Les dysfonctionnements et les détournements de la buprénorphine à haut dosage

L’héroïne

Botanique du pavot : L’héroïne est un dérivé opiacé, c’est-à-dire dérivé de l’opium, lui-même issu du pavot Papaver somniferum L.
Issu de l’ordre des Ranonculales et de la famille botanique des Papaveraceae, le Papaver somniferum L. a pour inflorescence une cyme unipare hélicoïde, c’est-à-dire que ses rameaux sont alternés régulièrement et placés en hélice.  Sa tige possède des feuilles embrassantes et peu divisées, glauques, épaisses et inégalement dentées ; lorsqu’elle est cassée, il en sort un suc incolore à blanc. Sa fleur est d’une couleur allant du blanc -variété album-, au violet foncé -variété nigrum-. Son fruit, qui nous intéresse tout particulièrement ici, est une capsule, glabre, dont la taille est comprise entre deux et six centimètres lorsqu’elle est à maturité. Cette capsule à déhiscence poricide contient de nombreuses graines, de teinte noirâtre qui à maturité s’échapperont des pores situés en collerette au sommet de la capsule. A partir d’une capsule d’opium pas encore sèche, des incisions permettent au latex d’être lentement secrété. En séchant, il se concrète en une substance brune-chamois, qui sera grattée et constituera l’opium. Cet opium contient comme alcaloïde principal la morphine, qui représente 10% de son poids, à ses côtés on trouve différents alcaloïdes dont la papavérine.

L’addiction

A qui, à quoi ? : L’addiction (ou dépendance) vient du mot latin « addictus », signifiant « être esclave ». En effet, lorsqu’on est dépendant à une substance ou autre (jeu, sexe), on en est esclave car on ne peut s’en libérer seul.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) décrit la toxicomanie comme « un état de dépendance psychique et parfois de surcroit physique, caractérisée par des modifications du comportement sous-tendues par un besoin impérieux de recherche, d’acquisition et de consommation de façon continue ou périodique, d’une substance psychoactive désignée drogue. »
Le mot « drogue » couramment utilisé et parfois à tort, nécessite une définition : le mot français signifie «substance illicite» et en cela diffère du terme anglais « drug », correspondant quant à lui à la traduction littérale de « médicament ». L’OMS donne la définition : « une drogue ou substance toxicomanogène, est une substance psychoactive, d’origine naturelle ou synthétique, qui peut entraîner une dépendance chez le consommateur. ». L’OFDT complète cette définition en stipulant qu’une drogue est une substance « utilisée par une personne en vue de modifier son état de conscience ou d’améliorer ses performances, qui a un potentiel d’usage nocif, d’abus ou de dépendance et dont l’usage peut être légal ou non. »
De là, on peut établir que la différence entre une drogue et un stupéfiant est principalement d’ordre administratif, concernant le stupéfiant, on rajoutera à la définition que son usage est très réglementé, aussi bien dans le cadre d’une prescription médicale et de sa délivrance en pharmacie, que dans son emploi ; pour pouvoir contrôler et interdire les dérives de l’utilisation pouvant conduire à la toxicomanie et au trafic de ces substances.
Notre propos s’attache à décrire l’addiction à une substance que l’on peut qualifier de stupéfiant, en l’occurrence l’héroïne, dérivé opiacé, et les produits de substitution qui sont aujourd’hui sur le marché des médicaments et qui, du fait de leur action similaire au niveau des récepteurs µ, entrainent une dépendance égale que l’on devrait réduire pour la faire disparaître en recourant à des doses dégressives et à des substances ayant des effets agonistes de plus en plus partiels pour, in fine, ramener la stimulation des récepteurs mu au niveau physiologique, assuré par les endorphines (ligands endogènes naturels de ces récepteurs mus) afin de ramener la transmission dopaminergique dans le noyau accumbens à un niveau basal.

