Les différentes techniques altimétriques radar
Dans cette partie nous présentons les différentes techniques de mesures altimétriques, dont l’objectif principal est la mesure de la hauteur d’eau par rapport l’ellipsoïde terrestre. Nous présentons dans un premier temps le principe de l’altimétrie Nadir conventionnelle et son évolution à l’altimétrie Nadir delay/Doppler, puis nous présentons le concept de l’altimétrie large fauchée qui se base sur la combinaison du radar à synthèse d’ouverture et de l’interférométrie. Finalement, nous introduisons la mission spatiale SWOT avec ses objectifs et caractéristiques.
L’altimétrie Nadir conventionnelle
La mesure altimétrique a pour but d’estimer la hauteur d’eau de la surface (SSH 1 ) par rapport à l’éllipsoïde terrestre de référence. Le principe de l’altimétrie Nadir conventionnelle est basé sur la mesure du temps d’aller-retour du signal radar rétrodiffusé par la surface d’eau (figure 1.1). Comme pour la plupart des radars embarqués sur satellite, la fréquence electromagnétique utilisée se situe dans la gamme des micro-ondes. Les fréquences utilisées classiquement à ce jour par les altimètres radars sont les bandes C (∼1 GHz), Ku (∼15 GHz) et plus récemment la bande Ka (∼36 GHz).
L’altimétrie Nadir delay/Doppler
L’altimètre Doppler se base sur un principe similaire au traitement SAR des radars imageurs.
La taille de l’antenne embarquée étant petite, elle possède une mauvaise résolution. Le radar à synthèse d’ouverture permet de recréer une antenne dite « synthétique » en augmentant de manière artificielle sa taille dans la direction de déplacement du satellite, assurant ainsi une meilleur résolution du système dans cette dimension. Cette technique permet également de différencier, grâce au traitement Doppler, les pixels radar entre eux au sein de la fauchée. À la différence des SAR classiques à visée latérale, l’altimètre Doppler fonctionne toujours pour des angles de visées Nadir, ce qui introduit une ambiguïté quant à la différenciation de l’origine du signal retour entre la partie droite et gauche de la fauchée. À la différence de l’altimétrie Nadir conventionnelle, la fréquence de répétition des impulsions (PRF 3 ) est très grande pour bien échantillonner la bande Doppler relative à une petite antenne. Un traitement SAR est alors appliqué aux échos retour permettant d’améliorer la résolution dans la direction azimut, par exemple, une résolution de l’ordre de la centaine de mètre contre 10 km en altimétrie conventionnelle. Le concept d’altimétrie Nadir Doppler permet donc d’améliorer la résolution au sol par rapport à l’altimétrie conventionnelle, mais présente également un fort intérêt pour les zones de transitions, c’est-à-dire, des surfaces comme les lacs, les fleuves, ou encore les côtes. Nous aborderons plus en détails le principe du SAR dans le paragraphe suivant.
L’altimétrie à large fauchée
Le concept de l’altimétrie large fauchée (Li and Goldstein [1990]; Rodriguez and Martin [1992]; Rosen et al. [2000]) utilise un instrument interférométrique légèrement dépointé de la visée Nadir avec un traitement SAR dans la direction azimut. Contrairement aux radars imageurs qui utilisent souvent l’interférométrie multipasses (plusieurs survols successifs d’une même zone sont effectués, comme par exemple les satellites ERS-1 et ERS-2), l’altimétrie interférométrique exige une configuration monopasse pour faire face à la variabilité de la surface océanique. Les acquisitions sont faites par deux antennes portées par la même plateforme qui forme alors la base interférométrique. Nous développons ici les principes de base, dans un premier temps du SAR et ensuite de l’interférométrie radar. Nous faisons des liens avec la mission SWOT le cas échéant. Les différents principes énoncés dans ce paragraphe sont inspiré du livre de Massonnet and Souyris [2008].
