Les effets sociaux du mitard

Les effets sociaux du mitard

La sanction, en tant que prix à payer pour une entorse aux règles de la collectivité – conçues comme garantes de « l’ordre et de la sécurité » de l’institution – pourrait être appréhendée comme la réponse durkheimienne légitime à l’expression de cette anomie qui « est un mal, parce que la société en souffre, ne pouvant se passer, pour vivre, de cohésion et de régularité »303. Dans cette optique, la réglementation pénitentiaire s’insèrerait dans l’ensemble de lois qu’Emile Durkheim désigne comme les outils d’une cohésion sociale nécessaire au bon fonctionnement de la société. Hormis celui d’une réflexion philosophique curieuse des justifications étiques et morales du droit que se donnent certains d’enfermer leurs semblables, la discipline des prisons ne saurait alors faire l’objet d’un quelconque questionnement concernant son utilité sociale, si l’étude de la règle et de son application ne révélait pas un particularisme redoutable : son effet démultiplicateur, à l’œuvre dans l’exécution d’une sanction (et particulièrement, d’un passage au mitard), lequel peut se traduire selon les cas, par une double, triple, voire quadruple peine : Ce coup-là, ils m’ont puni 4 fois pour un seul truc. Ça m’a coûté cher, surtout la semi qu’on était en train de préparer, vous vous rappelez ? Ils m’avaient mis quelqu’un avec moi en cellule ; sur la cour, on m’avait dit que c’était un pointeur. Quand on est remonté de la promenade, j’ai pas voulu qu’il rentre dans la cellule. Comme ils ont fini par me l’imposer, je me suis mis en colère : j’ai foutu le feu aux matelas et j’ai cassé la table en tapant dessus avec les tabourets. Je voulais absolument qu’ils me l’enlèvent… Bon, je me suis retrouvé au mitard, mais j’en « Il est reproché d’avoir, le 13/08/2005, commis les faits suivants : causer délibérément de graves dommages aux locaux ou au matériel affecté à l’établissement (art. D.249-1-7 du CPP). Commettre intentionnellement des actes de nature à mettre en danger la sécurité d’autrui (art. D.249-1-8 du CPP) ».

En conséquence, Rachid O… est puni de 15 jours de placement en cellule disciplinaire, auxquels s’ajoute l’obligation de rembourser les dégradations du mobilier (par retenues au profit du Trésor Public, prélevées sur les mandats qu’il lui arrive de recevoir). Il a tout juste le temps de sortir du mitard pour solliciter l’autorisation de se présenter aux tests de sélection auxquels il est convoqué, en vue d’intégrer la formation de peintre qu’il a choisie comme projet de réinsertion. Autorisation refusée, au motif que son attitude récente en détention ne permet pas de lui accorder la confiance nécessaire à l’octroi d’une sortie. Ce refus entraînant de fait l’abandon de sa candidature à la formation envisagée, lui impose de renoncer à tout aménagement de peine (il finira celle-ci en détention ferme, avant de sortir quelques mois plus tard, sans emploi). Isolement disciplinaire, sanction financière, privation de permission de sortir et abandon de son projet d’aménagement de peine : Rachid O… a bien été sanctionné quatre fois et, si l’on considère les conséquences sociales de l’impossibilité qui lui a été faite d’entrer en stage, d’une façon excessivement sévère pour le seul fait d’avoir refusé de partager sa cellule. Il aurait pu, du reste, l’être une cinquième fois si le Parquet, informé de l’incident, avait décidé de le poursuivre pour destruction de matériel, comme il le fait quasi-systématiquement lorsqu’il s’agit d’un trafic de stupéfiants en détention. Cet état de fait contrevient au présupposé juridique selon lequel nul ne peut être puni deux fois pour le même fait et cette « originalité » vient, là encore, souligner la lenteur de la longue marche du droit pénitentiaire vers les règles de droit commun en cours « à l’extérieur ».

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Quoique les articles D. 251 et D.251-1 du C.P.P détaillent une palette de sanctions possibles, nombreuses et diversifiées (cf : page 82), le placement au quartier d’isolement disciplinaire apparaît dans les statistiques de la période 2005-2009 comme la principale sanction prononcée à l’encontre des détenus punis (sous la forme d’un placement effectif au mitard, ou dans sa variante : un placement avec sursis). Faut-il y reconnaître l’effet mécanique de l’application du décret d’avril 1996 qui, par souci d’uniformisation des réponses apportées aux transgressions commises, limiterait Une mise en perspective graphique des décisions rendues par la commission de discipline au cours des cinq années de l’enquête souligne la part congrue laissée aux « autres sanctions » que le mitard. Hormis l’année 2008 où elles représentent le quart des sanctions prononcées par la commission de discipline, celles-ci conservent un caractère exceptionnel sur toute la période envisagée : Encore convient-il de préciser que ces « autres sanctions » ne sont pas toujours des alternatives à l’isolement disciplinaire : il arrive qu’elles soient prononcées en complément à celui-ci ; la sanction financière imposée à Rachid O… en est un exemple. Est-ce leur rareté ou leurs conséquences pratiques qui rendent ces autres sanctions (« spécifiques » ou « générales », cf : page 82) finalement plus redoutables que l’isolement disciplinaire ?

 

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