Les enfants de migrants dans les écoles maternelles françaises – état de littérature et cadre institutionnel français

Les expériences scolaires des enfants de migrants

Peu nombreux sont les travaux qui portent sur les réalités vécues par les enfants de migrants à l‘école française, et très rares à l’école maternelle. « Étude sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV) », ou EVASCOL (Armagnague-Roucher & Rigoni, 2018a), est une recherche menée entre mars 2015 et novembre 2017, à travers 4 académies (Bordeaux, Créteil, Montpellier et Strasbourg), et étudie les conditions de scolarisation des élèves dans les différents dispositifs d’accueil, de type unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A), unité pédagogique spécifique (UPS), antennes scolaires mobiles, enseignement à distance ou enseignement spécialisé. Contrairement à d’autres études portantes sur ces dispositifs, cette recherche analyse les expériences vécues par les enfants et leurs familles.
Elle s’intéresse aux facteurs de la réussite scolaire en partant du ressenti des élèves et du point de vue des familles. Les axes d’analyse portent sur les conditions effectives de scolarisation, les pratiques pédagogiques mises en œuvre, l’évaluation des performances des élèves et la qualité de l’intégration des élèves dans leur établissement. Avec une approche pluridisciplinaire, cette étude met en regard la scolarisation d’élèves âgés de 6 à 16 ans (2015-2017) et s’appuie sur des entretiens, des suivis de cohorte, des observations et des interventions en classe (animation et co-animation des sessions pédagogiques, des méthodes participatives artistiques) afin de favoriser l’expression des enfants et jeunes.
Cette recherche a donné lieu à des publications sur les expériences scolaires des enfants de migrants et sur les méthodes participatives. Ainsi, dans son article « Accueillir les élèves migrants : dispositifs et interactions à l’école publique en France », Rigoni (2017) mène une réflexion sur l’accueil scolaire des enfants et des jeunes migrants et les enjeux sociaux et politiques, ainsi que sur les conséquences pour les élèves et les personnes qui les accompagnent. Elle propose une analyse des rapports entre différents acteurs de l’éducation, notamment les enseignants, les intervenants sociaux et éducatifs, et la structuration des expériences éducatives d’enfants et jeunes migrants. Elle interroge comment ces acteurs professionnels répondent aux difficultés que les enfants et jeunes rencontrent dans des cadres scolaires. Pour mieux connaître les réalités vécues par les élèves dans les institutions éducatives et d’intervention, cette étude s’appuie sur une méthode qualitative qui conjugue des entretiens semi-directifs, des observations et de méthodes collaboratives et participatives.
Il s’agit d’analyser les expériences migratoires et scolaires des enfants et jeunes allophones de 6 à 15 ans. Afin de favoriser l’expression des acteurs des méthodes dites collaboratives ont été mises en place : la réalisation de carnets de voyage, de boîtes à souvenirs, une émission de radio sur le thème de la migration, l’écriture d’un scénario et la réalisation d’un court métrage sur la diversité et l’accueil, des sessions de théâtre-forum sur l’accueil des migrants à l’école, la réalisation d’un espace partagé dans un quartier populaire.
Les résultats mettent en évidence la forte hétérogénéité des parcours migratoires des familles, le point commun restant les expériences douloureuses, notamment en ce qui concerne la séparation avec des membres de la famille ou des amis. Les enfants sont scolarisés dans les différents pays de migration et sont plurilingues, mais ont des difficultés à se repérer dans le temps et dans l’espace en raison de changements répétés pendant leur jeune enfance.
Pour certains élèves, il s’agit d’une toute première scolarisation, dans le pays d’origine n’ayant pas fréquenté l’école pour plusieurs raisons (pas d’obligation avant l’âge de 7 ans, conflits armés, crainte de certaines familles envers le système scolaire). Ces élèves sont accueillis dans des dispositifs spécifiques pour les non scolarisés antérieurement (UPE2ANSA) ou dans les dispositifs UPE2A classiques. Le décalage de niveau scolaire, linguistique, socio-culturel des certains élèves par rapport au groupe d’élèves de ces classes engendre des difficultés tant pour les enseignants que pour les autres élèves.
Les résultats montrent que l’école est un lieu de socialisation qui offre l’occasion de rencontrer des différences culturelles dans le cadre des relations entre les élèves, allophones ou pas. L’importance des relations entre les pairs et les amitiés créées sont soulignées par tous les élèves, immigrés ou pas.
Les dispositifs UPE2A sont appréciés par les élèves allophones car, outre l’apprentissage du français, il s’agit d’un moyen pour eux d’intégrer la vie sociale de l’école et plus tard de s’insérer dans les classes ordinaires. L’étude conclue en rappelant l’importance de réfléchir à la question du respect et de la promotion du patrimoine linguistique au niveau scientifique et institutionnel.
« Exprimer son expérience scolaire dans la migration : une analyse des méthodes participatives » est un article rédigé par Armagnague-Roucher et Rigoni (2018b) basé sur des recherches menées dans le cadre du projet EVASCOL, portant sur l’insertion socio-scolaire des enfants et des jeunes migrants dans 8 UPE2A et 14 classes ordinaires dans 10 établissements. Il présente des méthodes participatives utilisées pour mieux comprendre les expériences enfantines à l’école, en favorisant l’agency des enfants à travers des méthodes visuelles et artistiques. Les auteures partent d’une prémisse des Childhood studies, qui prend en compte le point de vue des enfants en lui donnant la place non seulement d’objet de la recherche, mais aussi de sujets. Pour ce faire, il est nécessaire d’utiliser des méthodes adaptées à ce public spécifique. Pour lutter contre des approches centrées sur l’adulte (Delalande, 2007), l’article propose de saisir le point de vue des enfants par l’intermédiaire d’ateliers de clown-théâtre, de théâtre-forum, de créations plastiques, de dessins et de photographies, ainsi que de séances d’écriture, toute réalisation étant suivie par une restitution partagée afin de favoriser les échanges entre pairs.
Ces données empiriques ont permis d’explorer les expériences socio-scolaires des enfants et des jeunes migrants. À travers l’interaction et la communication avec les élèves, les chercheurs ont saisi des principaux thèmes qui ont émergé spontanément : la centralité de la figure d’autorité éducative en UPE2A se prolonge jusqu’au collège, contrairement aux classes ordinaires où la figure des pairs est plus importante au collège ; la place accordée aux amis dans le groupe de pairs.
Centrées sur les points de vue des enfants et des jeunes, ces publications proposent une analyse de leurs expériences migratoires et scolaires, en s’appuyant sur des méthodes participatives. Si le terrain d’investigation choisi ici est représenté principalement par des dispositifs spécifiques d’accueil des enfants allophones et pour une tranche d’âge à partir de 6 ans, la sous-partie suivante présente une étude menée auprès des écoles maternelles (enfants scolarisée dès les 3 ans) situées dans des milieux différents, pour montrer, à partir des points de vue des directeurs des écoles, les effets de la ségrégation territoriale sur les ségrégations sociales et ethniques des familles étrangères et leurs enfants.