Le radar imageur
Le radar à ouverture réelle (RAR4 ) permet d’imager une surface éclairée. Le fonctionnement d’un radar est différent d’un instrument optique (à l’exception des LIDAR5 ) car il fait de la discrimination de cibles en distance et non angulaire. En effet, un radar va mesurer un temps de trajet de l’onde électromagnétique émise, c’est la vision distance du radar (range vision). L’image obtenue par un radar imageur dépend du déplacement du porteur de l’antenne, qui vise latéralement par rapport au sens de déplacement (appelé direction cross-track 6 ). Le radar émet des impulsions, chaque implusion éclaire une bande de surface que l’on souhaite aussi petite que possible. Lafauchée, qui définit les dimensions de l’image, est déterminée par les distances Near Range (NR, distance proche) et Far Range (FR, distance lointaine). Les caractéristiques du RAR sont illustrées sur la figure 1.4 suivante où L correspond à la longueur de l’antenne dans la direction azimut (aussi appelée direction along-track 7 ), Vsat est la vitesse de déplacement du satellite sur son orbite, raz est la résolution dans la direction azimut du RAR.
Le radar à synthèse d’ouverture
La résolution azimut intrinsèque du RAR dépend de la taille de l’antenne dans la dimension azimut. De manière classique, la résolution azimut est inversement proportionnelle à la taille de l’antenne. Plus l’antenne est grande, plus la résolution sera bonne. Néanmoins, pour des missions satellitaires, la taille des antennes embarquées est souvent petite et confère alors une résolution intrinsèque au RAR en azimut médiocre. En effet, la résolution azimut du RAR est : raz ≃ R0θ3dB = 0, 88 λ0 L R0 ≃ λ0 L R0 (1.4) où θ3dB est l’angle d’ouverture d’antenne à -3 dB dans la direction azimut et R0 la plus petite distance radar – surface. Cette valeur est généralement de l’ordre de plusieurs kilomètres.
L’objectif de la synthèse d’ouverture est de créer artificiellement une antenne de plus grande dimension dans la direction azimut en se servant du déplacement du porteur et de la cohérence des signaux.
Entre deux impulsions, le radar se déplace à la vitesse du satellite Vsat . L’angle d’ouverture d’antenne intrinsèque au RAR est suffisamment grand pour qu’une même partie de la surface soit éclairée par plusieurs impulsions radar pendant un temps dit d’illumination Ti l l . L’information de cette surface se retrouve donc dans plusieurs échos radar successifs, en soustrayant la contribution des autres cibles, il est alors possible de créer une antenne réseau synthétique, dont la longueur est proportionnelle au temps d’illumination et à la vitesse du satellite : Li l l = Ti l lVsat comme l’illustre la figure 1.6
Le SAR interférométrique
Le SAR conventionnel permet de mesurer la position d’une cible dans un plan (range, azimut).
Le développement de l’interférométrie SAR (InSAR9 , voir Li and Goldstein [1990]; Rodriguez and Martin [1992]; Rosen et al. [2000]) a permis de mesurer la troisième dimension, qui n’est autre que la hauteur. Cette technique est particulièrement bien adaptée aux missions topographiques, ce qui est le cas de la mission SWOT.
Le principe de l’interférométrie radar est assez simple. Deux images radar observées à partir de deux antennes voisines ont des délais de propagation de leurs signaux presque identiques mais des phases différentes. En interférométrie, le signal complexe de la première image est multiplié
par le conjugué du signal de la deuxième image (après co-registration des deux images), cela correspond simplement à une différence de phase des deux signaux. La contribution inconnue des cibles élémentaires à l’intérieur de la cellule de résolution est éliminée dans le calcul de la phasedifférentielle. La phase différentielle est alors proportionnelle au délai de propagation de la phase entre les deux images. Cette opération consiste à former un interférogramme.
Considérons maintenant la géométrie du système interférométrique, comme illustré sur la figure 1.8 où :
• Hsat est l’altitude du satellite par rapport au plan moyen de la surface d’eau
• η est la variation de la hauteur d’eau autour du plan moyen au point considéré
8. FFT pour Fast Fourier Transform, acronyme anglais.
9. InSAR pour Interferometric SAR, acronyme anglais.
• θ est l’angle de visée en incidence par rapport à la verticale de l’antenne S1
• R1, respectivement R2, est la distance de l’antenne S1, respectivement S2, au point considéré
• B est la distance du mât qui sépare les deux antennes (Baseline en anglais).
