Les enjeux des émotions

Pleins feux sur les émotions

Aujourd’hui, une partie des neurologues qui étudient le cerveau se sont mis à s’intéresser aux émotions, en profitant des progrès de l’imagerie médicale et de la biochimie. Une partie des psychiatres se détournent des vues classiques de la psychiatrie et de la psychanalyse pour s’intéresser davantage à la dimension émotionnelle des troubles de leurs patients : anxiété et dépression notamment. Presque toutes les écoles de psycho-logie humaniste et de thérapie brève mettent désormais en avant le travail sur les émotions, alors que ce sujet les laissait indifférentes il y a vingt ans. Au sein de la psychologie humaniste, une doctrine de dévelop-pement personnel appelée « intelligence émotionnelle » s’est mise à promouvoir une hygiène de vie dont les points clés sont : la promotion de l’optimisme, la reconnaissance de nos propres émotions et de celles des autres, la reconnaissance de leur « message », l’encouragement à parler d’elles, et la promotion d’une morale à base de non-violence et de compassion. Tout cela peut-il n’être qu’un effet de mode ? Les émotions semblent plutôt avoir gagné durablement le droit d’être reconnues et discutées comme des faits. La querelle de préséance opposant raison et émotions est déjà un combat d’arrière-garde. Les questions d’actualité sont plutôt : « quel genre d’émotions : le tourment et le psychodrame, ou les bienfaits ? Quelle articulation entre l’intelligence et les émotions ? »