Dopamine et circuit de la récompense

Le circuit de la récompense correspond au circuit neuronal à partir duquel sont ressentis les plaisirs. Il n’est évidemment pas mis en jeu uniquement dans l’usage des drogues, mais également dans des situations très communes de la vie quotidienne. Ce circuit de la récompense se situe au sein du système limbique : il s’agit d’une zone du cerveau primitif, c’est-à-dire qu’elle apparait au tout début de la formation du cerveau embryonnaire. Il est le siège des réactions dites «primaires», soit inhérentes à la vie et à la survie humaine : manger, boire, se reproduire… Le système limbique est composé de l’hippocampe, de l’hypothalamus, des amygdales. Le système hédonique, donc lié au plaisir, prend naissance au sein de l’aire tegmentale ventrale, zone située dans le mésencéphale au sommet du tronc cérébral, ses neurones dopaminergiques se projettent sur le noyau accumbens.
L’action pharmacologique de l’héroïne au niveau du cerveau se déroule en plusieurs étapes : tout d’abord, elle arrive au niveau de l’aire tegmentale ventrale, qui constitue une étape importante dans le circuit de la récompense. L’héroïne active des récepteurs µ, ce qui, de façon indirecte, accroit l’activité électrique de neurones dopaminergiques méso-accumbiques. Le signal électrique est alors transformé en signal chimique : le neurone libère au niveau de la synapse le neurotransmetteur du plaisir, la dopamine. Cette dopamine peut alors entrer en contact et s’associer très brièvement avec des récepteurs dopaminergiques du type D2.
La stimulation brutale des récepteurs opioïdes qui conduit à une libération intense de dopamine déclenche une sensation appelée « rush », signifiant « montée », synonyme de plaisir intense : le sujet dépendant ressent une euphorie, une extase. Cette culmination est évidement suivie d’une redescente, qui peut être très pénible voire insupportable. On observe les effets inverses de ceux qui prévalaient à la phase précédente ; une somnolence, une diminution des fonctions cérébrales, et un ralentissement des fonctions cardiaques et une stimulation des fonctions respiratoires : cependant, bien qu’extrêmement pénible, l’usager de drogue ne meurt pas d’abstinence aux opiacés, à la différence, du sevrage d’alcool chez un alcoolique.
Il y a une mémorisation de l’association drogue-contexte. L’apparition du contexte, tel qu’une soirée avec les « amis » qui ont permis la première consommation d’héroïne, déclenche l’activation du circuit de récompense, et donc l’envie de consommer la drogue.

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La mise en place des traitements de substitution

D’après l’OFDT, il existe un important marché noir des traitements de substitution. Le plus accessible serait la BHD, en effet, sa délivrance est moins contrôlée ou du moins le produit est plus facile à obtenir que la méthadone. Selon le site TREND, en 2011, le prix moyen sur le marché noir d’un comprimé de Subutex® 8mg se situait entre 3 et 5€, quant au flacon de méthadone, il était accessible entre 5 et 20€. L’autorisation de mise sur le marché des traitements de substitution en 1996 a permis de faire diminuer par quatre les interpellations pour usage d’héroïne entre 1994 et 2003, elles sont passées de 13 457 en 1994 à 3258 en 2003. Cependant, survient ultérieurement à nouveau une augmentation : il y a eu 7255 interpellations en 2010. Dans la même année, 3382 personnes ont été arrêtées pour trafic, usage ou revente d’héroïne. Enfin, en 2013, 570 kg d’héroïne ont été saisis par la police.
Notons qu’il y a toujours des morts par surdose, 33% d’entre elles sont liées à l’héroïne en 2010, 15% en 2012, et 53% sont liées aux traitements de substitution en 2010 contre 60% en 2012…Le fait que le traitement qui est censé soigner et diminuer l’addiction pour la rendre nulle tue davantage que le produit de l’addiction en lui-même traduit un important mésusage et un dysfonctionnement de l’utilisation de ces traitements de substitution.
La buprénorphine, avec sa facilité d’accès, permet trop souvent aux jeunes néophytes de la drogue d’entrer dans le mode de la consommation, souvent en soirée dans les milieux techno-festifs. En effet, la BHD n’a pas une bonne image chez les usagers de drogue, n’ayant pas vraiment un statut de médicament mais plutôt celui de drogue de rue…Et ce à la différence de la méthadone, qui avec sa dispensation plus contrôlée, est rarement injectée et davantage considérée comme un moyen thérapeutique que comme un équivalent de drogue.

