Les clauses compromissoire et de juridiction
La clause compromissoire, dans le modèle étudié se lit comme suivant : « We confirm that the owners of the above named ship agree that the above mentioned claims shall be subject to English law and the exclusive jurisdiction of the Tribunal referred above [the London Maritime Arbitration Tribunal] and to the supervisory jurisdiction of the English High Court. »55 Ainsi les litiges découlant des réclamations des ayants droits à la marchandise, ou de toute autre personne, afférentes aux manquants, pertes et avaries garantis par la lettre ne pourront être résolus que devant le Tribunal Arbitral de Londres ou devant la High Court en appel. Cette clause concerne les litiges afférents à la responsabilité du transporteur.
Par ailleurs, dans le modèle étudié il est prévu que « This undertaking shall also be governed by and construed in accordance with English law and we agree to submit to the exclusive jurisdiction of the English High Court of Justice for the purpose of any process for the enforcement hereof. »Cette clause concerne cette fois-ci l’exécution de la lettre de garantie, impliquant donc le P&I Club.
Ces clauses se sont systématisées et, en dehors des cas où la lettre de garantie répond à une réclamation locale obligeant l’élection de la juridiction locale, comme pour une mainlevée d’une saisie conservatoire à Dakar par exemple, les lettres de garantie élisent les juridictions anglaises, arbitrales ou judiciaires. Cela fait sens car le droit anglais, à l’instar des juridictions anglaises, est favorable aux intérêts des armateurs. Ces insertions quasi-automatiques sont le reflet du fait que la France, et les pays de droit civil, sont en train de perdre le « combat pour la compétence ».
Les obligations des détenteurs d’un droit d’action
Finalement, le dernier intérêt de l’armateur à défendre est bien la contrepartie de l’existence de la garantie. Ces obligations n’appellent pas une négociation particulière précisément parce qu’elles sont la contrepartie à l’émission de la garantie.
Traduction libre : « Nous confirmons que les propriétaires du navire susmentionné acceptent que les réclamations susmentionnées seront le cas échéant tranchées selon le droit anglais et par le Tribunal Arbitral de Londres mentionné ci-dessus, et devant la High Court en appel ». 56 Traduction libre : « Cette garantie sera également gouvernée par et rédigée en accord avec la loi anglaise et nous acceptons de la soumettre à la juridiction de la High Court concernant sa mise en œuvre ».
Dans le modèle ces obligations, rédigées de la manière la plus large possible, sont les suivantes : « refraining from taking action resulting in the arrest of the abovementioned ship or any other ship in the same ownership, associated ownership or management for the purpose of founding jurisdiction and/or obtaining security in respect of the above claims of the cargo owners concerning the cargo mentioned above, and […] refraining from commencing and/or prosecuting legal or arbitration proceedings in respect of the above claims (otherwise than before the court or tribunal referred below) against the owners of the above-named ship and/or the ship ».58 Ici, la contrepartie à la garantie est d’abord l’empêchement de la saisie conservatoire sur le navire concerné par la créance maritime mais aussi sur tout autre navire appartenant au débiteur de la créance. Cette dernière précision couvre la possibilité pour le créancier de saisir, en vertu de la Convention du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles concernant la saisie conservatoire des navires de mer, « tout autre navire appartenant à celui qui était, au moment où est née la créance maritime, propriétaire du navire auquel cette créance se rapporte »
De plus les personnes détenant un droit d’action concernant la réclamation garantie s’engagent à ne pas obtenir une autre garantie portant sur cette réclamation ni à introduire une action devant les tribunaux ou les arbitres autrement que comme décrit dans la lettre.
Par ailleurs, le modèle précise que les intérêts cargaison doivent également avoir reçu la permission du P&I Club, ou de son correspondant, avant de transférer la garantie à un tiers faisant l’objet de sanctions américaines, européennes ou des Nations-Unies.
En effet, on peut lire dans le modèle étudié: « This undertaking may not be assigned, novated or transferred by you to any third party that is subject to EU, USD or UN sanctions without our prior consent. »Cette stipulation sert à s’assurer que le P&I.
Club ne se retrouvera pas contraint, via un transfert de la garantie, à devoir effectuer un paiement qui ne serait pas conforme au droit international et le placerait ainsi dans une situation délicate, à savoir choisir entre ne pas remplir son obligation née de la lettre de garantie ou remplir cette obligation en non conformité avec le droit international et risquer, conséquemment, de tomber lui-même sous le coup d’une sanction internationale.