L’approche des émotions par l’intelligence des situations

C’est l’approche employée dans ce livre. Il nous est impossible de commander directement à nos émotions, qui sont des facultés réaction-nelles, indépendantes de notre volonté. Il existe pourtant des recettes d’action indirecte sur nos émotions, la plupart applicables après coup, comme le procédé bien connu qui consiste à prendre un temps pour respirer et retrouver notre calme quand nous sommes fâchés. L’approche des émotions par l’intelligence des situations peut, elle aussi, servir après coup, sous la forme d’un réexamen des situations d’émotion où nous sommes plongés. Elle présente cependant l’avantage d’être aussi une approche préventive, qui nous apprend à juger intuitivement les situa-tions de notre vie de telle sorte que nos émotions s’avèrent satisfaisantes du premier coup, sans nécessité d’y revenir. Un tel apprivoisement de nos émotions peut se produire spontanément avec l’âge, au fur et à mesure que notre compréhension des situations de notre vie s’améliore ; c’est plus ou moins rapide, selon nos dons d’observation et notre volonté d’apprendre. Le travail sur les émotions par l’intelligence des situations vise à accélérer nos progrès. Il s’accomplit par emprunt d’idées éclairantes
à des personnages aussi divers que Machiavel ou Jésus de Nazareth. Sans espérer réussir à juger les choses objectivement, un travail consciencieux d’intelligence des situations se propose de nous offrir une multiplicité d’éclairages possibles sur les diverses situations de la vie, pour plus de flexibilité émotionnelle.
Le fondement universitaire de l’approche des émotions par l’intelligence des situations est la psychologie dite « cognitive », qui attribue à la subjectivité un rôle capital dans les processus émotionnels. En d’autres termes, nos émotions dépendent de notre appréciation subjective des situations de notre vie, appréciation ou interprétation qui peut être consciente ou intuitive. Un réexamen de ces situations, un recadrage de notre façon de les voir, une meilleure compréhension ou « intelligence » de ces situations, peut avoir pour résultat de modifier notre condition émotionnelle. Prenons un exemple.
Réunion à la première heure : Agnès, Bernard et Charles attendent depuis vingt minutes l’arrivée de Xavier, dont la présentation est essentielle pour lan-cer la réunion. Agnès est légèrement contrariée, et songe à retourner à son poste de travail. Bernard, qui a une réputation de soupe au lait, regarde sa montre, et grogne en faisant des commentaires irrités. Charles se dit que le retard de Xavier a peut-être de bonnes raisons ; dans le doute, il reste serein. Xavier arrive enfin, et explique que sa femme se sentait mal, et qu’il a dû accompagner sa fille à l’école. Agnès écoute à peine : elle comprend surtout que la réunion va enfin pouvoir commencer. Bernard, qui était irrité, se calme aussitôt, parce que, pour lui, la famille est sacrée, et passe avant le travail. Quant à Charles, qui était calme, le voilà de mauvaise humeur ! L’excuse de Xavier lui paraît cavalière, peu professionnelle : Charles comprend surtout que Xavier est un lève-tard, mal organisé, qui se laisse surprendre à la der-nière minute. Il foudroie Xavier du regard, et lui dit d’un ton glacial : « Vous auriez pu appeler pour prévenir de votre retard ! »
Les réactions émotionnelles différentes d’Agnès, Bernard et Charles peuvent s’expliquer par leur appréciation différente de la même situation. S’il s’avérait que Xavier a effectivement averti de son retard la secrétaire de direction, qui a omis de transmettre le message, cette information nouvelle pourrait-elle radoucir Charles vis-à-vis de Xavier ?
Au sein de la psychologie cognitive des émotions, il existe d’autres approches plus ou moins développées et sérieuses, cousines de l’approche adoptée ici. La thérapie cognitivo-comportementale, principalement réservée aux psychiatres, est surtout faite pour les troubles diagnosti-qués, comme les phobies et la dépression. Elle est moins adaptée à la vie quotidienne et aux situations complexes. Elle a hérité de quelques traits de la « thérapie comportementale émotivo-rationnelle » d’Albert Ellis, disparue depuis.
Plusieurs théories universitaires, appelées « théories de l’évaluation cognitive » ou « théories de l’appraisal », sont le noyau dur de la psycho-logie cognitive des émotions1. Toutefois, elles se concentrent volontiers sur quelques points difficiles de théorie, au lieu d’exploiter leur potentiel en termes d’aide au développement personnel. Le psychologue Richard Lazarus2 a proposé en 1991 un tableau pour quinze émotions courantes, qui, sans être complètement fiable, donne une bonne idée de ce qu’est la psychologie cognitive des émotions : la méthode Coué jusqu’à la promotion de l’optimisme, en passant par le : « tu peux si tu veux ». La pensée positive est pauvre en contenu ; elle équivaut souvent à dire : « débrouillez-vous ». Elle s’associe volontiers aux discours relativistes ou constructivistes qui ont fleuri au XXe siècle, du type : « c’est tout dans la tête, c’est psychologique ». Notre approche des émotions par l’intelligence des situations ne doit pas être confondue avec ce relativisme, qui disqualifie nos opinions comme interchangea-bles, et nous décourage d’agir sur notre environnement réel. Notre approche maintient que les problèmes sont parfois dans notre tête et parfois dans les faits, d’où un travail à effectuer au cas par cas. Il nous est peut-être impossible d’acquérir des certitudes sur la réalité des faits ; pour autant, notre meilleure estimation des faits et notre intime convic-tion jouent un rôle capital.
