Le temps spécifique
Tous les élèves ont besoin d’attention de la part de l’enseignant et ont besoin de relever des défis du niveau de leur capacité pour qu’ils puissent progresser et rester motivés (GirouardGagné & Paré, 2015). Nous avons vu dans les parties précédentes que nous pouvions parfois qualifier les EGRS d’ « oubliés de l’enseignant ». Etant donné que les enseignants déclarent mettre en place des dispositifs à destination des EGRS, annoncent-ils un temps spécifique durant lequel ils s’occupent des EGRS ? Comment présentent-ils la façon dont ils vont gérer le temps et cette différenciation annoncée ? Les enseignants des entretiens ont pu s’exprimer sur cette question. L’outil était pertinent car le chercheur pouvait les relancer si leurs réponses n’étaient pas assez claires et ne répondaient pas à la question de départ.
Quelques enseignants déclarent ne pas avoir de temps particulier consacré aux EGRS. Ce sont des élèves plutôt autonomes. Il s’agit davantage d’un temps d’organisation pour leur expliquer ce qu’ils auront à faire en autonomie, plutôt qu’un temps d’apprentissage.
Anne n’arrive pas à évaluer ce temps car cela dépend des séances, de ce qu’elle attend de ses élèves. Elle explique qu’elle préfère passer un maximum de temps avec toute la classe, pour ne pas laisser de côté les plus faibles, et pour être aussi avec les plus forts.
Ce temps est minime pour plusieurs enseignants même si chacun l’évalue différemment. Clémence le fixe à quatre minutes par jour. Tessa pense qu’elle consacre moins de temps à un élève en réussite qu’à un élève en difficulté. L’élève étant plus autonome, il n’est pas demandeur. L’enseignant ne va pas régulièrement vers lui. Anaïs fait le constat que le temps pour ces élèves est quasiment inexistant dans sa pratique. Elle consacre un temps d’explicitation des consignes quand les élèves sont en avance sur les autres, un temps de correction en duel avec l’enfant quand il a fini son travail. Elle regrette l’absence de temps accordé à ces élèves sur le plan du travail scolaire.
Pour quelques enseignants, leur temps de classe est également réparti entre les élèves. Ils passent régulièrement dans les rangs pour voir avec tous les élèves le travail scolaire, corrigent les livrets donnés aux EGRS une fois leurs exercices terminés, corrigent également le cahier du jour avec eux pour voir leurs erreurs. Eloïse évalue le temps passé avec les EGRS à quatre heures par jour. Elle enlève au temps de la journée classique ce dont elle a besoin chaque jour pour gérer les problèmes de comportement et de difficulté scolaire au sein de la classe.
Un plus haut niveau d’exigence
En amont de tout dispositif supplémentaire à l’activité de départ de la classe, les enseignants, tant dans le questionnaire que lors des entretiens, expriment un niveau d’attente plus élevé pour les EGRS. Ils se disent plus pointilleux, plus exigeants169 et attendent un travail soigné. Ils attendent d’eux une meilleure présentation et une écriture de qualité. Ils les responsabilisent170 davantage.
L’autonomie
Résultats
Le terme d’autonomie est présent, tant dans les réponses au questionnaire que durant les entrevues. Mais il ne s’agit pas d’un dispositif particulier en autonomie mais plutôt d’un aspect des différents dispositifs : ces derniers se réalisent en autonomie. Par ce terme, les enseignants entendent l’expression « sans la présence de l’adulte », « seul ». Régulièrement, le choix de l’autonomie est pris par les enseignants quand ils n’arrivent plus à s’occuper de tous les élèves à cause d’un rythme trop différent entre eux. C’est dans la situation décrite ci-après que les enseignants disent qu’ils mettent les bons élèves « en autonomie ».
Il semble tjrs demandé aux enseignants de porter beaucoup d’attention aux élèves en difficulté mais pour moi ces élèves en situation de réussite sont tout aussi importants car l’ennui écœure fait perdre son temps.
La différence de niveau entre les élèves excellents et ceux en grande en difficulté est telle que j’ai peur que les bons ne progressent pas suffisamment et ne soient pas poussés à leur maximum nous sommes finalement trop occupés à faire progresser les moins bons oubliant ainsi les excellents peu nombreux dans nos classes. Par exemple, lorsque certains enseignants parlent du temps qu’ils consacrent aux EGRS dans leurs entretiens, ils précisent qu’il s’agit d’un temps d’organisation pour leur expliquer ce qu’ils ont à faire en autonomie. D’autres expliquent qu’ils travaillent en petit groupe, quand le reste de la classe est « en autonomie ».