Une fois les intérêts de l’armateur défendus au mieux et avec l’aval du P&I Club, le correspondant n’oubliera pas d’insérer dans la lettre de garantie des clauses visant à le protéger (II).
La protection du correspondant P&I
Le correspondant P&I émet certes la lettre de garantie pour le compte du P&I Club, mais en son nom car c’est à lui qu’il revient de signer cette lettre. Lors de l’émission de lettres de garantie le correspondant remplace en effet le Club vis-à-vis de son obligation de protection envers le Membre armateur. Ainsi, s’il veut éviter de se faire assigner au moment de l’exécution de la lettre de garantie, il doit insérer dans la lettre toutes les clauses exprimant l’idée qu’il n’émet pas la garantie pour son propre compte. Conséquemment, il devra aussi justifier son pouvoir de représentation.
Dans le modèle étudié, la protection du correspondant est assez élevée puisqu’il va précautionneusement rappeler qu’il n’agit pas pour son compte mais « on the behalf of the P&I Club »61 et explicite même le fait qu’il ne pourra pas voir engagé, ni sa propre responsabilité ni celle de la société par la formule « It is understood and agreed that the issuance of this letter by the signatory is not and shall not under any circumstances be construed as personally binding, nor binding upon the correspondent, but is binding only upon the P&I Club. »
Par ailleurs le correspondant se doit de rappeler qu’il a le pouvoir irrévocable d’émettre une telle garantie, pouvoir conféré par les propriétaires du navire : « We warrant that we have received irrevocable authority from the Shipowners to give this letter of undertaking in these terms. »63 Ce type de mention est présent même lorsque c’est le P&I Club qui émet la garantie. En effet la lettre de garantie doit être émise conformément à la volonté de l’armateur Membre, il est donc important pour le P&I Traduction libre : « Agissant au nom et pour le compte du P&I Club » 62 Traduction libre : « Il est entendu et convenu que l’émission de cette lettre par le signataire n’est et ne sera, en aucune circonstance, ni personnellement contraignante ni contraignante pour le correspondant P&I, mais ne sera contraignante que pour le P&I Club ». 63 Traduction libre : « Nous garantissons avoir reçu l’autorisation irrévocable des propriétaires du navire pour émettre cette lettre de garantie en ces termes ». Club, ou pour son correspondant, de rappeler qu’il a reçu l’autorisation du membre pour représenter ses intérêts. Maintenant que les intérêts pesant sur le l’armateur et ses garants ont été exposés, il va s’agir d’étudier les enjeux pesant sur la cargaison (Section 2), dont les intérêts sont représentés par le gestionnaire de sinistres.
Le montant
La première préoccupation du gestionnaire de sinistres sera le montant de la lettre de garantie. En effet ce dernier devra être capable de couvrir l’ensemble du dommage ainsi que les frais, d’expertise, de reconditionnement, de triage ou de justice, qui lui seront consécutifs.
Lorsque la négociation est basée sur des estimations, via une extrapolation faite par l’expert mandaté, le gestionnaire va s’assurer que la lettre de garantie, provisoire ou définitive, couvre l’intégralité du dommage.
Le véritable problème du gestionnaire sera ici de faire accepter au correspondant un tonnage élevé, du moins un tonnage plus que proportionnel au tonnage de marchandises endommagées déjà constaté au moment de l’extrapolation, afin de couvrir un dommage qui ne pourra être constaté qu’à la fin du déchargement : la mouille de fond de cale.
Cette avarie ne pourra, en effet, être constatée qu’à la toute fin du déchargement et ne pourra aucunement être décelée avant ce moment. Ainsi, l’existence probable d’une telle révélation en fin de déchargement conduira l’expert à estimer un tonnage de marchandise endommagée anormalement important, par rapport aux rendements effectifs du déchargement.
De manière plus globale, l’exercice d’extrapolation est certes le fait d’un expert indépendant, mais ne relève pas d’une science exacte, c’est pourquoi le gestionnaire de sinistres s’engagera, lorsque sa demande s’appui sur des chiffres estimés, à demander l’émission d’une lettre de garantie provisoire, dont le montant sera revu à la baisse une fois les chiffres finaux communiqués. Ce garde fou permet de faire accepter au correspondant P&I l’estimation par extrapolation donnée par le gestionnaire de sinistres. En effet, ces extrapolations sont souvent l’objet de vives critiques de la part des P&I Clubs et de leurs correspondants, bien qu’elles soient légitimées par les risques qui pèsent sur les intérêts cargaison, notamment si le navire se trouve dans son dernier port de déchargement, précisément en raison du fait que l’émission d’une lettre de garantie, au même titre qu’une saisie conservatoire, ne seront plus envisageables une fois le navire parti.
