Les enjeux de l’accompagnement instrumental en cours d’éducation musicale
L’accompagnement instrumental en cours d’éducation musicale Lorsque l’on aborde le domaine du projet musical en classe, l’accompagnement du professeur joué sur un instrument polyphonique est au coeur du travail vocal effectué par les élèves : c’est lui qui représente un repère mélodique et rythmique lors de l’assimilation et de la production de la ligne mélodique, tout en soulignant le caractère visé dans l’arrangement du morceau. Cependant, si « […] l’accompagnateur est le socle, la base, le fondement sur le discours musical s’initie et grandit » 2 , cela ne signifie pas que ce rôle doit être uniquement l’apanage du professeur d’éducation musicale. De part ses fonctions, il constitue un réservoir d’outils pédagogiques lorsqu’il est conçu pour les élèves et effectué par eux.
Les enjeux musicaux
L’accompagnement est, dans sa dimension la plus artistique, d’abord un enjeu musical. Il participe à une résultante esthétique, un rendu final, en posant des repères au musicien autant qu’à l’auditeur, repères rythmiques, mélodiques, mais aussi expressifs. Il en va de même en cours d’éducation musicale, où l’élève est à la fois l’auditeur et l’acteur du geste musical. Dans ce contexte, l’accompagnement représente non seulement le socle sur lequel se repose la production finale de l’élève, mais il est aussi le socle sur lequel se déroule le travail d’assimilation mélodique et rythmique de la ligne vocale.
Le soutien à la ligne vocale
Le rôle le plus évident que tient l’accompagnement instrumental en cours d’éducation musicale est celui-de soutenir la ligne vocale : accompagner c’est jouer une harmonie agencée rythmiquement, de telle façon que l’ « accompagné » ait à sa disposition des repères afin de garantir la justesse mélodique et la justesse rythmique. Lorsque le professeur conçoit la partie d’accompagnement il doit donc d’abord prendre en compte ce premier rôle. Concevoir la partie harmonique d’un projet musical, c’est d’abord savoir mettre en exergue les éléments qui font sens harmoniquement pour l’élève : la basse et la « couleur » de l’accord. En effet, ces deux éléments sont plus saillants à l’oreille pour un élève. Cela n’a donc aucun sens de jouer des accords en bloc en suivant une pulsation, car si l’on peut encore 2 Rosoor Caroline, « haute fidélité », Marsyas numéro 33, Mars 1995, p.3 9 repérer une couleur d’accord, la basse n’est pas assez mise en valeur. Or si dans un contexte musical standard il est souvent constaté que ses rôles sont distribués entre différents instruments à part entière, et que les différences de timbre et de tessiture contribuent à la limpidité d’écoute de l’ensemble, le professeur-accompagnateur en classe est pour ainsi dire bien seul, et doit se suffire à lui-même. Il convient donc de segmenter basse et accord sur son instrument, d’une part par l’ambitus entre la basse et le reste de l’accord, d’autre part par le placement rythmique séparé entre la basse et le reste de l’accord. De ce point de vue, deux stratégies d’accompagnement sont facilement transposables au cours d’éducation musicale : l’accompagnement de style « pompe », où la basse, placée sur les temps forts et jouant la tonique et la quinte de chaque accord, s’alterne avec le bloc-accord (cf. figure 1), et l’accompagnement en arpèges, où la basse précède toujours le reste de l’accord arpégé (cf. figure 2). Figure 1 : exemple d’accompagnement type « pompe » sur La mauvaise réputation de Georges Brassens. Figure 2 : exemple d’accompagnement en arpèges sur What a wonderful World de Georges David Weiss et Bob Thiele. 10 Ces deux stratégies ont également pour avantage de mettre en évidence à la fois la pulsation et l’articulation rythmique du morceau. Bien que rudimentaires, ces deux types d’accompagnement ont le mérite de proposer une base sécurisante pour l’apprentissage du projet musical, rythmiquement et mélodiquement. Ils accélèrent l’assimilation d’une ligne vocale, en limitant les paramètres d’écoute tout en fournissant des repères stables voire routiniers. En effet, passer par ce stade systématiquement lorsqu’on aborde un nouveau projet musical peut être aussi considéré comme un rituel, auquel l’élève peut se raccrocher de morceau en morceau, lui fournissant ainsi des habitudes d’écoutes, une facilité de perception de l’accompagnement, et donc une aide à sa production vocale. Si l’accompagnement est le premier soutien à la vocalité dans le domaine du sonore, il doit s’articuler, surtout lorsqu’il est adressé à un chœur d’une trentaine de collégiens, au geste de direction qui représente cette fois-ci le soutien visuel au bon déroulement d’une séance vocale. Or, nous l’avons dit précédemment, le professeur d’éducation musicale doit se suffire à lui-même lors du travail du projet musical. Il convient donc d’étudier cet aspect pratique, en particulier dans le cas de la guitare, où les deux mains sont prises par l’instrument, par opposition au piano qui, même si cela nécessite parfois quelques contorsions, permet un geste de direction d’une des deux mains en simplifiant l’accompagnement.
