Les enjeux du coût du cycle de vie dans les marchés publics

Les enjeux du coût du cycle de vie dans les marchés publics 

UNE COMPLEXITÉ LIÉE À L’ÉTENDUE DE LA NOTION DE DÉVELOPPEMENT DURABLE 

Dans ce premier chapitre, nous allons revenir succinctement sur les différents aspects revêtus par la notion de développement durable afin de poser clairement les bases de l’utilisation du coût du cycle de vie dans la commande publique. Nous ferons part également de la convergence progressive entre droit communautaire et interne pour l’acception des critères environnementaux et sociaux dans les marchés publics (Section 1). Ensuite, nous rentrerons plus avant dans l’étude de la polysémie du coût du cycle de vie afin de comprendre les enjeux de son intégration dans la commande publique (Section 2). 

 Aux origines des critères sociaux et environnementaux dans la commande publique française

Avant de traiter en détail la notion de coût du cycle de vie, il nous paraît important d’en expliquer la genèse, et de faire part de la progressive acception des critères sociaux et environnementaux dans la commande publique grâce à la convergence des droits communautaire et interne.

 L’influence déterminante de la notion de développement durable 

Le développement durable résulte d’une lente gestation. L’acte initial de sa genèse est considéré comme étant la conférence des Nation-Unies tenue à Stockholm en 1972. Elle sert alors de cadre pour un débat mondial sur les problèmes environnementaux causés par la croissance démographique et, plus généralement, les activités anthropiques Les négociations entre pays du Nord et pays du Sud aboutissent alors au concept d’écodéveloppement, préfiguration de celui de développement durable. L’acte de naissance de ce dernier est véritablement le rapport Brundtland de 1987. Selon Moïse Tsayem Demaze, cette conception du développement est singulière car « elle place l’Homme au centre des préoccupations, en le mettant devant ses responsabilités et en le prévenant des risques qu’il encourt et fait encourir à la Terre (…) »  . L’annexe 1 du rapport appelle à la constitution d’une solidarité internationale en mettant l’accent sur le double enjeu du développement durable : l’amélioration du bien-être et la résorption des inégalités sociales. La priorité est donc accordée à la préservation de la planète en priorisant des modes de vie qui ne compromettent pas son avenir et qui soient respectueux de l’environnement. Le développement durable est un concept au contenu difficile à cerner, et c’est ce qui explique en partie la complexité du coût du cycle de vie comme nous l’analyserons plus loin dans l’étude. En effet, en saisir la pleine signification induit que l’on aille au-delà de la définition proposée dans le rapport Brundtland, et que nous avons rappelée en introduction. Classiquement, le développement durable comporte trois domaines de définition : le domaine social, économique et environnemental. Il se définit alors comme « un développement efficace économiquement tout en étant socialement équitable et écologiquement durable »  . Différentes combinaisons de ces trois piliers sont alors possibles : une durabilité écologique sans équité sociale ou encore une équité sociale sans viabilité économique. Le développement durable est donc la notion qui, sans aucun doute, a inspiré en partie le législateur – européen puis national – pour intégrer le coût du cycle de vie dans la commande publique. Cette dernière se fait le vecteur des piliers du développement durable : un achat public viable économiquement, qui soit respectueux des normes environnementales et participe à l’insertion de publics en difficulté. Toutefois, pour que le cycle de vie soit pris en compte, il a fallu un processus de dépassement des divergences initiales entre droit communautaire et droit interne afin de retenir des considérations sociales et environnementales dans les marchés publics. Paragraphe 2 : La divergence initiale des droits communautaire et interne pour l’acception de critères sociaux et environnementaux dans la commande publique : Nous nous sommes d’abord appuyés sur l’article d’Hélène Pongérard-Payet  afin d’expliquer les sources initiales de divergence entre le droit communautaire et le droit interne. Ensuite, nous expliciterons les éléments de rapprochement entre ces derniers. Dans un premier temps, ces deux formes de droit sont loin de connaître une parfaite symbiose. En effet, la conception française privilégie un achat public à caractère instrumental, c’est-à-dire qui ne serait que l’outil de satisfaction des besoins de l’administration. Les conditions de qualité et de coût monétaire sont privilégiées. La plus haute juridiction administrative affirmera même que « le principe tout à fait essentiel de la neutralité de la réglementation des marchés publics correspond à l’idée selon laquelle la dépense publique qui s’effectue à l’occasion d’un marché ne doit pas être l’instrument d’autre chose que la