Le sens donné par ces enseignants n’est pas le même que plusieurs autres, dans leur réponse au questionnaire, qui disent par exemple, travailler avec les EGRS sur leurs points faibles, les « amener vers l’autonomie » ou « les former à l’autonomie ». Ca dépend de l’élève il faut surtout l’encourager à travailler ses points faibles et l’amener vers l’autonomie prendre garde à ce que ses facilités ne l’empêchent pas d’acquérir des habitudes de travail.
Prévoir sans cesse du travail anticiper la rapidité dans les tâches pour éviter l’ennui le bavardage les former au tutorat à l’autonomie le goût à l’entraide.
Cela se rapprocherait peut être de la caractéristique d’autonomie, donnée par les enseignants pour qualifier un EGRS.
Maturité excellence scolaire curiosité débordante autonomie
Discussion
Quand l’un des buts de l’école est l’autonomie de l’élève (Ravestein, 1999), ce terme revient régulièrement dans le discours de plusieurs enseignants avec un temps consacré aux EGRS très faible au regard de celui pour les élèves en difficulté. Montuori (2006, p. 150) précise qu’ « autonomie ne veut pas forcément dire « se débrouiller seul » » comme le dit également Emeric. Duru-Bellat (2001, p. 330) décrit un maître efficace comme celui capable de « prendre en charge tous les élèves » et de « proposer aux élèves des activités adaptées à leur niveau ». Cela renvoie aux profils de plusieurs enseignants décrivant leur temps également réparti entre tous les élèves, ou celui d’autres professionnels souhaitant passer un maximum de temps avec l’ensemble de la classe pour ne pas laisser certains élèves en marge des apprentissages (Guillaume, 2001). Les enseignants des entretiens, ainsi que certains du questionnaire utilisent le terme d’autonomie pour signifier que les élèves font une activité sans la présence de l’adulte.
L’organisation de ces temps est parfois le seul moment que les enseignants consacrent aux EGRS. D’un autre côté, nous avons des enseignants qui traitent de l’autonomie comme une caractéristique des EGRS, comme une qualité que l’on peut développer chez l’enfant. Cela apparaît dans le discours de ces enseignants comme une qualité précieuse et synonyme de grande réussite. Selon eux, les enfants autonomes correspondent aux attentes de l’école. Pour ceux n’ayant pas cette qualité, les enseignants souhaitent, lors de dispositifs particuliers qu’ils n’ont pas explicités, leur permettre de la développer. On se rapprocherait plus, dans cette deuxième conception de l’autonomie, de la définition de Ravestein selon laquelle un élève autonome peut être l’auto-organisateur de ses apprentissages. Cela pourrait être l’objectif final de l’enseignant qui souhaite développer cette compétence. Les élèves, qui perçoivent chez leur enseignant « un style d’enseignement plus axé vers leur autonomie que leur contrôle » (Bouffard, Brodeur, & Vezeau, 2005, p. 15), seraient davantage en réussite.
Du point de vue des enseignants du questionnaire
Etre pour le passage anticipé
L’analyse statistique distingue 1 534 formes parmi 19 745 occurrences. Il y a une moyenne de 12,87 occurrences par forme. Il y a 776 hapax, qui correspondent à 3,93% des occurrences et 50,59% des formes).
Après avoir rappelé le caractère propre de chaque enfant, le fait qu’il est difficile de généraliser des critères tant il y a de personnalités différentes, les enseignants abordent plusieurs points encourageant le passage anticipé.
La spécificité de l’école en ZEP est un des arguments pour le passage anticipé. Les élèves évoluent dans des milieux d’éducation prioritaire. Les passages anticipés sont, selon l’avis de certains, particulièrement appropriés pour eux. Le niveau scolaire général étant bas, ils doivent pouvoir passer dans le niveau supérieur s’ils sont en réussite.
Uniquement en ZEP parce que le niveau général est vraiment faible donc ces élèves sont en sous régime.
Le groupe classe étant déjà très hétérogène dans les classes de ZEP il semble difficile d’individualiser encore plus pour des élèves qui peuvent avoir une année de maturité supplémentaire et qui peuvent suivre les cours de la classe supérieure
Les enseignants énumèrent les différents comportements relevés chez les élèves où le passage anticipé pourrait être la solution. Ils parlent d’élèves qui « perdent leur temps » dans leur classe d’âge. Ils assimilent plus rapidement les notions, vont plus vite à la réalisation des exercices. Pourtant, ils doivent revoir plusieurs fois les compétences qu’ils ont acquises car d’autres élèves ne sont pas dans ce cas. Certains enseignants parlent de « perdre » leur année.
