Le rôle des professeur.e.s-documentalistes : plus loin que simple instance de contrôle sonore
Les professeurs-documentalistes ne sont pas que des instances de silence, iels peuvent créer de véritables ouvertures pédagogiques en relation avec le son.
Evidemment, en premier lieu, et conformément à leur mission de maître d’œuvre de l’organisation des ressources documentaires de l’établissement et de leur mise à disposition65, iels peuvent donner accès non seulement à des sélections musicales ou « playlists » destinées à l’ouverture culturelle des élèves, au soutien de leur effort d’apprentissage, mais aussi à l’accès à de la littérature par le biais de l’oreille.
Le livre-audio, encore trop peu exploité, est un portail d’accès formidable vers la lecture, notamment parce qu’il permet de lire tout en vaquant à une occupation manuelle, ce qui a pour effet de rassurer un certain nombre d’élèves.
Le rôle de « responsable du CDI » peut avoir un caractère limitant : Le devoir de surveillance, par exemple, empêche les solutions faciles pour organiser les diverses pratiques et niveaux sonores des élèves ; il ne peut pas y avoir de « zonage » très poussé, ou de « départementalisation » d’un CDI comme on a pu en trouver en bibliothèque. Néanmoins, avec une bonne conception de base, un nombre suffisant de postes de professeure.s, des outils et une attitude adéquate, il est possible de gagner dans notre gestion du son.
Au lycée Saint-Exupéry, par exemple, l’ajout d’un outil informatique en particulier a permis une évolution dans notre gestion des groupes d’élèves (et donc du son produit par eux) :
L’installation d’un logiciel libre de gestion à distance de postes informatiques nous a permis d’ouvrir trois petites salles « bulles » avec des postes informatiques lors des périodes de fortes affluences, et ainsi d’offrir des environnements de travail « zonés » sans faillir au devoir de surveillance.
Ainsi, il a suffit d’un petit aménagement, un outil, pour contourner une difficulté majeure due à l’architecture même du CDI.
Observations
– Le piano a un succès unanime chez mes élèves ; bien plus que la musique orchestrale par exemple,et les concertos pour violoncelles avec lesquels j’ai effectué un test de sensibilité en semaine 3 et 6.
– Les observations semblent confirmer que le tempo le plus propice au travail et à la détente se situe bien entre 60 et 80 cpm : En musique orchestrale, les réactions les plus positives ont été suscitées par l’Andante du Lieutenant Kijé de Prokofiev. Le Concerto pour violoncelle de Walton a aussi suscité un endormissement chez un élève (A défaut d’être une réaction positive, on peut au moins y voir un effet détendant, puisque l’endormissement nécessite un ralentissement cardiaque et un allongement du souffle…)
– En piano, la différence de réactions chez les élèves travaillant sur de la musique de Chopin est très nette : enthousiasme unanime pour les Nocturnes (c’est à dire un tempo plutôt larghetto) contre un malaise pour la Fantaisie impomptue. Je cite cette parole parfaitement synthétique d’une élève, B de Terminale S2, en semaine 1 :
« Excusez-moi, il y a ma copine qui révise pour l’oral et elle demande si vous pouvez mettre une musique plus… parce que quand ça va vite, ça la stresse… une musique plus calme »
Pour le tableau complet des relevés de l’Heure musicale, voir annexe 1.
– Les retours de l’expérience sont globalement positifs, voire très positifs.
Certes, la musique n’a pas suffi à susciter un élan de fréquentation formidable en quelques semaines, néanmoins le bouche à oreille a fait effet : Je relève ainsi en semaine 7 un élève qui me dit en partant : « Madame, ça a lieu chaque semaine ?
Je ramène deux potes. » et les élèves présents sur ces tranches horaires ont pour la plupart apprécié cette expérience de travail et la curiosité de certaine.s a été suscitée au point qu’ils ont demandé et relevé la référence des musiques qu’ils avaient entendues (Chopin & Debussy, deux semaines différentes) pour retrouver ces musiques chez eux et travailler dans une même atmosphère.
