Les enjeux de l’intégration monétaire et financière en Asie

Les enjeux de l’intégration monétaire et financière en Asie

Résumé

La crise de 1997-98 en Asie a engendré un débat sur l’intégration monétaire et financière régionale. Comme en Europe, certains y voient la possibilité de constituer un « bouclier » contre l’instabilité provenant de la mondialisation financière. A y regarder de plus près, le « régionalisme financier » est cependant une notion qui manque de consistance sauf si l’ambition est d’aboutir à terme à la création d’une monnaie asiatique. Cette ambition étant peu partagée, le régionalisme financier pourrait sombrer dans l’intégration pure et simple à la finance mondiale. On aboutirait ainsi au résultat opposé au projet initial.

Introduction

La crise de 1997-1998 a révélé l’ampleur de la dépendance financière de l’Asie vis-à-vis de la finance internationale. Elle a relancé un débat ancien concernant la création d’un système monétaire et des marchés financiers régionaux. Pour certains ([1]) l’existence d’une monnaie commune voire unique avant la crise, aurait réduit voire évité la dépendance envers le dollar et les conséquences dramatiques des fortes dévaluations des monnaies asiatiques. Si de plus un marché régional des obligations souveraines avait existé, la course vers la qualité aurait pu se diriger au moins partiellement vers les titres des États asiatiques ce qui aurait limité la fuite des capitaux dont les marchés obligataires des États-Unis et de l’Europe ont intégralement profité ([2]). Maintenant que la crise est résorbée, un nouvel argument milite en faveur du régionalisme financier. En raison de leurs surplus commerciaux, les pays asiatiques exportent des capitaux pour l’essentiel vers les États-Unis, où ils s’investissent en bons du Trésor à faible rendement, puis une partie de ces capitaux leur revient sous forme de crédits bancaires à court-terme libellés en dollars à taux élevés. Autrement dit l’intermédiation financière est réalisée à l’étranger au grand profit des banques américaines et européennes et aux dépens des économies asiatiques qui se financent à La fuite des capitaux privés hors des cinq pays les plus affectés par la crise de 1997-98 (l’Indonésie, la Corée, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande) a atteint environ 100 milliards de dollars, ce qui représente un peu moins de 5% de l’épargne d’avant crise des cinq pays en question combinée à celle de la Chine, de Hong Kong, du Japon, de Singapour et de Taïwan, et environ 15% des réserves de changes de ces 10 pays. Selon S. Ghon Rhee (2003), ces chiffres indiquent que l’Asie de l’est disposait du potentiel nécessaire pour faire face à la crise si les marchés financiers et les institutions adéquats avaient existé.un coût plus élevé. Ce système de financement, caractérisé par une double asymétrie (mismatch), l’asymétrie de devises et l’asymétrie du terme du financement ([1]), entretient une fragilité financière à laquelle les gouvernements asiatiques voudraient mettre fin en rapatriant l’intermédiation financière en Asie. La création d’un marché obligataire régional devrait permettre à l’épargne asiatique, particulièrement abondante, de financer le développement économique sans faire le détour par les États-Unis et l’Europe, les banques pouvant se financer auprès de ce marché régional. Ce marché obligataire régional pourrait aussi contribuer à la formation d’un système monétaire asiatique à l’instar de l’ancien système monétaire européen pouvant déboucher à long terme sur une monnaie asiatique unique.
Ces perspectives d’intégration régionale soulèvent des questions complexes pour lesquelles on ne dispose pas toujours d’analyses théoriques, ou bien de théories convaincantes. Ainsi, il existe bien une théorie dite de la « zone monétaire optimale » qui cherche à établir si un ensemble de pays a intérêt à adopter une monnaie commune pouvant déboucher sur une monnaie unique. Par contre, il n’existe pas de théorie de la « zone financière optimale » établissant à quelles conditions des pays appartenant à une même entité ont intérêt à unifier leurs marchés financiers nationaux. Le lien entre l’intégration monétaire et l’intégration financière n’est pas non plus clairement établi. L’intégration financière est-elle concevable sans intégration monétaire ? Doit-elle précéder ou suivre l’intégration monétaire ? Les critères qui justifient l’intégration financière sont-ils nécessairement compatibles avec ceux de l’intégration monétaire ou peuvent-ils être contradictoires ?
[1]) L’asymétrie de devises (currency mismatch) peut se produire lorsque des projets d’investissement sont financés en devises mais génèrent des recettes en monnaie locale. L’asymétrie de maturité (maturity mismatch) peut se produire lorsque des projets de long terme sont financés par des prêts de court terme.