La buprénorphine à haut dosage : les différentes formes galéniques

Les comprimés sublinguaux : Les comprimés sublinguaux de buprénorphine ont l’avantage, contrairement aux sirops de méthadone par exemple, qui sont conditionnés séparément et unitairement, d’être délivrés par plaquettes de sept comprimés. Cela permet au patient de conserver son traitement discrètement sur lui, de partir facilement en voyage, en avion notamment, sans avoir besoin de transporter en soute une valise remplie de flacons…
Le comprimé doit être placé sous la langue durant cinq à dix minutes afin que sa dissolution soit complète et que la résorption de la molécule soit la plus importante possible : en effet, pris par voie orale, la buprénorphine subit un important effet de premier passage hépatique, via une N-désalkylation et une glycuroconjugaison qui réduisent énormément son activité, d’autant que sa résorption est elle-même très réduite. Ainsi, il est primordial que les professionnels de santé qui sont en relation avec le patient explicitent de façon très claire la manière de prendre le traitement. Par la voie sublinguale, la biodisponibilité absolue de la buprénorphine est de 15 à 30%. Sa demi-vie est estimée entre deux et cinq heures et le pic de concentration plasmatique est obtenu quatre-vingt-dix minutes après l’application du comprimé.
Un mode de détournement de la buprénorphine en comprimés sublinguaux consiste à dissoudre le comprimé dans de l’eau pour se l’injecter. Ces modalités d’utilisation de la buprénorphine engendrent trente à quarante décès par an en France, depuis 1998. Aussi, pour limiter ces détournements de traitement, d’autres formes sont à l’étude, notamment les implants sous-cutanés que nous verrons ci-après, ou bien le traitement par la Suboxone®.
Cependant, avant même d’avoir besoin de changer la forme galénique ou de traitement, rappelons que le Subutex® se décline en génériques, commercialisés dès 2006 par les laboratoires Arrow, Biogaran, Mylan, Sandoz, Teva…, leur matrice galénique insoluble est d’un volume plus important que celui du Subutex® ; ce qui limite la possibilité de son détournement via l’injection. Or, les patients recevant un traitement substitutif à l’héroïne sont libres de refuser le générique sans forcément que la mention « non substituable » soit notée par le prescripteur, car la buprénorphine n’est pas soumise au tiers-payant contre le générique. (JO Republique Française 2015 génériques, s. d.) On peut s’étonner de cette contrainte en moins qui pourrait aider les patients à limiter l’envie et la tentation d’avoir recours à l’injection.

Table des matières

Introduction
PARTIE I : Généralités
1. L’héroïne
1.1 Botanique du pavot
1.2 Historique
1.3 De la médecine au détournement
1.4 L’héroïne aujourd’hui : chiffres et avenir
2. L’addiction
2.1 A qui, à quoi ?
2.2 Dopamine et circuit de la récompense
2.3 Les conséquences physiques et psychologiques
2.4 Quel avenir et quelles propositions pour une personne dépendante ?
3. La substitution
3.1 La mise en place des traitements de substitution
3.2 La politique française de réduction des risques
3.3 Le constat : l’association « La Passerelle » à Elbeuf pour exemple
4. Les traitements
4.1 La méthadone
4.2 Le Subutex®
4.3 La Suboxone®
PARTIE II
1. Enquête officinale 
2. Matériel et méthode
3. Résultats
4. Discussion 
Conclusion
Références bibliographiques
Annexes

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