LE RATTACHEMENT DÉFICIENT AU DROIT DE SUPERFICIE
En droit français, le droit de superficie déroge à l’attachement légendaire du droit aux adages. Ainsi, le postulat « superficies solo cedit »241 est écarté en la matière, puisque le droit de superficie a vocation à distinguer la propriété du sol de la propriété du sous-terrain et de la propriété « aérienne ». Le droit de superficie est régi : en droit espagnol, par la « Llamada Ley del Suelo »242 ; en droit italien, par les articles 952 à 956 du Code civil et en droit français, le droit de superficie est envisagé par dérogation à l’article 552 du Code civil. L’évolution historique très singulière du droit de superficie, en droit français, commande un bref rappel sur ce point.
Très usité dans l’Ancien droit243, l’exclusivisme, reconnu par la suite au droit de propriété, conduit à sa désuétude. Plus tard, la jurisprudence a essayé, dans diverses espèces, de reconnaître un tel droit dans les conflits qu’elle avait à trancher, mais l’ignorance persistante du Code civil français à l’égard du droit de superficie n’en fit qu’une règle jurisprudentielle, sans consécration législative dan notre droit commun. Nombre d’arrêts de la Cour de cassation en font état et posent les critères permettant d’établir une définition concrète de ce droit244. La jurisprudence française a, à plusieurs reprises, essayé de qualifier juridiquement ce droit. Elle a soumis ce droit, tantôt au régime de la copropriété, puis à celui des droits de propriété superposés. L’instabilité de la jurisprudence, en la matière, a permis de qualifier ce droit, tantôt de droit réel, tantôt de droit réel innommé. Dans l’arrêt de 1873, la Cour de cassation semble décider que le droit de superficie constitue un droit de propriété immobilière245. Ce droit a été reconnu également par un arrêt de la Cour de cassation, beaucoup plus récemment.
Le droit de superficie se caractérise par la disjonction de la propriété du sol et de celle des parties inférieure et supérieure. L’approche du droit de superficie semble, a priori en adéquation avec les droits de jouissance à temps partagé.
En ce sens, « […] il s’agit d’une formule extrêmement originale qui reconnaît sur un fonds initialement homogène l’exercice de deux droits, l’un portant sur la superficie, l’autre sur le tréfonds, et ayant pour conséquence de scinder le fonds ». Le débat doctrinal247 s’est porté sur la nature juridique de ce droit, comme pour les droits de jouissance à temps partagé. Ainsi, si l’on tend vers le rapprochement du droit de superficie dans le domaine des droits de jouissance à temps partagé, l’acquéreur de ces droits ne pourrait disposer du bien, c’est-à-dire de la partie supérieure du sol, en ce sens qu’il ne peut rien construire ou détruire de lui-même, ceci ne contrevient nullement à la conception des droits de jouissance à temps partagé. Il s’agirait d’un droit de propriété singulier, partagé entre tous les titulaires de droits de jouissance à temps partagé.
Néanmoins, quelques obstacles écartent, actuellement, le rapprochement entre le droit de superficie et les droits de jouissance à temps partagé. Certains auteurs espagnols comme Madame Ana Luisa BALMORI PADESCA248 sont contraints d’écarter cette qualification. En effet, le droit de superficie, en droit espagnol, comme en droit français et en droit italien, doit être continu et perpétuel, ce qui suppose un exercice du droit durant de longues périodes. Or, les droits de jouissance d’immeuble à temps partagé se trouvent à l’opposé d’une telle conception, puisque la nature première et fondamentale de ce droit repose sur le fractionnement de l’exercice du droit dans le temps, bien que l’existence du droit soit continue, mais à terme. Ainsi, la perpétuité s’entendrait à l’intérieur du contrat et non dans un sens général.
Par conséquent, il semble qu’une conception commune par les droits français, italien et espagnol se dégage : malgré la reconnaissance de certains points de rattachement, le droit de superficie ne semble pas pouvoir s’adapter dans son intégralité aux droits de jouissance à temps partagé. Ainsi, Madame BALMORI PADESCA relève en ce sens que : « le droit de superficie se constitue en faveur d’un seul titulaire ou de plusieurs simultanément, pendant que le droit d’utilisation à temps partiel se caractérise par la grande quantité de titulaires, chacun avec sa délimitation temporelle concrète,… »249. Le droit de superficie pêche sur un point : la prise en compte des titulaires et la présence simultanée de ceux-ci. En effet, les droits de jouissance à temps partagé supposent que le droit soit attribué à tous les titulaires, mais de manière alternative. Par conséquent, les caractéristiques du droit de superficie sont trop restrictives pour opérer un calque des droits de jouissance à temps partagé sur ce point. En effet, les droits de jouissance à temps partagé supposent une individualisation des droits de chaque titulaire, alors que le droit de superficie suppose une approche inverse. Le droit est donné à un seul titulaire, mais en présence de plusieurs personnes.
