Les enjeux de protection du foncier agricole

Les terres agricoles au cœur de conflits d’usage

Quelques soient les outils de mesure utilisés, toutes les analyses montrent une tendance lourde de recul des terres agricoles face à l’artificialisation des sols8 . L’outil Teruti-Lucas utilisé par le ministère de l’agriculture estime la croissance de l’artificialisation à 61 200 hectares par an entre 2006 et 2014 pour atteindre 9,3 % de l’occupation des sols français soit 5,1 millions d’hectares.
À l’échelle nationale, l’artificialisation progresse principalement au détriment des zones agricoles. Entre 1981 et 2012, les surfaces agricoles ont perdu une superficie de deux millions d’hectares, équivalente aux espaces artificialisés sur la période, tandis que la superficie des sols naturels est restée globalement stable10 . Toujours selon l’enquête Teruti-Lucas, les nouveaux espaces artificialisés sur la période récente sont destinés principalement à l’habitat individuel, aux réseaux de transports et aux équipements de sport et de loisirs. Entre 1992 et 2004, sur les 800 milliers d’hectares artificialisés, 51% ont été utilisés pour la construction de maisons individuelles, 19% pour les infrastructures de transports, et 10% pour les équipements de loisirs. Ces chiffres traduisent l’attrait des français pour un mode de vie basé sur la maison individuelle avec jardin (démontrée dans les enquêtes Logement de l’INSEE), quitte à habiter loin des villes ; conséquence de cette localisation, les réseaux routiers nécessaires à la desserte du périurbain pavillonnaire constituent le deuxième usage du sol artificialisé. Ce phénomène d’artificialisation des terres génère de nombreux effets négatifs sur l’environnement11 : baisse de la capacité d’infiltration des sols et hausse des risques (ruissellement, érosion des sols, inondations) ; augmentation des îlots de chaleur et dégradation de la qualité de l’air ; destruction massive de biodiversité. Alors que le processus de régénération du sol est d’une longueur sans commune mesure avec celle de sa dégradation, l’artificialisation est « aveugle », consommant de manière indifférenciée des terres irriguées ou des friches. Au-delà de cette artificialisation des terres, l’étalement urbain produit des stratégies foncières de rétention de la part des propriétaires foncier. Ceux-ci, dans une optique de spéculation, retirent leurs terres du marché foncier, dans l’attente d’une ouverture à l’urbanisation : le profit généré est énorme puisque le prix de la terre peut alors être multiplié par 20 à 50. Le modèle agricole français tel que développé dans les années d’après-guerre repose sur des agriculteurs qui sont propriétaires de leurs terres ; mais ces exploitants, une fois retraités doivent subvenir à leurs besoins avec des retraites souvent bien maigres. Selon un rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) reprenant des données de la Mutuelle de solidarité agricole (MSA), les anciens chefs d’exploitation percevaient début 2017, à carrière complète (au moins 150 trimestres cotisés, complémentaire comprise), 855 euros par mois en moyenne, contre 1 800 euros pour l’ensemble des Français. Ce qui les placent donc, pour beaucoup, sous le seuil de pauvreté (1.015 euros en 2015, soit 60 % du revenu médian). Or, cette faiblesse des retraites ne peut pas être compensée par les loyers de fermage que ces agriculteurs-propriétaires pourraient percevoir en louant leurs terres à d’autres agriculteurs : le montant du fermage est fixé par arrêté préfectoral, à un niveau très bas (voir ci-après). La rentabilité du foncier agricole est donc souvent donc nulle après imposition12 : elle serait de l’ordre de 1,5 % (contre 7 % pour les actions, 3 à 4 % pour le bâti locatif) mais la taxation de ces biens conduit à un rendement négatif.
La location des terres à d’autres agriculteurs ne permettant pas d’améliorer leurs revenus, ils se tournent vers la revente, en cherchant le prix maximum. Et qui pourrait bien, dans un modèle sociétal qui dénigre la valeur d’une vie de travail agricole, reprocher aux agriculteurs de chercher à réaliser une plus-value sur un tènement foncier durement exploité pendant 30 ou 40 ans ? Au-delà des stratégies de rente foncière, le système du fermage, mis en place par une loi de 194613, est lui aussi un facteur qui alimente le phénomène de la rétention – et de l’enfrichement subséquent -des terres agricoles. Ce bail agricole, pensé pour protéger le preneur face au propriétaire en position dominante, est défini pour une durée longue (9 ans), et assorti d’un droit de renouvellement automatique et d’un droit de préemption en cas de vente par le propriétaire. Sa rémunération est de plus fixée par arrêté préfectoral, à un niveau qui est parmi les plus bas d’Europe14. Enfin, c’est un bail difficile à rompre, toute rupture devant être motivée et étant attaquable. Les propriétaires sont donc extrêmement réticents à mettre à bail leurs terres, le bail étant même parfois perçu comme une « confiscation » de leurs terres. Toutes sortes de pratiques se développent pour le contourner. Le commodat (ou prêt à usage), à caractère gratuit et souvent oral, augmente-lui aussi.