La gestion des émotions pénibles est l’une des deux priorités majeures de ce livre1. Jusqu’à un certain point, nous faisons notre affaire person-nelle de nos émotions pénibles, sans forcément rechercher un soutien ou une aide. Toutefois, même cette aide peut prendre des formes assez diffé-rentes et graduées, qui sont passées en revue au chapitre 2. La troisième partie du livre contient des exercices et exposés aidant à gérer la colère, la tristesse, la honte et la peur, et quelques autres phénomènes émotion-nels dits « négatifs » qui en sont proches, comme l’antipathie, l’envie, le mépris et la frustration. Bien sûr, le chapitre consacré à la peur traite surtout de la crainte, de l’anxiété et de l’inquiétude, plutôt que de la peur classique au sens d’une épouvante ou d’une terreur.
L’autre priorité majeure du livre est l’explication du fonctionnement des émotions, en mettant temporairement de côté les enjeux pratiques. C’est là davantage que de la simple curiosité : une telle étude compte aussi pour rendre possible un travail pratique digne de ce nom. En effet, de nom-breuses idées contradictoires circulent à propos des émotions, et les exer-cices pratiques tendent à être coupés et perturbés par les objections les plus variées, comme : « Mais les émotions sont des réactions hormonales – Mais les émotions sont contagieuses, regardez par exemple ce qui se passe sur les marchés boursiers – Mais les émotions sont incontrôlables – Mais tout se joue dans l’enfance – Mais les émotions nous indiquent la voie à suivre, c’est la sagesse du corps – Mais les émotions sont capri-cieuses, il faut savoir s’en détacher – Mais il n’y a rien à comprendre, il faut juste ressentir les choses, c’est tout. » Pour aller au-delà du bricolage superficiel, et apprivoiser durablement nos émotions, il nous est indis-pensable d’avoir d’abord les idées claires sur quelques notions de base. Le chapitre 1 fait un tri parmi ce qui se dit actuellement sur les émotions dans les cercles scientifiques ; c’est un chapitre à ne pas manquer, qui donne des clés essentielles pour la suite.
Cet ouvrage accorde beaucoup d’importance au bonheur personnel. Si nous sommes moins heureux que nous ne le voudrions, c’est peut-être avant tout parce que notre héritage culturel ne nous en donne pas les moyens. Nous avons reçu des conseils de bonheur multiples et contra-dictoires, qui ne sont pas si efficaces que cela, même lorsqu’ils se présen-tent comme originaux ou dissidents : par exemple, cela fait au moins deux mille ans que nous sommes régulièrement mis en garde contre le matérialisme, et, à chaque fois, c’est présenté comme révolutionnaire ! Trop souvent, la faute de nos déconvenues est rejetée sur nous : « il n’y a pas de recette, chacun doit trouver son chemin, c’est à chacun de savoir apprécier sa chance ». Ce livre entreprend de poser des bases de travail saines pour, à terme, augmenter notre bonheur par un apprivoisement de nos émotions gratifiantes. Cela inclut nos émotions positives cou-rantes comme nos joies et nos amours, mais aussi d’autres émotions moins connues ; le chapitre 3 en dit davantage là-dessus.
Ce livre accorde également une grande importance aux questions éthi-ques. Il aborde de façon particulièrement détaillée la façon dont nos convictions éthiques influencent notre vécu émotionnel. Il s’intéresse notamment aux coûts émotionnels cachés des nobles intentions, coûts cachés en termes d’anxiété, d’inquiétude et d’aigreur. Le chapitre 5 et la troisième partie s’efforcent de donner une plus grande hauteur de vue et une plus grande flexibilité émotionnelle sur les situations à forts enjeux éthiques.
Vous aider à réussir socialement ne fait pas partie des priorités de cet ouvrage. Vous y trouverez tout de même de quoi prévenir les risques de psychodrames et de manipulation. Le chapitre 4 contient des conseils basés sur l’idée que l’émotion est, dans la communication, un message précieux, car commode et synthétique, mais aussi un message comme un autre, qui peut être plus ou moins judicieux et justifié. L’important est surtout de voir comment nous accueillons ce message, et comment nous y répondons ; c’est ce qui est fait, émotion par émotion, dans la troisième partie du livre.

