LES EPOUSES-ACTRICES

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Vie de Charlotte Lysès

 La première épouse de Sacha Guitry fut sa compagne puis sa femme et elle créa une quinzaine de comédies écrites par lui. Elle fut aussi, semble-t-il, sa collaboratrice et elle participa à l’écriture de certaines de ses œuvres. Elle écrivit même quelques pièces et l’une d’entre elles, Coucou (1930), connut un très vif succès. Quand Sacha la rencontre, elle est la maîtresse de son père Lucien et elle a déjà joué pour lui de très petits rôles dans trois pièces (Clarisse Arbois, La Princesse 120 Georges et L’Adversaire) mais elle déteste « Divan le terrible » comme on appelle Lucien qui lui a imposé une « promotion canapé » dont elle ne voulait pas. Elle rencontre Sacha dans les coulisses du théâtre de son père, et, en 1904, quand Lucien apprend leur liaison, il la met à la porte. Le Théâtre, 2.7 1912 In « Tout Guitry » Comoedia 1922 (Lorcey, 2007) C’est une jeune femme intelligente et belle qui a des relations avec les milieux artistiques. Elle connaît Debussy, Fauré, Ravel, Monet, Denis, Antoine, Bonnard et Vuillard. Elle sera sa compagne, sa partenaire et son mentor pendant une quinzaine d’années. Elle ne tournera qu’un seul film pour Sacha, Ceux de chez nous qui fut projeté pour la première fois le 22 novembre 1915 et accompagné d’une causerie faite par l’auteur et d’une pièce qu’elle jouait avec lui : Une vilaine femme brune. On découvrit, lors de l’exposition Guitry de 2007 à la Cinémathèque, l’importance de sa présence que nous ignorions, puisque Guitry la retira ensuite du générique du film. La nouvelle version de Ceux de chez nous, que possède la Cinémathèque, restitue en effet les passages supprimés dès 1939 où elle l’accompagne dans les visites qu’il rend aux grands hommes de son temps. Nous tenterons d’abord de cerner le personnage et de définir ses rapports avec Guitry, puis nous préciserons l’importance et le sens de sa présence dans le film Ceux de chez nous. Nous tenterons ensuite de comprendre les raisons de sa 121 disparition du générique et nous préciserons enfin ce que fut sa carrière au cinéma, après sa rencontre avec Guitry, et ce que sa vie avec Guitry lui apporta ou lui retira. 

Du couvent au théâtre 

Charlotte Lysès nait en 1877, soit huit ans avant Sacha. Un livre intéressant de J.P.Saint-Amant consacré à Daniel Osiris2 (1825-1907), grand-oncle de Charlotte, nous renseigne sur ses origines. La jeunesse de Sacha et celle de Charlotte se ressemblent un peu et c’est peut-être ce qui les attira en partie l’un vers l’autre. En effet, dès l’enfance, ils ont de nombreux points communs car si Lucien Guitry kidnappa littéralement Sacha et l’emmena en Russie, le père de Charlotte, professeur de violoncelle, la kidnappa également et la garda chez lui pendant une dizaine d’années (le kidnapping de Sacha sera beaucoup plus bref). Il mourut prématurément, à 37 ans, et elle dut alors reprendre contact avec sa mère qu’elle détestait (la mère de Sacha meurt aussi prématurément mais Sacha adore ses parents). Lorsqu’elle a 11 ans, sa mère s’en débarrasse en la mettant au couvent où elle reste huit ans et songe sérieusement à devenir religieuse. Sacha, lui aussi, est attiré, un temps, par le sacerdoce mais tous deux y renonceront. Elle découvre Darwin avec enthousiasme et Sacha admire Mirbeau et les amis athées de Lucien. Dans son testament, elle écrira « Je demande à être mise à la fosse commune. Aucune prière, je ne crois en rien3 » Charlotte connaît, comme le jeune Sacha, une atmosphère familiale assez libre. Elle passe, en effet, ses week-ends, loin du couvent, non chez sa mère avec laquelle elle est brouillée, mais chez sa cousine Emma Bardac chez laquelle elle rencontre beaucoup de peintres, d’écrivains et de musiciens : Fauré, Debussy, Ravel, Toulouse-Lautrec, Bonnard mais aussi Tristan Bernard et Jules Renard qui sont des amis de Sacha. Sa cousine, Emma Bardac(1862-1934) , très émancipée, passe des bras de Fauré à ceux de Debussy. Elle est même mêlée à un scandale qui leur vaudra, 2 Jean-Pierre ARDOIN SAINT AMAND, op. cit., 1996. 3 Ibid., p.107. 122 à Charlotte et à elle, de perdre en partie l’héritage d’un oncle juif richissime nommé Osiris, qui était choqué par leur comportement. Ni Sacha ni elle n’ont donc connu une vie familiale classique, mais ils ont, tous les deux, grandi dans un milieu artistique de qualité. Leur éducation est différente. Charlotte a passé huit années studieuses au couvent alors que Sacha a effectué, sans succès, le tour des établissements scolaires de la région parisienne. A 15 ans, il est toujours en sixième. 

Rencontre avec Lucien Guitry 

Tous les deux ont connu des conflits avec Lucien Guitry et subi ses violences. Charlotte est ambitieuse. Elle désire être actrice et Lucien, en échange d’un très petit rôle, lui fait subir la traditionnelle promotion-canapé. Elle en est extrêmement humiliée : « Je me souviens de mon retour à la maison », dit-elle à Fernande Choisel. « Un retour dans le style cyclone avec édredons qui valsent, bureau nettoyé d’un revers de main et un soulier qui va malencontreusement s’écraser sur une potiche qui, elle aussi, s’écrase4 . » Sa vengeance est sévère. Elle le trompe aussitôt avec le fils de Lucien. Elle déteste Lucien et Sacha est très influençable. A cause d’elle, le père et le fils seront séparés pendant treize ans et ce n’est qu’à l’arrivée d’Yvonne Printemps que Lucien et Sacha se retrouveront, en 1918. Charlotte, elle, ne capitulera pas. Elle détestera Lucien jusqu’à la fin de ses jours. Une lettre de Lucien à Marcel Schwob datant de l’hiver 1904, en dit long sur le conflit qui les oppose à cause de Charlotte ; Cher ami, Il n’y a pas d’illusion à se faire, vous venez de m’écrire une très belle lettre. Elle a pourtant quelque chose de plus et en mieux, elle est infiniment bonne et révèle surtout le cœur charmant de Marcel Schwob. Sacha est l’être le plus séduisant de notre époque – ceci ne fait de doute pour personne – pas même moi. Pour mon goût, un peu trop de littérature mais on commence toujours par là. Il n’a qu’un tort, celui de constituer une tare qui mine nos 4 Fernande CHOISEL, Sacha Guitry intime, Ed .Scorpion, 1957, p.31-32. 123 rapports. Il croit avoir besoin pour multiplier l’intérêt qu’il porte à sa personne de se passer au travers du corps la palme du martyr ou du martyre. Il s’imagine qu’il est expédient de paraître opprimé et qu’est-ce qui opprime le mieux …. Allons, dites-le, c’est le père, le singe, le miché. Le père- belle-mère, quel rêve ! Le singe-patron qui accapare. Le miché- ponte qui coupe les vivres. Seulement, voilà la paille en cette pièce d’or – la poutre dans cet œil pur. Je me fous de Mademoiselle X autant que de Mademoiselle Y et même (le croirait-on) de Mademoiselle Z. Il ne me déplait pas que les enfants s’amusent à 2, c’est même fort joli pour les passants. Si même mes souvenirs ne me trompent pas, j’avais, l’année dernière, dans mon théâtre, une personne qui, incapable de me dire Papa en scène, recevait par mois la bagatelle de 400 francs pour dire « Sacha » en ville. Mais cette personne que son départ de La Renaissance a rendue intelligente comme d’aucuns sont, pour leur malheur, devenus polonais, cette personne s’est arrangée de telle sorte qu’elle m’a contraint à la congédier et qu’elle a rompu le charme indicible qui m’attachait à un enfant qui me déteste, croyez-moi, Marcel Schwob, qui me déteste. Ca passera et son amitié pour moi reparaîtra quand je serai mort- tout sera bien. Je ne tiens pas à voir cette liaison interrompue. Je m’en fiche comme de Mendès. Je ne veux même pas répondre à Sacha qui se rend populaire par ses brouilles avec moi quand il me demande de rengager Mademoiselle Lysès. Il est idiot. Le père de notre jeunesse a eu tort de s’occuper de ses enfants qui ont 40 ans … et puis, il n’en fout pas une secousse, ce vieux. Pas une. Et moi, je travaille comme si je n’avais fait que ça, toute ma vie. Mon existence est assez semblable à la célèbre plaine de la Crau, bien connue pour les cailloux exclusifs qui la garnissent. Donc, soyez-en sûr, Mademoiselle Lysès et son aventure sont à quelques milliards de lieues de mon imagination et de mon chagrin. 

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