La mission SWOT
Le projet SWOT : Surface Water Ocean Topography est un projet en collaboration entre le laboratoire JPL 10 de la NASA 11 et le CNES 12 (Lee-Lueng et al. [Mission Science Document]). C’est une mission altimétrique innovante dont l’instrument principal KaRIn, Ka Radar Interferometer, est un SAR interférométrique à faible incidence en bande Ka. L’interféromètre devrait fonctionner en mode « standard » (« non ping-pong »). L’objectif principal de cette mission est d’améliorer la couverture spatio-temporelle des mesures altimétriques océaniques mais aussi d’étendre les mesures altimétriques à l’hydrologie continentale (lacs, rivières, etc…).
L’instrument KaRIn a deux modes de fonctionnement :
• Un mode océanographie, ou encore mode LR (Low Rate), spécifique à la mesure altimétrique sur océans permettant une précision de hauteur altimétrique de 1 à 2 cm sur une surface d’ 1 km2.
• Un mode hydrologie, ou encore mode HR (High Rate), spécifique à la mesure altimétrique hydrologique, pour la surveillance des réserves d’eau douce de la planète. La précision espérée est de l’ordre de 11 cm (après moyennage sur des surfaces de 1 km2 ) sur la mesure de hauteurs d’eau et une détection des lacs de dimensions supérieures à 250×250 m2 (objectif≥ 100×100 m2 ) et des rivières dont la largeur est supérieure à 100 m (objectif ≥ 50 m). Les caractéristiques principales de l’instrument KaRIn et du satellite SWOT sont résumées dans le tableau 1.1. L’incidence proche Nadir de visée de SWOT fait que la taille des pixels au sol (pg ) varie fortement le long de la fauchée range. Elle s’étend de 60 m en Near Range jusqu’à 10 m en Far Range. La fauchée en range de SWOT s’étend de 10 km en Near Range par rapport à la verticale jusqu’à 60 km en Far Range.
Influence d’une surface d’observation mouvante
L’observation des surfaces d’eau présente une difficulté principale pour l’altimétrie à large fauchée. En effet, les surfaces observées bougent au cours du temps, et donc entre les différentes acquisitions radars et interférométriques. Nous présentons dans ce paragraphe les différentes erreurs sur la synthèse SAR et sur la phase interférométrique dues aux mouvements de la surface observée.
Erreurs sur le processus de synthèse SAR
Nous reprenons ici les principes énoncés dans le paragraphe 1.1.3.2 mais en considérant cette fois-ci une surface observée qui évolue dans le temps. Les effets dûs aux mouvements orbitaux des vagues ont longuement été étudiés (Raney [1971, 1980]; Alpers and Rufenach [1979]; Rufenach and Alpers [1981]). Le mouvement de cette surface entraîne un déplacement de la distance surface – satellite au cours du temps, comme représenté sur la figure 1.9.
Erreurs d’estimation de la hauteur d’eau
Une cellule de résolution est composée de différentes cibles élémentaires cohérentes spatialement. La phase du signal rétrodiffusé est alors la somme des phases élémentaires de ces cibles élémentaires, qui peuvent s’annuler si celles-ci sont en opposition de phase ou se renforcer si leurs phases sont proches. Ces phases de diffusion forment le phénomène de scintillement (speckle en anglais) qui donne cet aspect granulaire aux images SAR. La contribution de l’ensemble des cibles élémentaires donne un aspect aléatoire à la phase de rétrodiffusion et est représentée par une loi uniforme entre [−π;π]. Cet effet de speckle ne rend pas avantageux l’estimation de la phase interférométrique Φ sur une seule impulsion radar. Il est préférable de l’estimer sur un échantillon de NL vues successives. Un estimateur non-biaisé modulo 2π de cette phase interférométrique est l’estimateur du minimum de vraisemblance (Rodriguez and Martin [1992]) :