– Pour les quelques élèves qui ont assisté à plusieurs séances, une certaine connaissance s’installe, comme chez tous les auditeurs réguliers de radio, au point qu’ils sont capables d’exprimer librement leur goût en présence de l’autorité (la professeur-documentaliste) : en semaine 5, deux élèves demandent du piano, et précisent qu’ils préfèrent du Debussy à du Chopin, ce qui me pousse à changer la programmation pour « répéter » une séance déjà faite.
– Il y a des élèves que la musique empêche de travailler, tout simplement. Ainsi cette élève en 1ère STMG2 en semaine 2 : « « En fait, désolé de vous demander ça, je suis désolée mais en fait, ça nous dérange dans notre concentration ».
Il existe, cas rare mais possible, des gens chez qui, sans aucun trouble psychologique, on observe une « anhédonie musicale », la musique ne suscite aucun plaisir chez eux parce que la construction du « plaisir musical » est complexe, d’où une vigilance nécessaire et ponctuelle aux besoins réels et effectifs de nos élèves.
J’en retiens qu’il y a des partenariats possibles à mener avec les professeurs de discipline et notamment de musique. On a vu un exemple de travail en collaboration possible autour de l’usage de la musique classique en publicité, mais les possibilités dans d’autres disciplines artistiques ou scientifiques sont ouvertes.
Conscientiser les élèves quant à leur environnement sonore, au CDI et ailleurs
« En 2002, à suivre les enquêtes de l’INSEE, le bruit reste, pour plus d’un Français sur deux (54 %), le principal foyer de gêne dans son quartier, bien loin devant l’insécurité, les odeurs et le vandalisme . »
Pour un nombre conséquent de nos élèves, l’école est le premier endroit où il a fallu être « un parmi d’autres », un mode de société où le partage de l’espace et les attentes de l’institution en matière d’apprentissage exigent un contrôle du corps et de l’attention.
En classe, les « moments » peuvent encore être orchestrés de telle façon par lae professeur que tout.es s’appliquent à la même activité, qu’il s’agisse d’écouter, de lire, de travailler.
Au CDI, la nécessité du partage de l’espace sonore est d’autant plus urgente que les activités cohabitent sans cesse : il s’agit rarement de la seule lecture qui est, dans notreépoque, majoritairement silencieuse. Il s’agit de l’addition à cette pratique de lecture par certaine.s d’une multiplicité d’autres pratiques de recherche, de travail solitaire ou en groupe, de partage autour des livres, de sociabilité.
Marielle de Miribelle propose deux manières d’intervenir auprès des usagers qui, n’ayant pas conscience du bruit qu’ils créent, perturbent les autres : l’utilisation de l’humour dans les injonctions et la communication événementielle (les campagnes d’affichage.)
Il est évident que l’humour est un outil préférentiel pour désamorcer ce que nos élèves peuvent percevoir comme une prise à partie.
J’ajouterai à titre personnel que privilégier la relation individuelle (c’est à dire se lever et se rapprocher du foyer de bruit, plutôt que de s’adresser aux « fautifs » à la cantonnade) et anticiper (en intervenant avant que le bruit n’ait atteint un seuil incontrôlable) sont des éléments aussi, voire plus importants que l’humour.
Enfin, les élèves sont très sensibles à la justice et à l’injustice. Ainsi rédiger des règles de conduites qui laissent deviner l’objectif de respect entre les élèves77, rendre visibles ces règles, pouvoir s’y référer simplement et faire appel au bon sens des élèves, en glissant de la position de l’injonction à celle de l’explicitation me semble produire aussi de bons résultats. La communication maîtrisée, et la communication silencieuse : Le travail autour de l’expression orale des élèves.
Une des pistes de travail à explorer lorsqu’on recherche la création d’un environnement sonore propice à l’apprentissage, c’est l’adaptation de la communication entre les élèves.