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Test préalable à la lecture

Voici un test qui vous prodiguera des conseils de précaution et des encouragements personnalisés concernant la lecture de ce livre. Ce test se fonde sur un petit nombre de critères choisis spécialement pour l’occasion, et non sur un inventaire général des types de personnalité.
Si vos deux totaux sont élevés (A+B supérieur ou égal à 38) :
Sans que ce test soit basé sur un inventaire général des types de person-nalité, nous pouvons vous décrire sans trop de doute comme « empa-thique »1. Émotif et serviable, parfois trop, vous accueillez volontiers les conseils permettant de mieux gérer vos émotions. Ce livre peut vous faire gagner en hardiesse et en indépendance, grâce à une meilleure gestion des situations conflictuelles et une déculpabilisation sur de nombreux points. Pour que vous puissiez profiter de ce livre, beaucoup dépendra de votre disponibilité d’esprit sur la question des émotions. En effet, vous avez besoin d’une reconnaissance régulière de vos qualités de cœur, et cela vous aura peut-être rendu réceptif à des discours déjà largement diffusés qui, tout à la fois, valorisent les émotions et présentent l’intelligence comme froide et critique. Ce livre emprunte une autre voie, puisqu’il fait appel aux ressources de l’intellect pour comprendre les émotions. Si cette voie vous semble acceptable, votre lecture sera récompensée.
Si vos deux totaux sont bas (A+B inférieur ou égal à 23) :
Vous avez la réputation d’être d’humeur relativement égale, voire d’être réservé ou indifférent. Pourtant, vous avez une affectivité, qui s’exprime notamment par des amitiés, des liens familiaux, des goûts, et peut-être une passion pour votre travail ou pour des hobbies. Ce test paraît indiquer que vous accordez beaucoup de temps et d’attention soit à votre vie intérieure, soit à votre rapport aux choses, par opposition à votre rapport aux gens. Vous vous méfiez de la langue de bois et des fausses promesses ; la psychologie des émotions peut éventuellement vous apparaître comme un bavardage spécieux. Les émotions sont néanmoins un objet d’étude comme un autre, potentiellement passionnant : tout dépend des cher-cheurs et des auteurs. Il est difficile de prédire exactement ce que ce livre vous apportera ; toutefois, son approche scrupuleuse et son ton démysti-ficateur devraient vous plaire.
Si c’est surtout votre total A qui est élevé (A+B entre 24 et 37 ; A = B+5 ou davantage) : Peut-être la vie vous a-t-elle appris à vous méfier des beaux discours, et préférez-vous « cultiver votre jardin », comme disait Candide dans le conte de Voltaire. Ou bien peut-être avez-vous simplement l’esprit ouvert, sans opinion définitive sur les choses. Vous êtes, en tout cas, une personne sensible : vos émotions vous posent régulièrement des diffi-cultés. Les émotions n’ont pas toujours raison, pas plus que l’intelli-gence : elles se manifestent souvent à mauvais escient. Vous apprendrez ici à mieux les gérer, en faisant un tri au cas par cas. Si vous avez déjà lu d’autres ouvrages sur les émotions, notamment des livres insistant sur le rôle du corps et du cerveau, vous serez peut-être dépaysé par l’approche plus purement psychologique adoptée ici. C’est l’occasion de découvrir d’autres possibilités.
Si c’est surtout votre total B qui est élevé (A+B entre 24 et 37 ; B = A+5 ou davantage) :
Vous êtes une personne de conviction, soucieuse de contribuer au bien général. Remarquez que ce test mesure seulement votre adhésion à cer-taines normes éthiques largement répandues de nos jours, et non votre tendance personnelle à émettre des jugements. Vous êtes peu sensible, au sens habituel du terme. Vous pouvez cependant éprouver des ennuis émotionnels chroniques tels que : irritation, inquiétude et anxiété, notamment s’agissant de problèmes sociaux, écologiques ou géopoliti-ques. Au pire, vous pourriez être sur la voie de la misanthropie1. Si vous êtes surtout animé par la curiosité scientifique ou le désir d’efficacité personnelle, ou si vous êtes plus généralement disposé à entendre des opinions argumentées différentes des vôtres, la lecture de ce livre vous sera facile. En revanche, si votre intention est plus militante, si vous êtes déjà dans une logique de transmission aux autres, et si vous cherchez surtout des confirmations et des soutiens, il est improbable que ce livre soit fait pour vous.
Si vos deux totaux sont moyens (A+B entre 24 et 37 ; 4 points d’écart maximum entre A et B) :
Il apparaît que vous gérez déjà plutôt bien vos difficultés émotionnelles occasionnelles. Vos opinions sur les questions morales sont éclectiques, ou peu tranchées. Ce que vous attendez de ce livre est probablement un perfectionnement de votre habileté sociale et professionnelle, comme la diplomatie, la maîtrise du trac, l’amélioration de l’image que vous projetez, et la gestion des crises et du « stress » occasionnels. Vous êtes peut-être également curieux d’en apprendre davantage sur les émotions. Ce livre contient de quoi vous satisfaire, du moins si vous accueillez favorablement son optique, c’est-à-dire la psychologie cognitive des émotions.

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