Les distributions verticales de 232Th et de 230Th
Les profils verticaux des concentrations de 232Th et de 230Th dans les phases dissoute et particulaire (petites et grosses particules) sont présentés sur la Figure 12.
Dans la zone d’étude Antares 4, les valeurs de 232Th dissous augmentent en fonction de la profondeur, dans les trois stations. Ceci reflète l’effet de la reminéralisation des particules en suspension (processus de désorption). Le profil de 232Th des petites particules, en surface, montre des concentrations légèrement supérieures à celles mesurées dans le reste de la colonne d’eau (notamment aux stations 7 et 8) et peuvent refléter la présence de particules d’origine détritiques apportées par les aérosols atmosphériques et/ou les apports latéraux. Or, l’océan Austral est connu pour recevoir un des plus faibles dépôt atmosphérique de poussières par unité de surface. Il a été estimé de 3 à 4 ordres de grandeur inférieur à celui des zones de l’Atlantique et du Pacifique Nord (Duce and Tindale, 1991). L’advection horizontale est donc un vecteur plus probable de matière.
L’importance du transport horizontal des masses d’eaux en provenance de zones potentiellement riches en particules lithogéniques et notamment en fer, a été démontré dans le secteur Indien del’océan Austral. En effet, Sarthou et al. (1997) expliquent les fortes valeurs de fer en subsurface par un transport advectif provenant du continent Antarctique via le Front Polaire mais aussi par un courant de surface enrichi lors de son passage par les îles Crozet. Notre zone d’étude à Antares 4 est suffisamment proche de l’archipel de Crozet (650 km) pour être influencée par des particules lithogéniques contenant des éléments tel que le fer et la silice lithogénique (Bucciarelli, 2001; Leblanc et al., Submitted). En outre, la circulation frontale convergente de la région participe à l’accumulation de particules. Au fond de la colonne d’eau, les concentrations de 232Th dans les petites particules diminuent mais restent non nulles. On remarque même des valeurs assez élevées au-delà de 2000 m de profondeur à la station 8. Pour le 232Th contenu dans les grosses particules filtrées, les concentrations augmentent au-delà de 1000 m. Elles ne représentent que 0 à 3 % du 232Th provenant des particules en suspension pour les stations 3 et 7 contre 2 à 9 % dans le cas de la station 8 où les concentrations de 232Th des grosses particules sont nettement supérieures aux précédentes.
En dessous des 500 mètres, les concentrations de 230Thxs dissous n’augmentent pas de façon linéaire comme dans les autres régions océaniques (Cochran et al., 1987; Mangini and Key, 1983; Nozaki et al., 1981; Roy-Barman et al., 1996). Pour le 230Thxs dans les petites particules, les profils verticaux montrent une augmentation avec la profondeur. Elle est faible pour les stations 3 et 7 mais plus importante à la station 8. Comme dans le cas du 232Th, les concentrations de 230Th dans les grosses particules filtrées augmentent à partir de 1000 m de profondeur et ne représentent que 0 à 3 % et 2 à 15 % du 230Th dans les particules en suspension pour les stations 3/7 et 8, respectivement.
Les distributions verticales des rapports 230Th/232Th dans le dissous et les petites particules montrent des valeurs aux stations 3 et 8 très irrégulières dans la colonne d’eau. A la station 7, on observe aussi un profil non linéaire mais les rapports 230Th/232Th dans la phase dissoute et particulaire augmentent globalement avec la profondeur. Dans la phase dissoute, ces valeurs sont légèrement plus élevées avec un maximum à 2500 m. Ceci est cohérent avec les interactions dissous-particules observées en mer Méditerranée (Roy-Barman et al., Accepted). Cela suggère que les particules se forment, a priori, en surface (avec un apport de 232Th lithogène) et tombent suffisamment vite au fond de la colonne d’eau pour ne pas être équilibrées “ isotopiquement ” avec l’eau environnante. Dans le cas des grosses particules filtrées, les valeurs des rapports 230Th/232Th suivent, en moyenne, la même distribution verticale que celles des petites particules.
