Les écosystèmes pélagiques planctoniques en Méditerranée nord-occidentale

Les apports atmosphériques et terrestres

La productivité biologique en Méditerranée nord-occidentale s’explique également par les apports atmosphériques et terrestres en nutriments [Migon et al., 2002].
Les apports exogènes en phosphore, azote et silicium sont principalement issus des apports continentaux, de la déposition atmosphérique et des poussières sahariennes [Béthoux et al., 1999]. Le Rhône représente également une source importante de nutriments dans notre région d’étude [Minas and Minas, 1989], avec les débits les plus élevés de la Méditerranée depuis la construction du barrage d’Assouan sur le Nil (1700 m3 .s−1 en moyenne). Par ailleurs, la Méditerranée est la mer qui reçoit la plus grande quantité d’apports atmosphériques au monde [Guerzoni et al., 1999], majoritairement dus aux poussières sahariennes (voir Fig. 3.3) et aux activités humaines (industrie, trafic routier, agriculture intensive). D’après Guerzoni et al. [1999], les apports atmosphériques en Méditerranée occidentale sont équivalents en quantité à ceux des rivières. Ces auteurs montrent que l’influence des apports atmosphériques sur le fonctionnement des écosystèmes pélagiques planctoniques augmente de la côte vers le large, et des zones actives aux zones stables oligotrophes. Dans ces zones oligotrophes, les apports atmosphériques en azote peuvent soutenir jusqu’à 60% de la production nouvelle, et ceux en phosphore jusqu’à 25%. Ces apports ont probablement peu d’importance dans le bilan annuel de production primaire [Guerzoni et al., 1999], dont la valeur serait principalement déterminée par l’intensité de l’efflorescence printanière. Cependant, en été et au début de l’automne, lorsque la stratification est forte, les apports atmosphériques peuvent représenter pendant de brèves périodes une source non négligeable de nutriments, susceptible de provoquer de petits épisodes d’efflorescence phytoplantonique [Martin et al., 1989; Dulac et al., 1996; Saydam, 1996].
Les apports atmosphériques présentent donc une très forte variabilité temporelle.
Leur aspect épisodique rend ces apports extrêmement difficiles à estimer, donc à prendre en compte lors d’un exercice de modélisation. Notons enfin que les apports atmosphériques et terrestres peuvent avoir des effets délétaires sur les écosystèmes, en apportant des composés toxiques, comme, entre autres, le plomb et les hydrocarbones chlorés.

La modélisation des écosystèmes planctoniques en Méditerranée nord-occidentale

Le fonctionnement de l’écosystème pélagique en Méditerranée nord-occidentale présente une importante variabilité spatiale et temporelle, en grande partie due aux processus hydrodynamiques. Cette variabilité ne permet pas la compréhension du fonctionnement biogéochimique de cette zone par la seule approche expérimentale, et mène naturellement au développement et à l’utilisation de modèles numériques couplés hydrodynamique-biogéochimie.
Les modèles biogéochimiques, dont l’essor date de trois décennies, fonctionnent généralement sur la base d’un écosystème divisé en divers compartiments plus ou moins nombreux selon le degré de sophistication des modèles (phytoplancton, zooplancton, bactéries, détritus, matière organique dissoute, nutriments, etc…). Les interactions entre ces compartiments (les processus : prédation, excrétion, mortalité, etc…) sont représentées par des formulations mathématiques, la plupart du temps empiriques mais aussi parfois mécanistiques, qui permettent de calculer l’évolution temporelle de l’écosystème.
Les premiers modèles, « NPZD », comportaient quatre compartiments [Evans and Parslow, 1985; Fasham et al., 1990] : nutriments (N), phytoplancton (P), zooplancton (Z) et détritus (D). Dans ces modèles, les variables d’état sont exprimées en azote, considéré alors comme l’élément le plus limitant de la production primaire [Eppley and Peterson, 1979]. Les résultats expérimentaux obtenus depuis 10 ans ont amené au traitement explicite de plusieurs autres cycles d’éléments (phosphore, silicium, fer…) et au développement de modèles avec de plus nombreux compartiments.
Les modèles biogéochimiques sont dits « 0D », dans la mesure où ils ne permettent pas, seuls, de représenter l’évolution spatiale de l’écosystème. En revanche, coupler ces modèles à des modèles hydrodynamiques permet de prendre en compte cette évolution spatiale.