Néanmoins, l’idée de droit de propriété inhérente au droit de superficie250 peut constituer un élément de réflexion dans le sens d’une adaptation d’une telle qualification aux droits de jouissance à temps partagé. Ainsi, le constat de l’existence de similitudes entre droit de superficie et droits de jouissance à temps partagé permet de raisonner par syllogisme : si le droit de superficie est qualifé de droit de propriété, malgré l’opposition de certains auteurs comme le Professeur ZENATI251 et malgré la temporalité de ce droit, alors les droits de jouissance à temps partagé présentant des caractéristiques identiques (temporalité et droit sur fonds d’autrui) sont assimilables au droit de propriété. Néanmoins, il convient, à présent, d’observer si le droit d’usufruit ne serait pas plus étoirement lié aux droits de jouissance à temps partagé.
LE RATTACHEMENT DÉFICIENT AU DROIT D’USUFRUIT
Les caractéristiques du droit de jouissance à temps partagé tendent à participer du droit d’usufruit, d’usage et d’habitation, puisque tous les trois ont vocation à s’exercer durant une période déterminée. Il importe de considérer, outre le droit français, le droit italien et le droit espagnol, afin d’observer quelles sont les améliorations éventuelles à apporter sur ce point en droit français.
Les Codes civils espagnol et italien adoptent une définition très approchante. Ainsi, en droit espagnol252, « L’usufruitier pourra utiliser pour lui-même la chose en usufruit, la louer à autrui et aliéner son droit d’usufruit, même si c’est à titre gratuit, mais tous les contrats conclus par cet usufruitier se résoudront à la fin de l’usufruit, à l’exception de la location de l’immeuble rural lequel sera considéré comme survivant durant l’année agricole ». Le droit italien253, quant à lui, énonce que « L’usufruit est établi par la loi ou par la volonté de l’homme. Il peut également s’acquérir par usucapion ». De plus, la durée de l’usufruit ne peut excéder la vie de l’usufruitier, l’article 980 du Code civil italien énonce que : « L’usufruitier peut céder son droit pour un certain temps ou pour toute sa durée, si cela n’est pas interdit par l’acte constitutif. La cession doit être notifiée au propriétaire ; tant qu’elle n’est pas notifiée, l’usufruitier est solidairement obligé avec le cessionnaire envers le propriétaire ». Par conséquent, « L’usufruitier peut seulement céder son ius utendi et fruendi avec le devoir de notifier la cession au propriétaire ». Le droit italien adopte une approche identique à celle du droit français en matière d’usufruit jusqu’à définir de manière similaire le contenu du droit d’usufruit. Le droit français prévoit que « L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance». Ce droit correspondrait sur plusieurs points aux droits de jouissance à temps partagé
la réalité unitaire des droits de jouissance à temps partagé
En outre, il convient de remarquer que l’usufruitier n’est, en aucune manière, propriétaire du bien sur lequel il exerce son droit. En matière de droits de jouissance à temps partagé, Monsieur CASELLI262 relève, en droit italien, que le « multipropriétaire a la jouissance et le droit de disposition du bien ». Cette conception est appliquée uniquement dans la multiproprietà immobiliare. De plus, en présence du droit d’usufruit, Monsieur CASELLI relève que le droit de propriété est limité lorsque l’usufruit n’appartient pas au propriétaire mais à une personne tierce usufruitière. Transposé au mécanisme des droits de jouissance à temps partagé, le propriétaire représenté par la société verrait son droit de propriété restreint par l’usufruit de la personne tierce que serait l’acquéreur de droits de jouissance à temps partagé. Or, ce dernier a la qualité d’associé. Il est, par conséquent, impossible de l’assimiler à une simple tierce personne usufruitière, puisqu’il détient une partie du capital social. A ce titre, il dispose d’une fonction particulière au sein de la société. Par conséquent, il est en droit d’exiger plus qu’un usufruitier. Par ailleurs, en droit espagnol, plus précisément, l’article 15 de la loi 42/98263 ne mentionne pas aussi expressément que le droit italien, le lien impératif entre le droit de propriété et l’usufruit dans un système de jouissance à temps partagé : « Le titulaire d’un droit d’utilisation à temps partagé peut librement disposer de son droit sans plus de limites que celles résultant des lois et sans que sa transmission affecte les obligations dérivées du régime ». L’article 3 de la loi espagnole 42/98 précise en outre que, « La durée du droit d’utilisation à temps partagé peut varier de 3 à 50 ans ». Le titulaire de droits de jouissance à temps partagé a l’obligation de conserver la chose et sa destination. La même exigence se retrouve à l’égard de l’usufruitier. Le droit espagnol prévoit que : « l’usufruitier dispose de la faculté essentielle comprenant la possession et ses bénéfices, qu’il peut exercer pour lui-même ou pour autrui. Mais l’usufruitier ne peut pas altérer la forme ou la substance, c’est-à-dire, qu’il ne peut modifier la chose, ni la détruire, ni la consommer »264. Ce dernier point tend vers un rapprochement des droits de jouissance à temps partagé. Mais l’annihilation des prérogatives de propriétaire du 262 CASELLI G., La multiproprietà-La direttiva comunitaria 94/47 del 26 ottobre 1994, Dottrina Giurisprudenza Proposte di legge in Italia, terza edizione, Guiffrè Editore, p : 47. 263 MARÍN LOPEZ M. J., « Le nouveau régime juridique de la multipropriété en droit espagnol », R.E.D.C., 1999, pp : 101 à 116 : Ley 42/1998, de 15 de diciembre, sobre derechos de aprovechamiento por turno de bienes inmuebles de uso turistico y normas tributarias (Loi concernant les droits de jouissance à tour de rôle de biens immobiliers à usage touristique et les normes fiscales), publiée au Boletín Oficial del Estado, n° 300, du 16 décembre 1998.