Les mécanismes de “ scavenging ” et de renouvellement dans le cas du 230Thxs
Cas d’une distribution linéaire en surface
L’évolution du 230Thxs particulaire en fonction de la profondeur peut s’expliquer à l’aide du modèle irréversible utilisé dans le cas du 234Th. Cependant, pour décrire les profils du 230Thxs dissous, on considère que la fixation du thorium est réversible c’est-à-dire qu’en plus d’une fixation rapide du 230Thxs dissous sur les particules on ajoute une dissolution lente du 230Thxs particulaire vers la solution. En outre, on suppose que le rapport entre la vitesse de fixation et la vitesse de dissolution est constant avec la profondeur. Dans ce cas là, en négligeant les termes d’advection, de diffusion et le taux de désintégration du 230Thxs (λ), les équations de transport du 230Thxs du dissous et des petites particules à l’état stationnaire s’écrivent :
L’évolution du 230Thxs particulaire est indépendante des échanges dissous-particules (termes k1 et k-1) et ne dépend que des termes P230Th et S (Eq. 7). Par contre, le modèle réversible prédit une augmentation linéaire du 230Thxs dissous avec la profondeur : une partie du 230Thxs fixé en surface par les particules est redissous en profondeur. A partir du modèle réversible du 230Thxs ajusté aux données, il devient alors possible de déterminer une vitesse de chute des particules ainsi que des taux d’adsorption et de désorption.
Dans certaines études précédentes, la plupart des profils du 230Thxs total montrent une augmentation linéaire avec la profondeur s’expliquant par la production in situ de 234U et par les échanges réversibles du 230Thxs entre les phases dissoutes et petites particules (Bacon and Anderson, 1982; Guo et al., 1995; Nozaki et al., 1987; Roy-Barman et al., 1996). Cependant, les profils de 230Thxs total obtenus dans la zone d’étude Antares 4 montrent que cette distribution linéaire n’est valable qu’en surface. Prenons comme exemple les concentrations du 230Thxs total mesurées aux stations 3, 7 et 8 représentatives de régions caractérisées par des scénarios géochimiques distincts.
Dans le cas des stations 3 et 8, les concentrations de 230Thxs total montrent un profil linéaire entre 0 et 200 m alors qu’on observe une distribution linéaire entre 0 et 500 m pour la station 7. A partir de l’équation (8) et des concentrations de 230Thxs total mesurées aux stations, on en déduit la vitesse de chute des particules (terme S) dans la couche pour laquelle la distribution du 230Thxs total est linéaire. Par la suite, en ajustant l’équation du 230Thxs total (Eq. 9) avec les concentrations mesurées en surface (pour ces niveaux précis), il est possible d’évaluer les rapports k-1/k1 et de déterminer les valeurs de k1 et k-1 (Figure 13). Les valeurs estimées pour les stations 3, 7 et 8 sont reportées dans le Tableau 5. Compte tenu du rôle majeur joué par le rapport k-1/k1 dans l’équation (9), on doit rester vigilant quant à l’incertitude des termes k1 et k-1. En tenant compte des erreurs liées aux calculs et aux hauteurs différentes des couches de surface étudiées pour les stations 3, 7 et 8, le modèle estime que la vitesse de chute des particules en suspension (S) est similaire quelque soit la station (et donc la zone) et comprise entre 2 et 3 m/j. D’autre part, les valeurs des rapports k-1/k1 calculées avec le modèle simple de 230Thxs sont supérieures à 1 et suggèrent un processus de désorption plus rapide dans toute la zone d’étude Antares 4. Ces rapports décroissent dans le sens station 7-8-3. En géochimie marine, ce sont les termes k1 et k-1 qui sont le plus significatifs et la modélisation linéaire de la distribution du 230Thxs total permet d’aller plus loin dans l’estimation des interactions dissous – petites particules en surface.