Ensuite, le gestionnaire de sinistres va déterminer le pourcentage de ce montant afin de couvrir les frais et intérêts. Ici, en présence d’une clause compromissoire ou d’une clause de juridiction élisant les tribunaux anglais, le gestionnaire ne pourra se satisfaire que d’un pourcentage fixé à 50 %. En effet, les frais de justice devant les tribunaux anglais sont élevés, mais moins que les frais relatifs à une procédure arbitrale.
De plus, en droit anglais, la partie qui perd le procès doit payer tous les frais afférents à l’action, y compris les honoraires d’avocats, qui sont généralement très élevés pour les avocats anglais. Ainsi, même en tranchant à 50 %, il est fort probable qu’en cas d’action devant un tribunal anglais judiciaire et, a fortiori, arbitral, cette somme ne suffise pas à couvrir les frais. Même si, en de pareilles circonstances, les situations ne vont que très rarement jusqu’au stade des tribunaux, il est important pour le gestionnaire de couvrir cette éventualité.
Si un autre tribunal est choisi, le pourcentage pourra alors être baissé jusqu’à 30 %, rarement au-dessous. En effet, cette somme ne sert pas exclusivement à couvrir les frais de justice mais également les frais de triage et de reconditionnement de la marchandise endommagée. Ces opérations sont effectuées après le déchargement, par des opérateurs locaux. Une fois de plus, le gestionnaire pourra se faire surprendre par le prix de ces opérations a posteriori, c’est la raison pour laquelle un pourcentage inférieur à 30 % est rarement accepté par le gestionnaire.
Le choix du modèle
Le gestionnaire de sinistres expérimenté va connaître les écueils à éviter. C’est pourquoi le courtier a,à sa disposition, un large choix de modèles de lettres de garantie, rédigés en fonction des situations et de la contrepartie à la garantie.
Chacun de ces modèles est rédigé au mieux afin de répondre à certaines préoccupations que le gestionnaire doit garder à l’esprit. Par exemple, dans le modèle il est prévu que le correspondant garantisse le fait que le navire n’est pas l’objet d’un affrètement coque nue. En effet, en présence de ce type d’affrètement, puisque l’affréteur devient le transporteur, c’est l’affréteur qui devient débiteur de la créance maritime et non plus le propriétaire du navire. Ce type d’affrètement n’étant pas forcément publié, il est important pour le gestionnaire de s’assurer qu’il réclame la garantie au débiteur de la créance. En insérant une telle clause, le gestionnaire évite ainsi les mauvaises surprises.
Dans le modèle elle est rédigée comme suivant : « We hereby warrant that we are informed by the owners of the above named ship that the above named ship was not demise chartered at any material time. »66 Ainsi, si il s’avère que le navire a été affrété de la sorte, le gestionnaire pourra s’appuyer sur cette clause afin que la garantie reste efficace.
Toutefois, si le gestionnaire se retrouve dans une situation où le navire en question fait l’objet d’un affrètement coque nue ou à temps avec dévolution, il optera pour un modèle prévoyant que l’ayant droit à la marchandise s’engage, entre autre, à ne pas pratiquer de saisie conservatoire sur le navire et/ ou contre un navire appartenant au propriétaire du navire et/ ou à l’affréteur, désignant ces deux derniers comme étant les transporteurs. Une telle rédaction impliquera, au moment du recours, que la responsabilité du propriétaire ainsi que celle de l’affréteur pourront être recherchées, indifféremment. Le courtier a ainsi une forte plus-value car son expérience l’a conduit à parfaire ces modèles. Toutefois, le gestionnaire n’a pas, en pratique, la capacité de négocier toutes les clauses de la lettre de garantie (II).
Les éléments non négociés
S’il s’avère que le gage de la solvabilité du transporteur, matérialisé par l’obligation du P&I Club de payer la somme déterminée par la lettre garantie, n’est pas négociable en ce qu’elle constitue la raison d’être de la demande, d’autres éléments ne seront pas non plus négociés. Tel est le cas de la clause attribuant la compétence juridictionnelle.
L’obligation du P&I Club
Le P&I Club est tenu, selon les termes de la lettre de garantie, de payer une somme qui ne dépasse pas le montant établi par cette lettre, sur demande de l’ayant droit à la marchandise ou de son courtier.