Dans des milieux autant en difficulté ne pas perdre son tps paraît important on met bcp de choses en place pour les enfants en difficulté souvent moins pour ceux en réussite il faut accepter qu’on ne leur apprendra que peu de choses en les gardant dans notre niveau.
Justification du refus du passage anticipé pour son propre enfant
Nous rajoutons ici la réponse à une autre question ouverte. Aux parents qui ont refusé le passage anticipé proposé à leur propre enfant, nous leur avons demandé de s’exprimer sur les raisons de ce choix. Nous souhaitons les rajouter à ce chapitre car ce sont des arguments supplémentaires qui peuvent être pris en compte dans le débat autour du passage anticipé.
L’analyse statistique distingue 390 formes parmi 1 491 occurrences. Il y a une moyenne de 3,82 occurrences par forme. Il y a 219 hapax, qui correspondent à 14,69% des occurrences et 56,15% des formes).
Sur les 1720 enseignants du questionnaire, 1157 ont répondu à la question « le corps enseignant vous a-t-il proposé un passage anticipé pour votre enfant ? ». 227 enseignants ont répondu « oui ». Sur ces 227 enseignants, 130 ont accepté le passage anticipé et 95 ont refusé (deux n’ont pas répondu).
Sur les 95 enseignants qui ont refusé le passage anticipé pour leur propre enfant, 93 enseignants ont justifié leur refus mais seul 80 enseignants ont répondu aux deux questions « avez-vous accepté ? » et « êtes-vous pour ou contre le passage anticipé ? ». Sur ces 80 enseignants, 50 étaient pour le passage anticipé et ont refusé le passage proposé à leur enfant.
Pour justifier le choix du refus du passage anticipé proposé à leur propre enfant, les enseignants abordent plusieurs thématiques.
Ils parlent de leur histoire personnelle, d’un passage anticipé qu’ils ont réalisé et qui ne leur a pas convenu.
Du point de vue des enseignants des entretiens
Sur les dix enseignants interrogés, quatre ont proposé des passages anticipés. Ils sont plus nombreux à avoir reçu dans leur classe un élève avec un an d’avance. Chacun s’exprime sur les expériences singulières qu’il a vécues avec ces élèves.
Claudine a reçu beaucoup d’élèves ne faisant pas la dernière année de maternelle et arrivantdirectement dans sa classe en CP.
Quelques enseignants ont profité d’un enseignement en double niveau pour proposer pendant l’année le passage d’un niveau à l’autre pour ensuite un passage anticipé à la fin de l’année.
Quand Jacques a la possibilité d’avoir un CM1-CM2, il est heureux de le prendre pour avoir la possibilité de faire passer certains CM1 en 6ème à la fin de l’année. Pour Tessa, c’était une classe de maternelle MS/GS où l’enfant de MS est passé en CP à la fin de l’année.
La réussite du passage anticipé dépend du profil de l’enfant. Plusieurs enseignants racontent de « belles réussites » de passage anticipé. Les élèves l’ont été jusqu’à la fin du CM2. Anaïs précise qu’ils étaient bien intégrés et qu’il n’y avait « aucune différence avec les autres ». Pour d’autres cas, le bilan est mitigé. Anaïs parle d’un élève avec des problèmes de maturité. Cela pourra se révéler problématique lors de son arrivée au collège avec le risque qu’il devienne une « victime ».
Emeric parlera de la réussite scolaire d’un élève avec un an d’avance. Il mettra un bémol sur l’aspect psychologique de ce passage anticipé. Il a remarqué un écart entre un enfant passant du CE1 au CM1 et les autres élèves de sa classe. Les écoles des enseignants interrogés sont toutes en ZEP. La nouvelle dénomination REP+ concerne uniquement deux enseignants sur les dix interrogés. Cette dénomination concerne uniquement les écoles diagnostiquées comme les plus problématiques. Pourtant, une enseignante d’une école REP+ comptabilise trois passages anticipés en quatre ans d’exercice dans cette école. Elle précise que « pour une école REP+ c’est beau ». La position des écoles dans les zones d’éducation prioritaire n’empêche pas la mise en place de passage anticipé.