté dans notre étude, était assimilable à celui de 41 ans trouvé par M. Hajjaji [7] et à celui de 40 ans de Aouad et al [82]. La prédominance féminine s’expliquerait par le fait que les femmes avec les phénomènes de mode portent plusieurs types de chaussures de composition et d’origines différentes. Les dermites de contact des pieds sont fréquentes par les différentes matières contenues dans les chaussures ( cuir , colle , caoutchouc , plastique ) et les chaussettes ( synthétiques , colorants textiles ) . Elles seraient majorées dans notre contexte par le climat chaud et humide favorisant la macération, la friction et une meilleure dissolution des allergènes [13]. Ainsi, devant toute DCA des pieds il faut incriminer les chaussures et réaliser des explorations allergologiques par la BSE et le patch test des chaussures ellesmêmes.
I-INTRODUCTION |