La relation entre enseignant et élèves
Les enseignants sont au contact quotidien avec leurs élèves et développement avec eux une certaine relation. La relation entre l’enseignant et les EGRS est-elle décrite par les professionnels comme différente d’avec les autres élèves ? Ce sujet est très peu discuté dans les entretiens et dans les réponses au questionnaire. Pourtant, la relation entre les enseignants et les élèves aurait une part importante dans la réussite des élèves et serait un des critères des écoles efficaces (2003). Le maître a un rôle dans l’investissement scolaire des élèves ainsi que dans son rapport à l’école (Espinosa, 2001). Mais cet avis n’est pas partagé par Pianta et Stuhlman (2004) qui déclarent la relation enseignant-élève « not significantly associated with child outcomes » (ibid., p. 454).
Nous pouvons également lire qu’« aimer le professeur » fait partie pour certains élèves de la recette de la réussite scolaire (Charlot et al., 1992, p. 59). Les élèves qui disent « aimer l’école » estiment recevoir davantage de soutien de la part de leur enseignant que ceux déclarant « ne pas aimer l’école » (Bouffard et al., 2005, p. 59). Les élèves en réussite scolaire seraient en demande d’une relation privilégiée avec l’enseignante (Espinosa, 2001). Les élèves ayant une relation plus conflictuelle avec l’enseignant auraient de moins bonnes performances scolaires(Laplante, 2012). Du point de vue des élèves, il existerait une « influence réelle du sexe, de l’âge et du niveau de résultats scolaires de l’élève dans sa représentation de l’enseignant » (Espinosa, 2001, p. 4). Chez les enfants de maternelle et de primaire, les filles auraient une opinion plus favorable de l’enseignant. Les élèves en fin de primaire et au collège commenceraient à privilégier une dimension cognitive à la place de la relation affective qu’ils entretenaient précédemment. Les élèves en difficulté développeraient davantage la dimension affectivo-relationnelle qui occuperait une place centrale dans leur processus d’apprentissage (ibid.).
Notre population aborde-t-elle ces points autour de la relation enseignant/élève ? Qu’en ditelle ?
Résultats
Quelques enseignantes ont abordé la relation entre les élèves et l’enseignant. Elles parlent d’une relation particulière à leurs élèves. Elles n’ont pas la même approche de cette relation. Une des particularités du public qu’Anaïs accueille est la capacité des enfants à marcher à « l’affect par rapport à l’enseignant qu’ils ont en face » d’eux. Elle est enseignante de CM2 et dit qu’à l’âge de ses élèves, « on travaille pour faire plaisir aux parents et à la maîtresse ». L’ambiance de classe, la relation à l’enseignant jouent sur la réussite, ou en tout cas sur l’engagement scolaire des enfants. Pauline prend le temps de regarder le travail des EGRS. Elle « tamponne » ce qu’ils font en plus. Le simple fait de regarder leur travail, de s’intéresser à eux, fait que les élèves sont satisfaits. Ils attendent un regard de l’enseignant sur leurs activités scolaires.
Enfin, Mathilde parle de la relation très problématique qu’elle a eue avec un EGRS selon elle l’année passée. Un lien particulier entre l’enseignante et cet élève apparaît dans son discours.
Elle présente un élève très agréable, touchant, qu’elle aurait « presque adopté », mais une relation en perpétuel conflit.
