Les élèves et étudiants utilisent le numérique

Les élèves et étudiants utilisent le Numérique

Lorsque les élèves et étudiants utilisent le Numérique pour apprendre, est-ce majoritairement en lien avec la forme scolaire proposée ? 

La réponse est clairement non, comme nous l’avons démontré au travers de la confirmation des trois hypothèses au § IV.1, page 337 : Les apprenants utilisent massivement le Numérique dans tous les aspects de leur vie courante (hypothèse 1), l’École propose des activités d’apprentissage avec le Numérique rares et peu structurées (hypothèse 2) et l’apprentissage avec le Numérique se réalise majoritairement hors contexte scolaire (hypothèse 3). De plus, la sensation d’apprendre avec les écrans est très marquée dès le niveau 3eme et au-delà ; elle est particulièrement forte en 2nd et 1ère (nos apprenants numériques dans leur sphère privée), ainsi qu’en L3, M1 et M2 (les plus forts usagers du Numérique éducatif). La forme scolaire actuelle incorpore faiblement les Tice comme nous l’avons vu, autant en terme de quantité (3 h 36 en moyenne hebdomadaire) que de diversité d’usages, ces derniers correspondant à de simples substitutions (écran vs papier, écran vs magnétoscope, écran vs stylo…) ne permettant pas au Numérique d’apporter son pouvoir de renforcement, son amplification de la pédagogie ; nous y reviendrons. Donc pour conclure, si la réponse est négative de manière générale, nous pouvons nuancer cette réponse pour le cycle terminal universitaire ou les usages du Numérique sont plus fréquents et plus intenses, et la répartition entre sphère privée et sphère universitaire plus équilibrée. Pour autant, en dehors d’un lien tutoral numérique de meilleure qualité, l’intégration des Tice porte peu sur le dispositif pédagogique, mais plutôt sur la création de supports numériques, comme les rapports, thèses et mémoires, ainsi que la recherche documentaire. Il semble donc que la forme scolaire transmissive traditionnelle perdure à l’identique et que le Numérique n’influence que peu le métier d’enseignant, en dehors de l’accès à l’information et la production de médias numériques (voir pour cela en Annexe 3 : Liste des 25 principaux scénarios pédagogiques recensés, p. 446, dont l’usage semble peu répandu). L’acte éducatif et le dispositif pédagogique n’ont pas (ou très peu) évolué, sauf à la marge pour certains enseignants innovateurs plutôt hyperconnectés, puisque le lien est établi entre pratiques numériques personnelles et professionnelles de même qu’entre pratiques personnelles et appétence pour les Tice, aux regards croisés des acteurs. Donc lorsque les élèves et étudiants utilisent le Numérique pour apprendre, ce n’est que peu en lien avec la forme scolaire proposée, sauf en cycle terminal universitaire ou les pratiques numériques s’équilibrent entre sphère privée et scolaire

Question 3 : L’école s’est-elle emparée du Numérique dans ses principales missions (enseigner, faire apprendre, tutorer, médiatiser, accompagner au développement professionnel des enseignants) et aux différents niveaux scolaires ? 

L’enseignement à peu changé depuis l’émergence des Tice. En effet, les usages du Numérique ne viennent que peu impacter la qualité de l’apprentissage, car portant sur des substitutions ; nous y reviendrons. A décharge cependant, si la forme scolaire n’a que peu évolué à l’ère numérique, cela est en partie dû à un équipement insuffisant, tous niveaux confondus, comme nous avons pu le relever. A l’université291, nous avons également démontré que la connectivité Wifi était très insuffisante, pour instrumenter tout dispositif de pédagogie active nécessitant la connexion des étudiants (voir p. 213). En dehors de l’École, les devoirs mobilisent peu les outils numériques sous impulsions des enseignants. Les apprenants par contre s’auto-prescrivent des ressources et cours en ligne pour compléter celles fournies à l’École. De même, ils auto-produisent des documents numériques et choisissent de collaborer en ligne autour de leurs devoirs scolaires, le tout sans impulsions ou consignes de leurs enseignants en ce sens. Pour autant, nous avons étudié la dualité du lien tutoral (ce que nous avons nommé « la consigne descendante » et la « question montante ») et montré que ce lien pédagogique numérique bidirectionnel est opérationnel, mais en cycle terminal universitaire uniquement (L3 à M2). Le Numérique est donc peu mobilisé en soutien du lien pédagogique. La médiatisation numérique est par contre assez développée via l’usage de ressources audiovisuelles, la consultation de documents textes numériques ou de sites web, etc. Cette médiatisation par écrans interposés vient en substitution, comme nous l’avons évoqué, du papier, des cartes en toile, des livres, des films, musiques ou émissions sur cassettes, ce qui en soi ne constitue une réelle plus-value que si la consultation du média est individuelle et/ou le support accessible en ligne, permettant une personnalisation du rythme de consultation et d’apprentissage. Sinon, cette médiatisation numérique collective (de l’enseignant vers tous les apprenants en simultané) relève plutôt d’une forme de confort pour l’enseignant, déjà appréciable en soi.Cette faible intégration des Tice à l’École s’explique en partie par la rapidité d’apparition et d’assimilation du Numérique dans nos vies, à mettre en vis-à-vis avec un accompagnement au développement professionnel de l’enseignant jugé inexistant ou inadapté, sauf à l’université ou l’offre est abondante, mais peu utilisée. Pourtant, les enseignants ont une représentation plutôt positive du Numérique éducatif. En effet, 7 enseignants sur 10, tous niveaux confondus, expriment un avis positif sur l’intérêt du Numérique en éducation, ainsi que le souhait d’en développer les usages au sein de leurs pratiques pédagogiques et cela, à courte échéance (en 2017) : l’enseignant est donc volontaire et concerné par le numérique éducatif. Des freins importants existent, liés à l’instrumentation de la pédagogie : problèmes matériels, difficultés d’intégration pédagogique, manque de temps et de reconnaissance en tête de liste. Chaque niveau scolaire rencontre des difficultés particulières : en collège, les difficultés d’intégration des TICE ne sont pas les mêmes qu’en lycée ou à l’université. Il nous apparait ainsi des discontinuités pédagogiques de matériels, d’outils, d’usages, de représentations (comme par exemple autour du jeu en classe) et d’intensité d’usage des Tice, ne permettant pas de créer des habitudes, un parcours voire une carrière numérique scolaire. L’ensemble de ces éléments nous permet de répondre à la question n°3 : L’école ne s’est pas emparée du Numérique dans ses principales missions (enseigner, faire apprendre, tutorer, médiatiser, accompagner au développement professionnel des enseignants). Quelques ilots de pratiques (la médiatisation) et d’intégrations sont constatables auprès d’enseignants hyperconnectés et notamment en cycle terminal universitaire. Rappelons qu’on ne devient pas un enseignant intégrant largement le Numérique en éducation, sans l’intégrer dans son quotidien car une porosité des pratiques numériques est constatable de la sphère privée vers la sphère professionnelle. Nous devons garder cette information en tête lors de l’élaboration de programmes de formations de formateurs. 