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Des écoles maternelles situées en réseau d’éducation prioritaire

Dans son ouvrage Sociologie de l’école maternelle, Garnier (2016) présente trois écoles maternelles situées dans des lieux socio-économique divers : dans un quartier privilégié de Val-de-Marne, une école située en zone d’éducation prioritaire (ZEP) dans un quartier parisien et dans une école en éducation prioritaire renforcée, située dans une banlieue défavorisée, en Seine-Saint-Denis. Ces trois exemples mettent en lumière le fait que les ségrégations territoriales impliquent des ségrégations sociales et ethniques, y compris dans le cadre des écoles maternelles. En s’appuyant sur des entretiens, des fiches et des projets d’école, l’auteure analyse notamment les discours des directeurs concernant la manière dont les élèves et leurs familles sont qualifiés et l’éventualité des interventions spécifiques à ce type de public mises en place.
L’école A accueille une forte population de cadres salariés du privé et les parents d’élèves sont impliqués dans la vie scolaire. Ainsi, leur participation n’est pas demandée par les professionnels, elle se fait à l’initiative des parents dans le cadre des sorties, des entretiens individuels, des fêtes, etc. Le projet spécifique concernant le nombre très réduit d’élèves allophones se traduit par une demande d’aide spécifique similaire aux enseignants en classe CLIN, autour de l’apprentissage du français. Les difficultés rencontrées par les élèves allophones sont ainsi considérées par les professionnels comme faisant partie du domaine strictement scolaire, et ils ne prennent pas en compte la dimension sociale ou culturelle de ces élèves.