réalisation du meilleur achat au meilleur coût »   . La conception communautaire considère également que l’achat public ne doit pas poursuivre d’objectifs sociaux ou environnementaux, mais met l’accent sur la nécessaire performance de l’achat public couplée à l’effectivité de la concurrence entre agents économiques. Les principaux éléments de divergence résident dans le fait que la jurisprudence communautaire s’affirme plutôt en faveur d’un critère additionnel d’attribution des marchés, concernant un critère social ou écologique, tandis que le droit interne apparaît a priori plutôt favorable à la condition d’exécution25 . Ainsi, dans une affaire où la région française du Nord-Pas-de-Calais et le département du Nord avaient publié plusieurs avis de marchés concernant la construction de bâtiments scolaires, un critère additionnel lié à la lutte contre le chômage apparaissait dans les critères  de jugement des offres. La Cour de Justice a considéré que le mieux-disant social pouvait constituer un critère licite d’attribution du marché, étant donné que la directive travaux n’interdisait pas son utilisation  . À l’inverse, le Conseil d’Etat va, un an plus tard, aller à l’encontre de l’interprétation de la Cour de Justice. En l’espèce, l’affaire concerne un marché de déblaiement de fossé et de dépollution des déblais dans la commune de Gravelines. Cette dernière insère dans le règlement de consultation un critère additionnel relatif aux « propositions concrètes faites par les soumissionnaires en matière de création d’emplois, d’insertion et de formation »  . Le Conseil d’Etat enjoint alors la commune de supprimer ce critère. En l’occurrence, c’est bien l’absence de rapport avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution qui est condamnée, et non le critère du mieux-disant social en lui-même. La haute juridiction administrative a pu prendre appui sur le décret du 7 mars 2001 qui range les aspects sociaux et environnementaux parmi les conditions d’exécution du marché  . Paragraphe 3 : La convergence progressive des droits communautaire et interne : Selon Hélène Pongérard-Payet, c’est bien sous « la pression du développement durable » que s’opère la convergence en matière d’achat public écologique. Cette dernière est effective concernant le critère environnemental, notamment sous l’impulsion du Traité d’Amsterdam qui rend obligatoire l’intégration d’exigences environnementales dans les politiques de l’Union Européenne. De plus, la Commission Européenne publie, en novembre 2001, une communication interprétative sur les possibilités d’intégrer des considérations environnementales dans les marchés publics30 . La Cour de Justice précise également que les critères de choix de l’offre la plus économiquement avantageuse ne doivent pas nécessairement être strictement monétaires. En l’espèce, un marché était passé par la ville d’Helsinki pour la gestion de son réseau d’autobus. Le règlement de consultation prévoyait l’attribution de points supplémentaires pour les candidats s’engageant à respecter un niveau d’émission d’azote. Evincée à l’issue de la procédure, la société Concordia a contesté la légalité du critère écologique. Toutefois, la Cour estime qu’un pouvoir adjudicateur peut    prendre en compte des critères écologiques si et seulement si : ils sont liés à l’objet du marché, ils ne confèrent pas une liberté inconditionnée de choix au pouvoir adjudicateur, ils sont expressément mentionnés dans l’avis de marché et respectent les principes fondamentaux du droit communautaire  . En parallèle, le droit interne s’aligne progressivement sur le droit communautaire. Le Code des marchés publics de 2004 ajoute à la liste des critères de choix de l’offre la plus économiquement avantageuse celui des « performances de l’offre en matière de protection de l’environnement » . Il confère au critère environnemental plus de « sécurité juridique en lui décernant le statut de critère réglementaire d’attribution en lieu et place du statut de critère additionnel d’attribution » . Concernant le critère social, c’est encore le Traité d’Amsterdam qui s’en fait le catalyseur, en faisant de la promotion de l’emploi un objectif communautaire. Dans le cadre d’une communication interprétative d’octobre 2001, la Commission Européenne considère que « c’est avant tout au stade de l’exécution qu’un marché public peut constituer un moyen pour les pouvoirs adjudicateurs d’encourager la poursuite d’objectifs sociaux ». De plus, la directive « Marchés publics » du 31 mars 2004 permet le recours au critère social additionnel. La condition de lien avec l’objet du marché doit s’appliquer aux aspects sociaux également. Le juge administratif a toujours condamné l’absence de lien entre le critère social de lutte contre le chômage et le marché en cause. En revanche, il a parfois considéré qu’un critère écologique était en rapport avec l’objet d’un marché de travaux, ce dernier devant être exécuté dans une zone écologiquement sensible .