M : (…) on était toujours en conflit tous les deux parce que … voilà. Et je n’ai pas réussi à le faire évoluer là-dessus. M : ouais il me bouffait la, il me bouffait, il me bouffait, Une confiance particulière est accordée aux EGRS, qui ne l’est pas pour tous les autres élèves de la classe. Eloïse le précise. Ce sont des élèves « sur qui on peut compter ». Ils sont complices de « petits clins d’œil » lors de la journée sur un événement passé, un « soutien moral » comme le décrit Eloïse lorsqu’un autre élève de la classe dit une bêtise. Claudine dit que c’est « un bonheur ». Les EGRS sont ceux sur lesquels « tu vas souffler, te reposer ». Anaïs termine par une phrase forte :
Discussion
Pour Anaïs, la relation à l’enseignant joue dans la réussite des élèves. Pianta et Stuhlman (2004, p. 454) ont focalisé leur travail sur « the contributions of the teacher-child relationships to predicting child outcomes. » L’effet-école et l’effet-maître (Bressoux, 1994) ont été étudiés pour voir l’influence de ces effets sur la scolarité de l’enfant. Les différentes études portant sur ces effets (Bressoux, 1995; Duru-Bellat, 2001; Monteil & Huguet, 2002; Suchaut, 2004; Bianco & Bressoux, 2009) montrent, comme le signale Anaïs, que « selon le maître qu’il a ou l’école qu’il fréquente, un enfant a des chances très différentes de progresser » (Duru-Bellat, 2001, p. 321).De plus, les élèves de milieux défavorisés et les élèves faibles seraient plus sensibles à ces effets (Chauveau, 2001). L’effet maître pourrait expliquer jusqu’à 13% des différences d’acquisition en fin de CP contre 5% par le milieu social (Suchaut, 2004). D’où l’intérêt de notre étude à s’intéresser aux informations spécifiques de chaque enseignant à mettre en lien avec leurs déclarations sur leurs pratiques de classe.
L’ambiance de classe, la relation particulière instaurée entre l’enseignant et ses élèves dont parlent certains enseignants sont relatées dans plusieurs articles traitant de l’efficacité pédagogique (Bressoux, 1994; Chauveau, 2001; Dumay & Dupriez, 2009; Feyfant, 2011). Les enseignants efficaces seraient ceux ayant des attentes élevées pour leurs élèves et proposant un « bon climat, une ambiance à la fois calme et studieuse » (Chauveau, 2001, p. 150). Cet auteur précise qu’un seul de ces critères n’est pas suffisant pour rendre sa pratique efficace mais que l’addition de plusieurs critères favoriserait une efficacité au sein de la classe. Pauline souligne le rôle important du regard de l’enseignant sur le travail de l’élève. Ce regard est attendu par eux et les rend satisfaits. Cela rejoint ce que Bressoux (1994, p. 99) explique sur les attentes élevées de l’enseignant entrainant des « niveaux de réussite élevés » de la part des élèves. Par contre, les enseignants ne font pas de lien dans leurs déclarations entre le type de relation qu’ils ont avec un élève et ses résultats scolaires. Ils ne parlent pas non plus de différence de relation par rapport au genre de l’élève et ne parlent pas du fait que leurs élèves pourraient aimer ou non l’école. Par contre, les enseignants des entretiens parlent du terme d’affect et disent que l’enfant travaille à l’école « pour faire plaisir » soit aux parents, soit à l’enseignant.
Les pratiques de classe déclarées similaires à l’enseignement efficace
Dans les différentes analyses croisées réalisées autour des pratiques des enseignants, nous relevons différents profils d’enseignant se rapprochant du maître efficace. C’est le cas des enseignants les plus âgés. Ils déclarent ne pas annuler des séances, finir les séances prévues, et disent ne pas adapter le temps didactique aux élèves qui ne suivent pas. Mais cela ne nous permet pas de conclure que les jeunes enseignants sont moins efficaces que les plus anciens (Charlot, 1998). Pauline souligne le rôle important du regard de l’enseignant sur le travail de l’élève. Ce regard est attendu par eux et les rend satisfaits. Des attentes élevées de la part de l’enseignant entraine des niveaux de réussite élevés chez les élèves (Bressoux, 1994). L’enseignant qui est un parent d’un enfant à qui on a proposé un passage anticipé est particulièrement attentif à ne pas revoir à la baisse ses objectifs, et à ne pas tirer vers le bas les élèves en réussite de sa classe, en faisant l’intégralité du programme. Ce sont des critères qui sont repris dans la littérature pour décrire un enseignant efficace (Duru-Bellat, 2002; Laparra, 2012).
Duru-Bellat (2001, p. 330) nous décrit un maître efficace comme celui capable de « prendre en charge tous les élèves » et de « proposer aux élèves des activités adaptées à leur niveau ». Plusieurs enseignants déclarent un temps réparti équitablement entre tous les élèves de la classe, tandis que d’autres souhaitent passer un temps important avec la totalité de la classe, pour ne laisser aucun élève de côté lors des apprentissages. Cela va à l’encontre du discours d’Emeric qui destine son temps principalement aux élèves en difficulté scolaire.