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IV.2.4 Question 4 : Au final, le Numérique est-il catalyseur ou révélateur d’une transition de la forme scolaire ? 

Tout au long de notre argumentation, nous avons pu montrer que le Numérique peut jouer le rôle de révélateur, et nous faire apparaitre tantôt une manière de faire (ex. récupération de cours en ligne bien rédigés et au format numérique pour réviser dans le bus sur smartphone), ou une représentation d’acteur (ex. le dialogue entre Jacques et Lucien), ou encore un fait social (ex. le jeune passe deux fois plus de temps sur écrans qu’à l’école). Notamment, au prisme du Numérique, nous avons vu apparaitre une nouvelle manière d’être au monde de l’individu scolarisé : le quart de vie numérique des jeunes, des loisirs essentiellement numériques, une sensation d’apprendre importante avec les écrans, une appétence marquée chez les collégiens et lycéens de 2017 pour les Tice, des devoirs réalisés avec les écrans sans l’impulsion des enseignants, de même qu’une collaboration numérique, mais aussi diverses formes d’hyperconnexion (4) et de déconnexion (3) pour y faire face, montrant une réflexivité et prise de recul des jeunes sur leurs usages numériques. Pour autant, certains mésusages sont constatables (ex. le retard de sommeil, le manque d’activité physique), de même que des formes de bricolages, braconnages et détournements d’outils numériques autour d’usages socialisés et banalisés (ex. usage de groupes Facebook pour la collaboration scolaire). Les jeunes s’adaptent et adaptent les outils du quotidien à leurs besoins scolaires. Mais tout cela relève de phénomènes plutôt extérieurs à la forme scolaire et ne nous permet pas d’en tirer des conclusions sur celle-ci. Nous sommes donc en présence d’un public à former qui change et évolue à l’ère du Numérique, qui présente de nouvelles appétences et besoins en rapport au savoir et autour de la construction identitaire. Qu’en est-il de la forme scolaire, subit-elle aussi ces évolutions de mentalités et d’intégration technologique ? Par exemple, nous avons pu révéler que l’enseignant universitaire, au niveau master, fait majoritairement confiance à l’étudiant pour consulter tout support numérique disponible à l’avance, mais émet beaucoup plus de doutes au niveau licence. Il faut dire que les néo-étudiants de licence semblent prolonger une forme scolaire « de lycée » ou l’autonomie ne semble pas encore validée et reconnue par leurs enseignants. Le Numérique joue bien ici le rôle de révélateur de l’installation d’une forme universitaire qui se construit au fil des études (de la L1 à M2) pour être opérationnelle en L3. Tous nos graphiques et indicateurs convergent pour montrer que l’intégration des Tice est la plus forte en L3, M1 et M2. Elle reste toutefois modérée en volume horaire (voir Figure 52, page 253), puisque de 3 h/semaine en moyenne pour les 6e à L2, elle passe à 5 h 24 /semaine en moyenne pour les L3 à M2. A cela s’ajoute, il est vrai, un lien pédagogique (ou tutoral) numérique opérationnel et bidirectionnel. Pour autant, cela correspond–t-il à une transformation de la pédagogie, qui correspondrait à une catalyse numérique ? Et bien au-delà de la pédagogie d’un enseignant, à une transition des mentalités et de la forme scolaire ?  

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