Accompagnement et direction
Lors de mes stages d’observation et de ma formation à l’ESPE, j’ai pu à chaque fois constater à quel point il semblait intuitif pour les professeurs d’éducation musicale expérimentés de jouer l’harmonie ou la basse d’une main au piano et de diriger de l’autre. L’accompagnement est ici réduit à son plus simple appareil, une harmonie. La pulsation, les départ et l’expressivité dépendent du geste de direction : le professeur-accompagnateur se tient debout et son attention est entièrement portée vers sa classe de chanteurs, dans une attitude de chef de chœur. Malheureusement la guitare ne permet pas cette pratique car elle nécessite l’utilisation des deux mains. Il convient donc de mettre au point des stratégies de direction différentes. Si un travail du chant a capella est toujours nécessaire afin que le professeur affine son écoute, passant d’un rendu général, celui de la classe, à un rendu spécifique, celui de l’élève, il arrive à de nombreuses occasions que la ligne de chant nécessite un soutien rythmique et 11 mélodique autre que le geste de direction pure. Voici les stratégies que j’ai mises en place au cours de ces derniers mois pour me permettre de diriger le chœur en accompagnant à la guitare : – concernant les départs, j’utilise deux outils. Le premier est visuel et tient de la direction de chœur traditionnelle, il s’agit de la respiration du chef de chœur que les chanteurs reproduisent par imitation et qui leur signale qu’il va falloir partir. Le second est d’ordre musical et consiste en un conduit mélodique joué dans les basses de l’instrument et qui se démarque du reste de l’accompagnement (cf. figure 3) et qui joue le rôle d’appel au chœur. Ce conduit a l’intérêt, après assimilation par l’élève, d’indiquer le prochain départ, au même titre que la respiration, mais il peut aussi lors d’un changement d’accord permettre à l’élève de mieux se repérer harmoniquement. Figure 3 : exemple de conduit sur Space Oddity de David Bowie. – concernant la battue, bien que moins évidente qu’en direction de chœur authentique, elle est toujours présente lorsque l’on joue de la guitare à l’aide d’un plectre : on parle de la technique de l’aller-retour. Celle-ci consiste en un va et vient de la main droite (pour un droitier) de bas en haut, les temps forts étant joués vers le bas. Point de repère gestuel pour le guitariste, il est visuel pour les accompagnés, et peut être assimilé comme un geste-repère du point de vue du rythme et de la pulsation. Cette technique n’est pas utilisé lorsque la guitare est jouée aux doigts, mais il apparaît nécessaire de signaler qu’il est difficile de faire entendre 12 une guitare correctement au sein d’un chœur de trente personnes engagées dans leur chant sans la puissance octroyée par un plectre, en particulier pour le jeu en arpèges… – la recherche de l’expressivité du chœur est difficile à la guitare si l’on ne prend pas la nature de l’accompagnement en compte. C’est surtout la façon d’accompagner et la perception qu’en a le chœur qui influera ce facteur. Ainsi le fait de nuancer son accompagnement, de part la gestion des attaques, du volume, du timbre et du tempo est un moyen de communication efficace avec le chœur lorsque celui-ci est conscient de ces subtilités. Cependant, il est aussi possible de travailler la communication non verbale. La guitare se joue très bien debout à l’aide d’une sangle, et c’est tout le corps qui peut s’engager dans la direction du chœur. En dehors des déplacements et mouvements possibles, l’expression du visage du professeur-guitariste qui fait directement face à ses élèves est une indication