Effet du renouvellement des eaux profondes
Dans le cadre de l’étude du cycle du carbone, il est important de connaître le temps qui s’est écoulé depuis qu’une masse d’eau donnée a été pour la dernière fois en contact avec l’atmosphère. Ce temps est appelé temps de ventilation. De façon plus générale, il est important de contraindre les vitesses de renouvellement des eaux profondes (par des eaux récemment ventilées ou pas). Dans cette partie, nous allons voir comment les isotopes du thorium permettent de quantifier ce temps de renouvellement.
Les concentrations du 230Thxs total mesurées au fond de la colonne d’eau aux stations 3, 7 et 8 ont des valeurs plus faibles que celles estimées à partir du modèle réversible prédisant une distribution linéaire du 230Thxs total. Les échantillons mesurés à Antares 4 montrent des profils de 230Thxs total non linéaires dans les couches d’eau profondes. A ces profondeurs, les transports latéraux de 230Thxs dans le dissous et sur les particules ne sont pas nécessairement négligeables (comme supposé dans le cas du modèle de “ scavenging ”). En effet, les mécanismes d’advection horizontale de masse d’eau contenant peu de 230Thxs total sont susceptibles d’appauvrir les concentrations observées au fond de la colonne d’eau.
A Antares 4, la zone de convergence frontale rend le transport de masses d’eau très complexe. La dynamique du système nous suggère de prendre en compte les effets du renouvellement Ouest-Est des eaux profondes provenant de l’Atlantique Sud, d’une part (You, 2000). En effet, au vu du diagramme des densités en fonction de la concentration du 230Thxs total (Figure 14) et de la structure frontale Sud-Nord observée à 58°E (Figure 15; Park and Gamberoni, 1997), les masses d’eau dans lesquelles nous sommes susceptibles d’observer l’effet du transport latéral sont.
Couplage du 230Thxs – 234Th dans la colonne d’eau
D’après les modèles de transport du thorium traités de façon irréversible (paragraphe B-2) et réversible (paragraphe C-2) à partir du 230Thxs et du 234Th, certaines divergences sont apparues. Les rapports des flux de 230Thxs et de 234Th sur la quantité de 230Thxs et de 234Th contenues dans les petites et les grosses particules, respectivement, ont permis de déduire des vitesses de chute de particules marines (Tableau 7). En tenant compte des barres d’erreur, cette méthode de calcul donne des résultats différents suivant l’isotope du thorium choisi.
La distribution des rapports 230Thxs/ 234Th
Les valeurs des rapports isotopiques et les distributions verticales 230Thxs/ 234Th sont présentées dans le Tableau 8 et la figure 18a-b. Les erreurs de calculs sont ramenés aux écart-type 1σ.
Les rapports 230Thxs/ 234Th sont tous croissants avec la profondeur (quelque soit la zone) et ils sont plus élevés dans la fraction particulaire (petites et grosses) que dans la phase dissoute. Ils varient de 0,1 à 220.10−5 dans les particules et de 1 à 40.10−5 dans la phase dissoute. D’autre part, à la station 7, les rapports dans les petites particules sont plus élevées que celles dans les grosses particules, ce qui n’est pas le cas aux autres stations. Elles varient de 3 à 100.10−5 pour les petites particules et de 0,1 à 50.10−5 pour les grosses particules. En surface (0-500 m), les rapports 230Thxs/ 234Th sont plus faibles que dans le reste de la colonne d’eau, c’est-à-dire là où l’activité biologique est plus importante et où se forment les particules marines. Les rapports dans le dissous augmentent et sont supérieurs et/ou équivalents, dans les barres d’erreur, à ceux des particules en suspension. En surface, l’accumulation du 230Thxs lié à l’adsorption réversible n’a pas encore beaucoup d’effet : le 230Thxs augmente avec la profondeur et l’effet de la désintégration du 234Th est moins importante car le déséquilibre 234Th/238U est prépondérant (voir paragraphe B).