Les modèles couplés unidimensionnels

Les premières études de modélisation couplée hydrodynamique-biogéochimie appliquée à la Méditerranée occidentale se sont d’abord fondées sur des modèles couplés unidimensionnels, c’est-à-dire décrivant la dynamique de la colonne d’eau. Le choix d’un modèle unidimensionnel plutôt que tridimensionnel était en partie lié à un souci de simplification et à des contraintes techniques, mais aussi à l’existence de nombreuses données prélevées au point DYFAMED, situé au large de Nice. Les observations réalisées en ce point concernent notamment la dynamique et la distribution des nutriments [Marty et al., 2002], du carbone organique dissous [Copin-Montégut and Avril, 1993; Avril, 2002; Pujo-Pay and Conan, 2003], du phytoplancton [Vidussi et al., 2000; Marty et al., 2002; Marty and Chiavérini, 2002], des bactéries [Tanaka and Rassoulzadegan, 2002] et du zooplancton [Andersen et al., 2001b,a; Tanaka and Rassoulzadegan, 2002]. Andersen and Prieur [2000] ont montré que l’advection horizontale est faible à ce site, justifiant qu’on y applique des modèles unidimensionnels.
Il est alors possible de valider et améliorer ces modèles et d’en déterminer les points faibles en comparant leurs résultats avec les données disponibles. Les modèles biogéochimiques ainsi validés sur la verticale peuvent ensuite être utilisés dans un contexte.

La modélisation des écosystèmes planctoniques en Méditerranée nord-occidentale tridimensionnel

Les études de modélisation unidimensionnelle appliquées à la Méditerranée occidentale et dont nous rappelons brièvement les résultats se sont donc presque toutes consacrées à l’étude du point DYFAMED, à l’exception de celle de Allen et al. [2002].
Décrivant l’écosystème en fonction de la concentration des compartiments en carbone, azote et silicium, Tusseau et al. [1997] ont montré l’importance de la production régénérée en période stratifiée, donc la nécessité de prendre en compte la boucle microbienne (bactéries, microzooplancton). Les auteurs suivants ont tous utilisés un modèle unidimensionnel fondé uniquement sur le cycle de l’azote. Lévy et al. [1998a] ont utilisé un modèle incluant un compartiment bactérien pour représenter la production primaire en Mer Ligure. Leurs résultats ont mis en évidence la nécessité d’inclure plusieurs groupes phytoplanctoniques et de prendre en compte l’influence de la profondeur de la couche de mélange sur le développement phytoplanctonique, la dépendance à la lumière du rapport entre la concentration en carbone et celle en chlorophylle et le processus de nitrification. Lacroix and Nival [1998] et Lacroix and Grégoire [2002] (ces derniers incluant explicitement les bactéries) ont montré l’influence de la variabilité météorologique saisonnière et interannuelle sur la production primaire en Mer Ligure, et ont aussi insisté sur la nécessité d’inclure la boucle microbienne dans les modèles appliqués à la Méditerranée. Chifflet et al. [2001] ont montré que le phosphore et l’azote sont certainement des éléments co-limitants de la production primaire en Méditerranée nord-occidentale, et qu’il est donc important de prendre en compte ces deux éléments dans les modèles biogéochimiques. Ces auteurs ont également souligné la nécessité d’inclure plusieurs types de zooplancton. Mémery et al. [2002] ont évalué l’impact de la fréquence du forçage atmosphérique utilisé pour forcer le modèle hydrodynamique sur l’estimation des flux biogéochimiques, montrant qu’il était nécessaire que ce forçage ait une résolution temporelle inférieure à quelques jours.