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L’intégration monétaire

Malgré l’importance du politique dans les processus d’intégration monétaire, la théorie économique dominante dans ce domaine, la théorie de la zone monétaire optimale, se veut apolitique. Selon ses concepteurs, R. Mundell, (1961) et R. Mc Kinnon (1963), des pays dont les prix et les salaires sont relativement rigides ont intérêt à créer une union monétaire, c’est-à-dire établir une parité fixe entre leur taux de change, si ces pays se sont déjà fortement intégrés par le commerce, les flux de capitaux et de travail; s’ils sont sujets à des chocs macroéconomiques simultanés et de même nature rendant inutile le recours à la dévaluation; si leur gouvernement ont les mêmes préférences entre l’inflation et la croissance, et s’ils ont la volonté de coordonner leur politique macro-économique. Autrement dit lorsque leurs structures économiques et sociales sont déjà proches, adopter une monnaie unique vient parachever leur intégration. Un premier problème est de savoir à partir de quel seuil on considère qu’un critère est rempli. Par exemple, le commerce intra-régional doit il représenter 50% du commerce total ou plus ? A partir de quel seuil considère-ton que la mobilité du capital et du travail est suffisante ? Le deuxième problème est de savoir si tous les critères doivent être respectés ou seulement certains d’entre eux, et dans ce cas lesquels ? La confusion règne et la tentative de certains auteurs (T. Bayoumi et alii, 1999) de la dissiper en construisant un indice reflétant la moyenne des critères ne résout pas le problème ([1]). Des travaux théoriques récents contournent en partie le problème en minorant l’importance du respect préalable de ces critères. La théorie de la « zone monétaire optimale endogène » (J. Frankel, A. Rose, 1998) affirme que des pays satisfaisant raisonnablement les conditions préalables ont intérêt à créer une union monétaire, car une monnaie unique stimulera leur intégration future. Les conditions seront alors définitivement remplies. Appliquée à l’UE, cette théorie permet de justifier a posteriori la création de l’euro même si tous les critères de la « zone monétaire optimale » n’étaient pas remplis au préalable par tous les pays parties prenantes. L’intégration monétaire, au besoin à marche forcée, trouve un nouvel argument dans le sens où elle est supposée stimuler la convergence réelle, en l’occurrence celle des économies européennes. Au-delà du problème posé par le respect de ces critères, le problème essentiel est finalement l’utilisation qui en est faite. La théorie de la zone monétaire optimale sert de cheval de Troie pour accentuer la flexibilité des salaires et de l’emploi, accentuer le libre-échange et démanteler les contrôles de capitaux, mener des politiques monétaires restrictives au nom de la lutte contre l’inflation. Autant d’éléments parties intégrantes des politiques d’ajustement structurel et du « consensus de Washington » dont le constat de faillite a pourtant été dressé ([1]). Malgré ces critiques, il n’en demeure pas moins que les critères retenus par la théorie de la zone monétaire optimale sont utiles pour juger du degré d’intégration structurelle des économies et méritent à ce titre d’être étudiés.

L’Asie de l’Est est-elle une zone monétaire optimale ?

De nombreux travaux ont cherché à répondre à cette question, mais aucun consensus ne s’est établi, même si une majorité des travaux répond par l’affirmative. La réponse varie selon les critères, la période étudiée, la zone géographique et la méthodologie retenus. Par ailleurs si les critères ne sont pas tous remplis actuellement, la croissance élevée des pays asiatiques et la transformation structurelle rapide qu’elle entraine, permet d’anticiper raisonnablement qu’ils pourraient l’être à moyen terme. Pour résumer ces travaux, on prendra comme fil conducteur l’étude de M. Kawai et T. Motonishi (2005), qui est à la fois récente et la plus exhaustive en ce qu’elle analyse tous les critères, utilise des méthodes différentes, et couvre l’ensemble de l’Asie de l’est, en particulier la Chine, ce que n’avait pas fait la plupart des études précédentes. Sur le plan commercial, le graphique n°1 montre que le degré
[1]) Voir entre autres J. Stiglitz (2002) en particulier le chapitre 2 (« les promesses non tenues ») et Ha Joon Chang (2003) qui montre comment la faillite du consensus de Washington permet de repenser autrement le problème du développement.

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