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : Le coût du cycle de vie : une notion complexe permettant d’affiner les besoins des acheteurs publics en matière de développement durable
CHAPITRE 1 : Une complexité liée à l’étendue de la notion de développement durable
SECTION 1 : Aux origines des critères sociaux et environnementaux dans la commande publique française
Paragraphe 1 : L’influence déterminante de la notion de développement durable
Paragraphe 2 : La divergence initiale des droits communautaire et interne pour l’acception de critères sociaux et environnementaux dans la commande
publique
Paragraphe 3 : La convergence progressive des droits communautaire et interne
SECTION 2 : Le coût du cycle de vie : une synthèse des critères sociaux et environnementaux dans la commande publique
Paragraphe 1 : Un concept polysémique et complexe
Paragraphe 2 : L’édiction d’un mode d’emploi du coût du cycle de vie par les pouvoirs publics à destination des acheteurs
CHAPITRE 2 : Le coût du cycle de vie dans la phase de définition des besoins : vecteur
d’internalisation des externalités du contrat
SECTION 1 : Une phase de définition des besoins affinée pour les pouvoirs
adjudicateurs grâce au coût du cycle de vie
Paragraphe 1 : La définition des besoins : la clef d’un achat responsable réussi
Paragraphe 2 : Des orientations nationales définies par les pouvoirs publics afin d’encourager les acheteurs à un achat durable
SECTION 2 : Une internalisation incomplète des externalités du contrat
Paragraphe 1 : L’intégration du coût du cycle de vie : une obligation de moyens et non résultats
Paragraphe 2 : La constitution d’initiatives pour responsabiliser la commande publique
PARTIE 2 : L’existence d’entraves structurelles à la pleine intégration du coût du cycle de vie dans les marchés publics
CHAPITRE 1 : Des moyens humains, techniques et financiers peu adaptés pour en assurer le contrôle
SECTION 1 : L’hétéronomie technique des collectivités quant au coût du cycle de vie
Paragraphe 1 : Un personnel quantitativement et qualitativement inadapté pour l’intégration d’une donnée aussi complexe
Paragraphe 2 : La référence à des méthodes extérieures d’évaluation du coût du cycle de vie
SECTION 2 : Des contraintes budgétaires incompatibles avec un contrôle efficace du coût du cycle de vie
Paragraphe 1 : Un contexte budgétaire favorable à la maîtrise des dépenses publiques
Paragraphe 2 : Des inégalités économiques entre les pouvoirs adjudicateurs
CHAPITRE 2 : Une conciliation difficile avec la préservation de la concurrence
SECTION 1 : Le paradoxe de l’importance croissante conférée tant à la concurrence qu’à la durabilité de l’achat public
Paragraphe 1 : L’affirmation du primat de la concurrence entre opérateurs économiques
Paragraphe 2 : Les trois piliers de la commande publique : la garantie d’une concurrence pleine et entière
Paragraphe 3 : Le coût du cycle de vie à l’épreuve de la préservation de la concurrence
SECTION 2 : Des divergences sur le rôle économique et socio-environnemental
qui incombe à la commande publique
Paragraphe 1 : La majorité des praticiens en faveur d’une commande publique durable et responsable
Paragraphe 2 : Un certain scepticisme de la doctrine quant à la mission socio-environnementale à imputer à la commande publique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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