Conclusion
Une étude de la littérature sur l’enseignement efficace et les différents effets ayant lieu au sein d’une école ont permis un état de l’art autour de nombreuses recherches reprenant des caractéristiques et décrivant des fonctionnements plus ou moins orientés vers la réussite de tous les élèves. Notre étude ne permet pas de dire les comportements ou les caractéristiques des enseignants à l’origine de la grande réussite scolaire ni ceux accentuant ou diminuant cette grande réussite. Dans cette partie, nous avons pu étudier les déclarations des enseignants sur leurs pratiques et leur quotidien avec les EGRS au regard de ces théories.
Quelques enseignantes des entretiens abordent la question des relations qu’elles ont avec leurs élèves. Selon elles, les élèves des milieux défavorisés travaillent à l’affect pour faire plaisir aux parents ou à l’enseignant. Ces enseignants reconnaissent une part importante de la relation enseignant/élève dans la réussite de ces derniers. Selon les enseignants, les EGRS, finalement comme les autres, ont besoin que l’on s’intéresse à eux et à leur travail. Un climat de confiance et une certaine connivence existeraient entre les EGRS et leur enseignant, ce que l’on ne retrouve pas avec le reste de la classe.
Concernant les pratiques déclarées des enseignants par rapport à leurs caractéristiques, deux profils d’enseignant se rapprocheraient des enseignants efficaces. Il s’agit en premier des enseignants les plus expérimentés. Cela renvoie à l’idée que l’on gagne en efficacité avec l’expérience. La deuxième catégorie d’enseignants serait les enseignants parents d’enfant à qui on a proposé un passage anticipé, qui se rapprocheraient également des pratiques des enseignants efficaces. Deux volontés, présentes chez des enseignants des entretiens et du questionnaire, sont des caractéristiques principales de l’enseignement efficace. Il s’agit de la volonté de garder un haut niveau d’exigence malgré le milieu défavorisé et celle de vouloir également prendre en charge tous les élèves en leur donnant des activités adaptées à leur niveau (Duru-Bellat, 2001). Ces deux points ont été largement développés dans les réponses aux questions ouvertes et dans plusieurs entretiens.
Conclusion de fin de chapitre
Lors de notre première étude, nous avons récolté les données auprès d’une population d’enseignants de ZEP. Nous avons ensuite réalisé dix entretiens avec des enseignants des milieux défavorisés à Marseille. A travers leurs déclarations, nous avons relevé plusieurs points concernant ce qu’ils disent de ce qu’ils font pour les EGRS dans leur classe. Ce chapitre apporte à notre problématique des réponses concrètes autour de ce que les enseignants déclarent faire pour les EGRS dans leur quotidien avec eux.
La liste est longue des dispositifs mis en place à destination des EGRS dans leur classe. Cette liste a été faite par les enseignants du questionnaire et précisée lors des entretiens. Il existe de nombreuses activités, ciblées sur le français, les mathématiques mais également sur d’autres disciplines pour apporter davantage de culture aux élèves, qui sont régulièrement mises en place. Au regard de la grande réussite de certains élèves, les enseignants adoptent un comportement différent, en les responsabilisant davantage, en étant plus exigeants également pour leur permettre de continuer à s’améliorer. Deux dispositifs particuliers, le tutorat et le passage anticipé, ont été longuement discutés lors de nos études. Les enseignants se sont positionnés soit pour soit contre le deuxième et ont énoncé les points forts et faibles de ces deux dispositifs. Les avis divergent et la richesse de leurs argumentaires donnent à voir la complexité des choix des dispositifs à mettre en place pour les EGRS. Concernant le passage anticipé, les enseignants déclarent vouloir s’adapter à la personnalité intrinsèque à chacun et précisent à chaque généralisation que cela est à mettre face à l’histoire propre de chaque élève. Ils décrivent longuement les critères pouvant motiver ou justifiant le refus d’un passage anticipé. Nous découvrons à quel point la réflexion est difficile pour ces professionnels qui se prononcent sur le chemin scolaire de leurs élèves. Le tutorat est également à l’origine de nombreux discours mais plus orientés sur les bénéficiaires de ce dispositif. Parfois mis en place pour profiter aux EGRS, parfois pour les élèves en difficulté scolaire, un même dispositif n’a pas forcément les mêmes finalités en fonction des enseignants.