La « propriété temporaire », essai d’analyse des droits de jouissance à temps partagé titulaire de droits de jouissance à temps partagé ne permet pas une assimilation de ces deux droits.
Par ailleurs, partant de l’idée que les droits de jouissance à temps partagé auraient une nature réelle, il convient d’évoquer, ici, le rattachement éventuel à l’emphythéose ou bail emphythéotique. Certes, cette qualification serait susceptible de s’appliquer aux droits de jouissance à temps partagé en raison de leur structure singulière. En effet, la durée de ce bail se situe entre dix-huit et quatre-vingt dix neuf ans265, les droits de l’emphytéote sont cessibles et ce dernier dispose de prérogatives plus étendues que celles d’un simple locataire. Ces éléments tendraient vers un rapprochement de la qualification de bail emphythéotique vers les droits de jouissance à temps partagé. Néanmoins, quelques divergences ne permettent pas une telle assimilation. Il peut modifier le bien ou bien encore son affectation. De plus, le régime du bail emphytéotique est énoncé dans le Code rural, bien qu’il soit permis de l’appliquer en matière urbaine. Enfin, la multiplicité de titulaires sur un même bien, dans le domaine des droits de jouissance à temps partagé, suppose une restriction des prérogatives du droit de propriété, notamment en ce qui concerne l’abusus. En effet, le titulaire de droits de jouissance à temps partagé ne peut disposer de la faculté de détruire la chose, puisque l’essentiel est de conserver la chose pour que les autres acquéreurs puissent l’utiliser à leur tour. En revanche, l’obligation de publicité foncière inhérente à l’emphythéose, comme à tout droit réel, constitue une garantie juridique conséquente à l’égard de l’emphythéote qu’il serait nécessaire d’envisager dans le domaine des droits de jouissance à temps partagé.
En conclusion, malgré certains critères de rattachement entre le droit d’usufruit et le droit de jouissance à temps partagé, la transmission et la cession de ces droits constituent un point d’achoppement, de même que le caractère viager du droit d’usufruit, écartant toute possibilité de rapprochement des qualifications juridiques de ces deux catégories de droit. L’usufruit est conçu pour une durée déterminée, comme les droits de jouissance à temps partagé. Mais, le régime de l’usufruit permet-il de désigner une multiplicité d’usufruitiers sur un même bien ? Il semble que la négative s’impose. Par conséquent, si présentés sommairement, l’usufruit et les droits de jouissance à temps partagé semblent présenter des similitudes.
Deuxième partie : la réalité unitaire des droits de jouissance à temps partagé l’examen des caractéristiques de chacun conduit à écarter toute tentative de fusion.
Cette conclusion s’impose en raison de la qualité d’associé de l’acquéreur de droits de jouissance à temps partagé. Il possède, en théorie, des prérogatives lui permettant d’intervenir dans le fonctionnement de la société. Par conséquent, il s’agit d’un sujet actif, alors que l’usufruitier est passif, puisqu’il est contraint de suivre la volonté du nupropriétaire. Il convient de nuancer quelque peu ces propos si l’on se fonde sur le rôle du nu-propriétaire dans le cadre de l’usufruit et de la société de promotion dans le cadre des droits de jouissance à temps partagé. Tous deux sont présentés, actuellement, comme les véritables propriétaires du bien. Par un syllogisme, si l’usufruitier est passif en raison du rôle contraignant du nu-propriétaire, il en est de même dans le cadre des droits de jouissance à temps partagé. Par conséquent, le titulaire de droits de jouissance à temps partagé a une double fonction. Il est, en théorie actif, en raison des prérogatives dont tout associé dispose, mais cela ne se vérifie pas dans la pratique.
Ainsi, le rôle passif du titulaire de droits de jouissance à temps partagé est davantage mis en exergue et se rapproche du rôle de l’usufruitier. Toutefois, ceci constitue un constat actuel des fonctions de ces deux acteurs. A l’avenir, il conviendrait de donner aux titulaires de droits de jouissance à temps partagé les moyens d’exécuter les prérogatives théoriques dont il dispose ; c’est la raison pour laquelle, si un rapprochement entre usufruitier et titulaire de droits de jouissance à temps partagé semble se dessiner, ces deux qualifications se distingueraient par leurs prérogatives théoriques respectives. L’usufruit et les droits de jouissance à temps partagé ne semblent pas irrémédiablement distincts. Un rapprochement serait envisageable en théorie, mais la dynamique des différents protagonistes semblent constituer, actuellement, un facteur de séparation.