Les Escherichia coli producteurs de Shiga-toxines
Définition et caractérisation des Escherichia coli pathogènes
Les Escherichia coli (E. coli) ont été isolés et caractérisés pour la première fois par Theodor Escherich en 1885 dans des selles d’enfant. Ces bactéries appartiennent à la famille des Enterobacteriaceae et possèdent donc les caractéristiques communes à cette famille : bacilles à Gram négatif, aéro-anaérobies facultatives, oxydase négative et catalase positive (Croxen et al., 2013). Ces bactéries, jouant un rôle important dans le système digestif de l’Homme et des animaux, représentent 80% de la flore commensale intestinale humaine. Dans ce cas, il s’agit de bactéries non pathogènes. Cependant, les bactéries ont la capacité de s’échanger des gènes par transferts horizontaux d’éléments génétiques mobiles comme des bactériophages, des transposons, des séquences d’insertion et des plasmides. Cette capacité, pouvant causer la perte ou/et le gain de nouveaux gènes, est susceptible d’entrainer l’apparition de bactéries pathogènes (Frost et al., 2005, Leimbach et al., 2013). Ainsi, ce phénomène a permis à une souche d’E. coli d’acquérir le déterminant génétique d’une toxine nommée Shiga-toxine et de créer le groupe des E. coli producteurs de Shiga-toxines (STEC), mis en évidence en 1982 aux Etats-Unis. Parmi les STEC, il existe un sous-groupe constitué par les E. coli entérohémorragiques (EHEC) qui ont comme particularité d’être isolés de cas humains.
Classification des E. coli pathogènes en pathovars
La classification des E. coli en pathovars (ou pathotypes) est liée à la capacité des E. coli pathogènes à posséder plusieurs stratégies de virulence entrainant des troubles intestinaux. La majorité des pathovars connus ont la capacité d’adhérer aux cellules hôtes permettant ainsi à la bactérie d’être internalisée dans la cellule ou de lui injecter des protéines. Il existe actuellement huit pathovars d’E. coli pathogènes qui peuvent être classés en deux groupes, les E. coli intestinaux (ou « diarrheagenic ») et les E. coli extra-intestinaux. Les E. coli intestinaux comprennent sept pathovars responsables des troubles intestinaux : les E. coli entéropathogènes (EPEC), les STEC (y compris les EHEC), les E. coli entérotoxinogènes (ETEC), les E. coli entéroinvasifs (EIEC), les E. coli entéroaggrégatifs (EAEC ou EAggEC), les E. coli à adhésion diffuse (DAEC) et le dernier pathovar, identifié récemment, les E. coli adhérents invasifs (AIEC). Le second groupe, les E. coli extra-intestinaux, est constitué de deux pathovars, les E. coli associés à des méningites néonatales (NMEC) et les E. coli uropathogènes (UPEC). D’un point de vue phylogénétique, les pathovars peuvent être classés dans cinq grands phylogroupes : A, B1, B2, D et E. Les E. coli commensaux (non pathogènes) sont généralement dans le phylogroupe A. En revanche, un pathovar n’est pas relié à un phylogroupe particulier (Croxen et al., 2013, Croxen & Finlay, 2010, Nataro & Kaper, 1998).
Les E. coli intestinaux
Les E. coli entéropathogènes (EPEC) est le premier pathovar identifié dans le groupe des E. coli intestinaux. Il est responsable de la majorité des cas de diarrhée sévère chez les enfants issus de pays en voie de développement (Nataro & Kaper, 1998). Les EPEC ont pour particularité de provoquer des lésions d’attachement/effacement (A/E) sur les entérocytes intestinaux. Les lésions A/E sont codées par le locus d’effacement des entérocytes (LEE), incluant le gène eae, et se caractérisent par l’effacement des microvillosités intestinales puis par un détournement de l’actine de la cellule hôte pour former un piédestal sous le site d’attachement (Nataro & Kaper, 1998). En revanche, les bactéries de ce pathovar n’ont pas la capacité de produire la Shiga-toxine. Les EPEC sont classés en sous-groupes dits typiques et atypiques se différenciant respectivement par la présence ou l’absence du plasmide codant les facteurs d’adhésion des EPEC (pEAF). Après adhésion à la cellule, les EPEC injectent des facteurs de virulence par le biais d’un système de sécrétion de type III (T3SS). Ces facteurs de virulence permettent de détourner des processus propres à la cellule tels que le réarrangement du cytosquelette afin de former le piédestal, et la modulation de la réponse immunitaire qui contribue à l’apparition de la diarrhée (Croxen et al., 2013, Nataro & Kaper, 1998). Les E. coli entérotoxinogènes (ETEC) sont les principaux responsables de la « diarrhée