Les outils actuels de préservation du foncier agricole

La planification territoriale

Les documents de planification, émanant des diverses échelles du territoire, et articulés entre eux autour des notions de conformité, compatibilité et prise en compte16 , convergent vers la préservation des espaces ouverts, à travers l’application commune de l’article L 121-1 du code de l’urbanisme, qui stipule que les documents d’urbanisme doivent assurer l’équilibre entre, notamment, « une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, des milieux et paysages naturels » et « le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé,…, la revitalisation des centres urbains et ruraux ».
Les SRADDET – La portée des SRADDET est encore difficile à évaluer étant donné leur nouveauté. Créés en 2015, ils sont encore en cours d’élaboration dans la majorité des régions.
Pour le professeur Lebreton, le rapport de compatibilité est une relation de subordination moins exigeante que le rapport de conformité, qui interdit tout écart entre la norme et la mesure d’exécution, mais plus contraignante que l’exigence de simple prise en compte, qui autorise quant à elle certaines petites contradictions entre le paramètre de référence et l’élément subordonné. J.-P. Lebreton, « La compatibilité en droit de l’urbanisme », AJDA 1991, p. 491 SRCE (Schéma régional de cohérence écologique), SRCAE (Schéma régional climat air énergie), SRIT (Schéma régional des infrastructures et des transports), SRI (Schéma régional de l’intermodalité) et PRPGD (Plan régional de prévention et de gestion des déchets). Ce cadre régional représente une opportunité pour les territoires de se projeter dans l’avenir mais sera fortement dépendant de la volonté politique ; en matière de gestion économe de l’espace, l’un des 11 champs thématiques obligatoires du document, le SRADDET pourra se borner à rappeler les obligations posées aux documents d’urbanisme par les lois Grenelle ou au contraire fixer un cap chiffré et ambitieux.
Les SCoT – La loi prévoit dans les SCoT de nombreuses dispositions favorables à la protection et gestion économe des espaces. Le rapport de présentation du SCoT doit inclure un diagnostic agricole préalable (L141-3), qui offre une opportunité de réflexion sur le devenir souhaité de l’agriculture sur le territoire et peut amener à entrer en dialogue avec les professionnels de ce secteur. Le Plan d’aménagement et de développement durable (PADD) doit inclure une analyse de la consommation des espaces au cours des 10 dernières années (art. L 141-3 du code de l’urbanisme) et fixer des objectifs de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers. Le Document d’orientation et d’objectifs (DOO) doit chiffrer ces objectifs, par secteur géographique (L141-6) et déterminer les espaces naturels, agricoles ou forestiers à protéger, dont il peut définir la localisation ou la délimitation (L 141-10).

Le foncier agricole dans la Métropole Aix-Marseille-Provence

Un potentiel agricole métropolitain affirmé

La Métropole AMP possède une identité agricole marquée. Les espaces agricoles couvrent61 200 hectares soit plus de 19 % du territoire (Ocsol CRIGE, 2014)34. La superficie très importante de cette Métropole (3 173 km2) la distingue nettement des autres métropoles françaises, de même que son armature urbaine polycentrique. Ce polycentrisme accentue les enjeux de consommation d’espace,
notamment agricoles, car ces derniers sont dispersés et fragmentés en plus petites entités agraires. Les composantes agricoles, naturelles et urbaines sont marquées par des interpénétrations nombreuses. Les liaisons entre noyaux urbains sont assurées par de grands couloirs de circulation qui concentrent une grande partie des tensions foncières (traversabilité et fragmentation des terres agricoles par les infrastructures).

Etalement urbain et recul des terres agricoles

L’histoire récente du territoire métropolitain est marquée, comme la majorité des métropoles françaises, par la périurbanisation et l’étalement urbain : entre 1990 et 2012, la tache urbaine a cru de 20%, soit environ 10 000 ha37, grignotant progressivement des espaces agricoles ou naturels, à un rythme plus soutenu que la moyenne des huit principales aires urbaines françaises (+ 16%). Le polycentrisme de la métropole explique sans doute en partie cet écart, la consommation d’espace ne s’effectuant pas autour d’une seule agglomération urbaine mais autour de chacun des deux pôles urbains (Marseille et Aix-en-Provence) et d’au moins dix villes moyennes. L’étalement urbain passé s’est réalisé en « tache d’huile » à partir des centres, vers la périphérie (Salon-de-Provence, Aix-en-Provence, Marseille), mais également le long des vallées et corridors de déplacements interurbains (vallées de l’Huveaune et de l’Arc, axes Aix-Marseille ou encore Marseille-Vitrolles) ; et le long du littoral avec une pression foncière importante (« Côte Bleue », Cassis et La Ciotat), se reportant ensuite vers l’arrière-pays (Ceyreste, Carnoux-enProvence, Roquefort-la-Bédoule…). Par ailleurs, certaines activités économiques ont consommé du foncier selon leurs logiques spécifiques : les activités portuaires, les industries lourdes et les activités logistiques, notamment dans l’ouest de l’Étang de Berre (Fos-sur-Mer, Istres, Miramas) ou dans le secteur de Cadarache (projet international ITER38) et les activités industrielles, commerciales et tertiaires (Plan-de-Campagne, Vitrolles, Les Milles, La Duranne, Les Paluds…).
La consommation d’espaces reste forte (197 ha par an dans la métropole, soit l’équivalent de 200 terrains de football) mais semble néanmoins ralentir, avec un taux de croissance de l’artificialisation de +0.35% annuels sur la période 2006-2014, contre 1% sur la période 1988- 199940 . Ce ralentissement de l’artificialisation des sols découle pour l’AGAM (Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise) de la combinaison de l’élaboration de documents d’urbanisme plus vertueux (passages de POS aux PLU), d’un contexte territorial marqué par un solde migratoire faible, ainsi que de la crise économique de 2008 et du ralentissement subséquent du secteur de la construction. Le renforcement de la réglementation (notamment européenne) en matière de protection de l’environnement et l’apparition des Natura 2000 a de plus fortement réduit le foncier urbanisable.
Quels usages ? Après deux décennies fortement marquées par l’extension de l’habitat pavillonnaire, ce sont aujourd’hui les zones d’activités et équipements qui consomment le plus d’espace. « Un local d’activité au milieu de la pinède » tel est encore le slogan utilisé pour attirer les entreprises, afin de rattraper le retard notable en emploi de cette métropole littorale.

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