précieuse pour le chœur dans l’exécution des nuances. La conception d’un accompagnement et sa mise en lien avec la direction de chœur représentent des outils important dans la préparation et l’élaboration du projet musical afin de gagner en efficacité lors des séances .Mais l’étude de l’accompagnement en tant qu’outil d’assimilation, à travers sa forme et sa relation avec la direction de chœur, ne doit pas occulter le but poursuivi lors de la réalisation d’un projet musical : partager un moment musical avec sa classe, dans les meilleures conditions, et avec le plus de satisfaction pour le professeur, et surtout pour les élèves. Et dans ce cas, l’accompagnement est un excellent moyen d’enrichir une séance d’éducation musicale.
L’enrichissement du projet musical
Lorsqu’un professeur d’éducation musicale accompagne sa classe, il se doit de mettre ses élèves en position de chanteurs, au sens artistique du terme : son niveau d’exigence doit, toute proportion gardée, signifier à l’élève que ce qu’il fait doit être digne d’une musique de scène. Mais cette exigence au niveau de la performance vocale doit se refléter dans la qualité de l’accompagnement : exigeant avec lui-même lorsqu’il accompagne, le professeur envoie un message fort à l’élève. Une exécution vocale engagée exige un accompagnement à sa hauteur. Dans cette optique, si l’accompagnement soutient la ligne vocale d’un point de vue technique, il se doit ensuite de la valoriser de façon qualitative. Cela signifie que, d’un point de vue pédagogique, s’il en est réduit au début du projet musical à servir de repère auditif et 13 se construit tout d’abord dans ce but, il doit ensuite se développer afin d’amener une musicalité et un sens artistique. C’est à se stade que le professeur conçoit son accompagnement en tant qu’arrangement : accompagner se fait alors dans le but de présenter un rendu musical et artistique aux élèves, comme si l’on permettait à ceux-ci d’avoir les clés pour que leur performance se montre digne d’une représentation. L’élaboration de l’accompagnement-arrangement doit à cet effet prendre musicalement du sens en donnant une direction artistique à l’oeuvre travaillée et doit donc mettre en valeur différentes parties tout en garantissant une homogénéité stylistique (cf. arrangement de Space Oddity en annexe 1). Cependant, l’enrichissement du projet musical peut aussi se faire à travers la participation des élèves dans l’arrangement. Ceux-ci sont effet toujours avides du contact avec les instruments de musique. La conception d’un accompagnement destiné aux élèves est un concept porteur sur le plan pédagogique et peut être une aide précieuse dans le déroulement des séances de travail. Il s’agit alors de concevoir un arrangement de telle façon que des élèves non-instrumentistes puissent avoir accès au rôle d’accompagnateur, toujours dans la même exigence qualitative. Il est de plus intéressant que les parties jouées par les élèves et l’accompagnement du professeur soient complémentaires entre eux. Le concept d’arrangement recouvre donc deux pendants musicaux qui peuvent s’articuler entre eux au sein du cours d’éducation musicale. Le premier est de participer à l’élaboration du projet en facilitant l’apprentissage du chant, le second est d’instaurer une dimension artistique au projet, en tant que faire-valoir vis-à-vis du rendu vocal, mais aussi de par sa dimension participative potentielle pour le groupe-classe. Or ce deuxième pendant musical fait apparaître un nouvel enjeu dans l’accompagnement instrumental en cours d’éducation musicale : l’adhésion des élèves.
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