Lors de leurs études, les élèves développent toute.s des stratégies plus ou moins efficaces pour communiquer sans perturber le déroulement des cours : Iels chuchotent avec plus ou moins de succès en fonction de la perception plus ou moins fine qu’ils ont du bruit qu’ils émettent, iels s’écrivent des mots…
Au lycée Saint-Exupéry, ce qui manque pour l’instant à la mise en place d’un vrai projet autour du son au service des apprentissages, c’est une volonté fédératrice car de nombreux éléments sont déjà en place : un studio musique équipé, des élèves volontaires qui s’organisent autour de la pratique musicale, du matériel radio (et des traces d’anciens projets autour de la radio) dont il faut faire l’inventaire avant de le déplacer plus proche des lieux de vie (vie scolaire et CDI), un projet annuel en partenariat avec des journalistes de France Inter pour certaines classes, la venue d’artistes dans le cadre de projets régionaux avec à la clé concerts et créations de chansons avec les élèves, journée des talents annuelle organisée en partie par le Conseil de la Vie Lycéeene…
C’est là je pense où l’on peut constater qu’en dépit du nombre et de la volonté de chacun.e, les actions individuelles et ponctuelles ne prennent vraiment tout leur sens qu’au sein d’une volonté concertée et dans le temps long.
Enfin, dans le cadre très particulier du confinement du printemps 2020, j’ai pensé qu’il pourrait y avoir en EMI des actions qui concernant la publication de la voix pourraient faire gagner les élèves en connaissance de leur propre sonorité en même temps que nous étudierions le droit (la voix faisant partie des données « sensibles »).
Mon implication à temps partiel dans un établissement de grande taille ne me permettant pas facilement l’action à distance dans d’autres classes que celle que je voyais à l’année (à savoir les élèves en dispositif d’aide à la qualification, qui hélas sont particulièrement sous-équipés en matériel informatique et difficiles à « suivre » à distance). je me suis plutôt dirigée vers l’usage « passif » de l’ouïe chez mes élèves. Ainsi, j’ai privilégié une sélection de livres-audio et de musiques sélectionnées par les discothécaires municipaux et Radio France afin de proposer aux élèves confinés une alternative non visuelle à leurs activités et un soutien à leurs apprentissages.
J’ajouterai aussi une sélection de vidéos « ASMR » en proposition sur le portail documentaire, une ressource documentaire comme une autre participant au bien-être et à la concentration des élèves cherchant à rester mobilisés dans cette période de stress et d’incertitude.
Conclusion
Je pense être en mesure de confimer mon hypothèse de départ : à savoir qu’une certaine organisation de l’espace sonore est bénéfique aux apprentissages. Plus de données permettront de dessiner plus précisément quelle organisation de l’espace sonore est la plus efficace (on a vu l’importance des mesures de volume, de battements par minute, d’amplitude…) mais dans tous les cas l’organisation restera jusqu’à un certain point dépendante du contexte et des besoins particuliers d’élèves, d’où l’importance de rendre les élèves acteurs dans leur gestion du son pour soutenir leurs propres apprentissages et leur vie en commun, même après l’école.
En ce sens, la gestion du son concourt entièrement à l’objectif énoncé dans l’article L.111- 2 du Code de l’Education : « La formation scolaire favorise l’épanouissement de l’enfant, lui permet d’acquérir une culture, le prépare à la vie professionnelle et à l’exercice de ses responsabilités d’homme et de citoyen. Elle constitue la base de l’éducation permanente. »
Enfin, s’il est bon que nous menions en tant que professeure.s cette réflexion sur le son, il me semble qu’il serait encore meilleur d’avoir l’occasion de pousser plus avant la logique de coopération, afin que cette réflexion occupe plus de place et cela dès la conception de nos lieux de travail, des CDI mais aussi des salles de classe, des couloirs.
C’est en travaillant ensemble avec les architectes, des professionnels du son mais aussi avec tous les membres de la communauté éducative qui organisent l’espace sonore d’un établissement que nous pourrons vraiment espérer créer un meilleur climat sonore et scolaire.
Ce mémoire est conçu comme une étape dans une recherche plus longue autour du son idéal au CDI, un son en adéquation aux besoins d’élèves réels, différents, uniques. Il ne s’agit pas d’abandonner l’exigence du silence mais de la reformuler en quelque sorte, et de se rapprocher toujours plus près de l’équilibre sonore le plus adéquat pour soutenir au plus près les élèves dans leurs efforts d’apprentissage et dans leur découverte de leur propre devenir.