Les enjeux théoriques et pratiques du vocabulaire
Le concept crucial de toute analyse de décision face au risque est l’aversion au risque, caractéristique des préférences de la plupart des êtres humains. Gagner 100 avec certitude, ce n’est pas la même chose que gagner 200 avec une probabilité d’une chance sur deux ! En général, on préfère la première option à la seconde, propriété qui définit l’aversion au risque. De même, sauver une vie avec certitude, ce n’est pas la même chose que d’en sauver 10 avec une probabilité de 10 %. Et prévenir une marée noire avec certitude, ce n’est pas la même chose que d’en prévenir trois avec probabilité d’un tiers.L’émergence d’une conscience accrue des risques liés au développement de nos sociétés impose de mieux hiérarchiser nos efforts d’investissement dans un monde où tout n’est pas possible. Pour la collectivité, définir des priorités face à la multiplicité des possibilités d’action est une tâche rendue particulièrement délicate par les horizons temporels en cause et les incertitudes qui y sont associées. Pour le calcul économique, cette difficulté se manifeste sous plusieurs angles. Prix relatifs des différents biens et services : de nombreux biens verront leurs prix relatifs évoluer avec les modifications structurelles de l’économie. Il est important que l’évaluation des cash flows de chaque investissement se fasse au prix du marché (pour les biens privés) et lorsqu’il s’agit de biens et services ou plus largement d’externalités, pour lesquelles il n’existe pas de traduction marchande immédiate, sur la base des valeurs tutélaires appropriées. Les outils permettant de révéler les préférences collectives relatives aux externalités non marchandes1 tiennent compte de ces évolutions anticipées et de leurs incertitudes. L’analyse du risque et des incertitudes doit se faire dans ce cadre-là. C’est ce qui a été réalisé, par exemple, pour la valeur du CO2, les recommandations du rapport Quinet intégrant explicitement le risque du changement climatique.
Incertitude sur les flux économiques : la plupart des projets d’investissement public généreront des bénéfices incertains. Comment prendre en compte cette incertitude dans l’analyse ? Certainement pas par une modification nécessairement arbitraire du taux d’actualisation ! Plusieurs cas de figure sont possibles. Le plus simple se pose lorsque le risque sur les cash flows (réels ou issus de la monétarisation des effets environnementaux) est à la fois faible en lui-même et indépendant du risque macroéconomique, c’est- à-dire de l’évolution générale de l’économie mesurée typiquement par le PIB par habitant. Dans une telle situation, le théorème d’Arrow et Lind (1970), sur lequel on reviendra plus loin, démontre que l’approche consistant à prendre en considération l’espérance mathématique des bénéfices sociaux dans le calcul de la VAN est optimale. En revanche, si le risque sur les cash flows est indépendant mais n’est pas marginal par rapport aux revenus des agents qui le portent2, une prime de risque3 devra être intégrée à l’analyse coûts-bénéfices en déduction de l’espérance des bénéfices sociaux ; étant donné que l’aversion au risque reste un phénomène de second ordre, cette prime de risque n’aura un impact significatif que sur des risques réellement considérables. Enfin, si les risques sur les cash flows, bien qu’ils soient marginaux, sont corrélés au risque sur la croissance économique, une prime de risque devra elle aussi être prise en compte dans le calcul de la VAN, prime qui sera déterminée à partir de la spécification des relations statistiques qui existent entre l’évolution des cash flows et la croissance économique.
Principe de précaution : non seulement les cash flows à long terme sont incertains, mais la modélisation même de cette incertitude est difficile à réaliser. En fait, les risques eux-mêmes sont difficiles à quantifier, et plusieurs distributions de probabilité sont possibles pour décrire ces aléas au regard des connaissances scientifiques du moment. Ce « risque sur le risque » peut justifier une certaine augmentation de la prévention de ces risques les moins bien définis, comme le suggère le principe de précaution. Des approches théoriques existent pour modéliser le comportement des agents économiques face à cette nature plus profonde de risque. En particulier, des études économiques récentes ainsi que des méthodes de recherche opérationnelle dynamique stochastique ont proposé des approches rigoureuses du principe de précaution qui sont compatibles avec les objectifs de bien-être collectif. Pour ce faire, il est nécessaire de décrire un ensemble de scénarios d’évolution de l’environnement ainsi que d’anticiper les révisions des croyances des décideurs au vu de l’historique des événements décrits. L’optimisation des actions à court terme se fait alors en tenant compte des incertitudes futures et de leur gestion par les générations futures qui seront vraisemblablement mieux informées que nous.