Recherches avec les enfants – perspectives internationales

Les recherches auprès des enfants, et notamment auprès des jeunes enfants de migrants dont la langue familiale n’est pas la langue de leur scolarisation, le français, sont rares en France.
Cette partie met en lumière l’état de littérature des recherches, notamment au niveau international, qui proposent de prendre en compte l’expression des enfants, et ainsi de situer mon propre travail.
Dans le domaine anglophone, les premiers travaux sociologiques qui portent sur l’enfance et sur l’enfant datent des années vingt avec les travaux des Thomas, Thomas, Davies, Burgess et
Young. Dans son article « A decade of declining involvement: American sociology in the field of child development, the 1920 », Trent (1987) présente l’émergence et le déclin des études sur l’enfance et le développement de l’enfant comme un champ faisant partie de la sociologie. Appartenant à l’École de Chicago, ces sociologues ont traité des thématiques de l’enfance qui interagissaient avec les politiques publiques sous l’égide de l’industrialisation des États-Unis à cette époque-là : le travail des enfants, l’éducation obligatoire et la délinquance juvénile. La littérature qui traitait de ces thématiques ne proposait pas de considérer l’enfant comme sujet de l’étude. En outre, la plupart des études menées avant les années quatre-vingt portaient sur les adolescents (Owens & Hofferth, 2001). En France, il y a quelques travaux épars sur l’enfance, notamment celui de Mauss (1996), écrit en 1937, intitulé « Trois observations sur la sociologie de l’enfance », qui montrent que la construction d’une discipline autour de l’enfant date depuis longtemps, mais sans être d’intérêt pour les chercheurs à cette époque-là. À partir de 1969, plusieurs recherches sur l’enfance sont connues en France, comme Prime éducation et morale de classe de Boltanski (1979), où l’auteur analyse des questions en lien avec la puériculture (le ménage, la cuisine, les loisir) et la manière d’élever les jeunes enfants pour relever des rapports entre les classes sociales, ou encore les travaux de Chombart de Lauwe, par exemple sur les rapports entre les représentations et les conceptions de l’enfant et sa place dans la société (Chombart de Lauwe, Bonnin, Mayeur, Perrot, & La Soudière, 1976).
Au niveau international, une redécouverte des travaux sur l’enfance a émergé à la fin des années quatre-vingt (Owens & Hofferth, 2001), car dans les années vingt ces travaux ne prenaient pas en compte la perspectives des enfants, ni ne mettaient les enfants au centre des recherches (Cahill, 1992). Ainsi, au début des années quatre-vingt, Ambert (1986) est intriguée par le manque d’une perspective sociologique de l’enfance qui soit davantage axée sur l’enfant, en faisant référence à une démarche qui prenne l’enfant comme sujet principal de la recherche. Dans ce contexte, une nouvelle sociologie de l’enfance émerge et les travaux se multiplient dans ce domaine.
À la fin des années quatre-vingt, en 1986, la revue annuelle « Sociological studies of child development », initiée par Adler et Adler, représente un premier essai de rassembler les sociologues intéressées à travailler auprès des enfants aux États-Unis. Ce volume a donné la possibilité à débattre sur des thématiques de la sociologie des enfants et de l’enfance et notamment à souligner l’importance de la réémergence de ce champ et les causes du manque d’intérêt au sein de la sociologie en ce qui concerne les études auprès des enfants. Ces causes incluent la prédominance de la psychologie du développement dans le champ des études de l’enfant, la dominance masculine des études sociologiques qui considéraient l’enfant comme dépourvue d’importance, les barrières méthodologiques dans la recherche auprès des enfants dues à la prédominance des méthodes quantitatives dans les études sociologiques (Ambert, 1986). Plusieurs auteurs ont soutenu le principe de faire des enfants le sujet des recherches et ainsi ont contribué à l’émergence d’une sociologie des enfants et de l’enfance (Adler & Adler, 1986; Ambert, 1986; Corsaro, 1985; Trent, 1987)

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