du voyageur » (plus connue sous le nom de « turista ») mais aussi de diarrhée infantile pouvant être fatale chez les moins de cinq ans. Les ETEC adhèrent aux cellules de l’intestin grêle grâce à des facteurs de colonisation (CFs) et sécrètent des entérotoxines thermostables (ST) et des entérotoxines thermolabiles (LT) à l’origine des diarrhées. Les deux entérotoxines peuvent agir seules ou combinées (Croxen et al., 2013, Nataro & Kaper, 1998). Les E. coli entéroinvasifs (EIEC) provoquent des diarrhées sanglantes et des dysenteries bacillaires. Ils possèdent le même mécanisme de pathogénicité que Shigella. Les EIEC sont des bactéries intracellulaires obligatoires. Par définition, elles doivent donc obligatoirement rentrer dans la cellule pour être pathogènes puisqu’elles ne possèdent pas de flagelle ni de facteur d’adhésion. Les EIEC traversent la barrière intestinale par transcytose au travers des cellules M et pénètrent dans les macrophages entrainant ainsi leur mort cellulaire. Les EIEC peuvent aussi coloniser les cellules du côlon, se multiplier puis traverser transversalement une cellule pour aller dans une cellule adjacente par l’intermédiaire d’un bras d’actine et entrainer ainsi une lyse cellulaire (Croxen et al., 2013, Nataro & Kaper, 1998). Les E. coli entéroaggrégatifs (EAEC ou EAggEC) sont la cause de diarrhées persistantes chez les enfants et les personnes atteintes du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Ils sont considérés comme la deuxième cause responsable de la « diarrhée du voyageur ». Les EAEC colonisent les muqueuses de l’intestin grêle et du gros intestin par des mécanismes d’adhésions agrégatives entrainant la formation de « briques empilées » grâce à des adhésines fimbriaires ou « aggregative adherence fimbriae » (AAFs) codées par le plasmide pAA et forment ainsi un biofilm compact. Les EAEC sont aussi responsables de dommages au niveau de la muqueuse intestinale par l’intermédiaire de cytotoxines qu’ils sécrètent (Croxen et al., 2013, Nataro & Kaper, 1998). Les E. coli à adhésion diffuse (DAEC) sont responsables de diarrhées aqueuses chez les jeunes enfants (de 18 mois à 5 ans) et peuvent être associés à des infections urinaires. Les DAEC colonisent l’intestin grêle en se fixant aux cellules par adhésion diffuse et interagissent avec le facteur DAF (« decay-accelerating factor ») entraînant des lésions au niveau des bordures en brosse et notamment des pertes de microvillosités (Croxen et al., 2013, Nataro & Kaper, 1998). Les E. coli adhérents invasifs (AIEC) sont un des agents causals de la maladie de Crohn, causant l’inflammation de l’intestin grêle. Les AIEC ont la particularité d’adhérer et d’envahir les cellules épithéliales grâce à l’interaction entre leurs pili et des protéines de surface. Ils ont aussi la capacité de pénétrer dans les macrophages et de s’y répliquer (Croxen et al., 2013, Nataro & Kaper, 1998).
Les E. coli entérohémorragiques (EHEC)
sont responsables d’épidémies de gastroentérites sévères chez l’Homme pouvant évoluer vers une colite hémorragique (CH) et/ou un syndrome hémolytique et urémique (SHU). Les EHEC possèdent plusieurs facteurs de virulence comme la Shiga-toxine et, pour les EHEC typiques, le locus d’effacement des entérocytes (LEE), incluant le gène eae, que l’on retrouve aussi chez les EPEC et qui provoque des lésions A/E. Le sérotype O157:H7, souvent impliqué dans les épidémies de gastroentérites chez l’Homme appartient à ce pathovar. Les EHEC ont notamment la particularité d’injecter environ deux fois plus de facteurs de virulence (dont la plupart sont redondants) que les EPEC. Ils possèdent ainsi un avantage compétitif sur les autres bactéries. D’autre part, le mécanisme de formation du piédestal à la surface des cellules est légèrement différent de celui des EPEC mais la finalité est similaire. Pour finir, les EHEC peuvent utiliser des hormones de la cellule telles que l’adrénaline et la noradrénaline ainsi que des molécules du quorum-sensing pour réguler leur motilité et l’expression de leurs T3SS (Croxen et al., 2013, Nataro & Kaper, 1998). Il existe donc une très grande et complexe diversité d’E. coli responsables de troubles intestinaux avec des mécanismes d’adhésion et d’action plus ou moins différents selon les pathovars (Figure 1). Cette diversité est due aux échanges d’ADN entre bactéries permis par les différents systèmes de transfert horizontaux tels que la conjugaison, la transformation et la transduction.