LIRE AUSSI :  La gouvernance d’entreprise et le développement durable

Vers des modèles multi-compartiments et multi-nutriments

Les études de modélisation unidimensionnelle ainsi que les observations ont montré la nécessité de prendre en compte dans les modèles biogéochimiques un nombre suffisant de compartiments de l’écosystème pélagique et d’éléments chimiques susceptibles de contrôler le développement planctonique. Il apparaît notamment essentiel de représenter explicitement la boucle microbienne, d’augmenter le nombre de types de phyto- et zooplancton, et d’inclure le phosphore, mais aussi le silicium nécessaire aux diatomées, en particulier pendant l’efflorescence printanière. Les modélisateurs s’orientent par conséquent de plus en plus vers des modèles de type multi-nutriments et multi-groupes fonctionnels, prenant en compte plusieurs nutriments potentiellement limitants et un nombre croissant de groupes planctoniques ayant une « fonction » particulière dans la dynamique de l’écosystème [Le Quéré et al., 2005; Vichi et al., 2007]. Par ailleurs, les modélisateurs privilégient les formulations mécanistiques des processus, qui permettent une réelle représentation du mécanisme à l’origine du processus, par rapport aux formulations empiriques classiques [Baklouti et al., 2006].
De tels codes biogéochimiques permettent en principe de disposer d’un modèle très adaptable, applicable à des régions océaniques ayant des statuts trophiques variés. Allen et al. [2002] ont ainsi appliqué à plusieurs points de la Méditerranée un modèle.
Les écosystèmes pélagiques planctoniques en Méditerranée nord-occidentale unidimensionnel prenant en compte le carbone, l’azote, le phosphore et le silicium,
plusieurs tailles de phyto- et zooplancton et la boucle microbienne, pour comparer le fonctionnement de l’écosystème planctonique entre Méditerranée orientale et occidentale. Raick et al. [2005] ont utilisé en Mer Ligure un modèle fondé sur le carbone et l’azote, prenant en compte plusieurs tailles de zooplancton et phytoplancton, et incluant une représentation explicite de la boucle microbienne. Leur modèle reproduit correctement les caractéristiques de l’écosystème pélagique planctonique dans cette région.

Les modèles couplés tridimensionnels

Les modèles couplés hydrodynamique-biogéochimique ayant été développés, validés et améliorés dans leur version unidimensionnelle, leur utilisation dans un cadre tridimensionnel est alors possible. Quelques modèles couplé tridimensionnels ont ainsi été appliqués à l’étude de l’écosystème pélagique planctonique en Méditerranée nord occidentale.
Pinazo et al. [1996] ont implémenté un modèle couplé tridimensionnel, fondé sur les cycles du carbone et de l’azote, dans le golfe du Lion et ont montré l’influence de la circulation induite par le vent sur la production primaire, en particulier lors des épisodes de remontée d’eau profonde. Crise et al. [1998] ont examiné l’influence de la circulation générale sur l’écosystème planctonique en Méditerranée au moyen d’un modèle tridimensionnel fondé sur l’azote, un groupe phytoplanctonique et un compartiment de matière organique particulaire. Ceci leur a permis de mettre en évidence la variabilité spatiale et temporelle du cycle de production primaire, et d’émettre l’hypothèse que la distribution spatiale des nutriments était principalement gouvernée par la circulation océanique. Tusseau-Vuillemin et al. [1998] ont appliqué une version tridimensionnelle du modèle utilisé par Tusseau et al. [1997] pour quantifier les échanges entre le plateau du golfe du Lion et le large. Leurs résultats montrent que les apports en nutriments dus au Rhône, aux sédiments et à l’advection jouent un rôle essentiel dans l’évolution de l’écosystème. Par ailleurs, le plateau semble jouer la plupart du temps un rôle de puits pour le nitrate, sauf en hiver, où le nitrate est exporté du plateau vers le large, notamment par le cascading (voir paragraphe 2.2.2). Lévy et al. [1998b, 1999a,b, 2000, 2001] ont couplé un modèle biogéochimique NPZD (adapté de Lévy et al. [1998a]) à un modèle hydrodynamique tridimensionnel pour effectuer des simulations académiques en Méditerranée nordoccidentale. Leurs résultats ont montré que la variabilité de l’écosystème n’était pas seulement temporelle mais aussi spatiale, et largement liée à la variabilité de la circulation océanique. Ces résultats ont notamment mis en évidence le rôle essentiel des processus de méso-échelle dans le fonctionnement des écosystèmes, tant sur la production que sur l’exportation vers les zones profondes, et ont remis en question la validité des modèles biogéochimiques forcés par des modèles hydrodynamiques de grande échelle, dont la résolution ne permet pas de représenter ces processus de méso-échelle. Crispi et al. [2002] ont examiné la variabilité spatiale de l’écosystème planctonique en Méditerranée au moyen d’un modèle tridimensionnel fondé sur l’azote et le phosphore et incluant une boucle microbienne, reproduisant correctement le gradient trophique entre Méditerranée occidentale et orientale, dû en partie à la circulation générale.

Objectifs

Les études numériques tridimensionnelles de l’écosystème pélagique planctonique en Méditerranée ont mis en évidence le rôle essentiel des processus physiques dans l’évolution du plancton pélagique en Méditerranée, de la circulation générale aux processus de méso-échelle comme les tourbillons ou le cascading. Pour mener des études numériques réalistes de l’écosystème pélagique planctonique en Méditerranée nord-occidentale, il est donc indispensable de développer et d’améliorer les outils de modélisation couplée tridimensionnelle.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *