LES ENTREPRISES MULTINATIONALES ET LE COMMERCE DU BLE
Le rôle du négoce : Si la puissance publique dans un pays essaie d‟orienter, par son action sur les prix les opérateurs vers la céréale d‟une certaine provenance, ce sont les firmes du négoce qui ont tous les éléments pour choisir le pays de mobilisation le plus adéquat. Les gros importateurs de blé procèdent en général par appel d‟offre international. Seuls les négociants internationaux sont capables de répondre à ce type d‟appel d‟offre. Il arrive, le pays de mobilisation2 soit laissé au libre choix de l‟opérateur. Il choisit alors en toute 1 « Or le commerce du blé n’est point manufacture, il n’ajoute rien à la matière » A. Galiani, Dialogues sur le commerce des blés, 1770. 2 Pays d’où proviennent les produits qui seront offerts à l’acheteur. 6 liberté la zone de mobilisation la plus avantageuse au moment où s‟effectuera la transaction proprement dite. Mais le pays importateur peut se voir imposer le pays de mobilisation.
C‟est notamment le cas lorsqu‟il tire sur une ligne de crédit mise à sa disposition par l‟exportateur. Même dans cette situation, les négociants internationaux sont appelés à jouer un rôle : ils entrent en concurrence pour offrir à partir de ce pays de mobilisation le meilleur prix. Les négociants internationaux constituent donc un point de passage obligé, ils en tirent « un pouvoir certain ». En matière de céréales, les pays partagent leur souveraineté avec cinq familles : Cargill, Continental, Louis Dreyfus, Bunge et André. Le principe, c‟est qu‟aucune transaction internationale significative (100 000 T au moins) ne peut se réaliser dans les faits sans l‟intervention d‟une firme de négoce international qu‟il s‟agisse d‟échanges dans le cadre d‟accords céréaliers ou non. Cette présence aux côtés des Etats se manifeste particulièrement dans le commerce certains pays où les contacts du négociant international en font un intermédiaire obligé pour la conclusion de transactions d‟importance. Fort de ses sympathies politiques, c‟était le rôle joué par la firme française INTERAGRA et son PDG Jean Batiste DOUMENG dans le commerce entre la France et les ex-pays de l‟est (la force de DOUMENG fut de négocier en direct avec les dirigeants politiques des pays de l‟est). Le système DOUMENG fonctionnait de la sorte. Il annonçait à grand renfort de publicité et sans doute avec l‟assentiment des Russes la conclusion d‟importants contrats à un prix défiant toute concurrence. L‟opération consistait à mettre la CEE au pied du mur car la plupart du temps, l‟affaire n‟était pas totalement dénouée. En effet DOUMENG ne possédait pas les subventions de la CEE nécessaires pour exécuter réellement ces contrats. Cette annonce avait pour but d‟engager sur les bases d‟un prix très bas une 227 négociation entre les Russes et la CEE (pour exporter hors de la communauté, il est obligatoire de bénéficier de restitutions ou subventions que délivrent Bruxelles). La pression sur la CEE était alors très forte. D‟un côté le lobby français poussait la CEE à donner ses subventions à DOUMENG. De l‟autre, cette vente était une opportunité pour la CEE de liquider des stocks bien coûteux tout en réalisant un coup vis-à-vis des autres fournisseurs (EtatsUnis et autres). Après d‟ultimes négociations, les Russes obtenaient en général ses subventions et DOUMENG, leur « agent », pouvait réaliser ainsi réaliser son contrat qui à l‟origine n‟était pas couvert.
L’organisation des entreprises multinationales céréalières
La puissance des groupes céréaliers repose essentiellement sur une excellente organisation commerciale et sur une maîtrise des moyens de stockage et de transports. Contrairement à d‟autres entreprises multinationales spécialisées dans le commerce des produits agricoles, les groupes céréaliers n‟exercent aucun contrôle sur la production, ce qui constitue pour elles un avantage, contrairement à ce qu‟on pourrait croire, car elles laissent ainsi aux agriculteurs les risques inhérents à la production.
L’organisation commerciale
La force des entreprises multinationales céréalières réside dans leur présence continuelle sur le marché. Elles possèdent un département de négociations qui a la mission de réaliser les transactions, un département de stockage qui assume la direction des silos portuaires, un département maritime qui assure les transports continentaux, un département assurance qui couvre les risques de transport et un département financier qui s‟occupe de l‟arbitrage des monnaies et de l‟arbitrage des ventes et achats réalisés ou à réaliser sur le marché à terme de Chicago.Il est indispensable pour ces groupes d‟avoir des filiales dans les pays où ils font le commerce ; en effet il est rarement possible de concourir en tant qu‟acheteurs avec d‟autres sociétés internationales qui peuvent acheter la céréale en question sur le marché local à travers leurs bureaux et silos exploités par une filiale locale.
La description de l‟organisation commerciale de quelques uns de ces groupes permettra de confirmer ces affirmations : Le groupe Bunge opère ainsi dans plus de cinquante cinq pays, où des spécialistes de quelques cent bureaux consacrent tout leur temps à la tâche capitale de la commercialisation. Des gens qui connaissent la langue, les 232 méthodes et les marchés locaux sont recrutés et formés (ils sont fréquemment envoyés aux Etats-Unis pour les besoins de la formation). L‟entreprise Louis Dreyfus possède quatorze agences en Europe, quatorze en Amérique du nord, sept en Asie et dix dans le reste du monde. Le groupe Cargill est organisé selon la technique des centres de profit indépendants. Tradax international supervise ces centres de profit et contrôle toutes les opérations réalisées dans le monde, à l‟exception de l‟Amérique du nord. Cargill supervise les siens. Les filiales de Tradax rapportent leurs informations financières : revenus et dépenses, profit et pertes, à Tradax International qui les transmet à Cargill. Cependant chaque société nationale est responsable de la commercialisation de son produit dans son aire géographique ; dans un pays exportateur, elle doit pourvoir aux besoins intérieurs et s‟occuper de l‟exportation ; dans un pays importateur, améliorer la capacité de livrer le produit aux utilisateurs terminaux : meuniers, industriels. Mais si ces sociétés ont des objectifs communs et sont soumises à un même contrôle, elles sont cependant en situation de concurrence.