LES DOSSIERS NOIRS DU NUCLÉAIRE FRANÇAIS

L’aléa sismique

Pour comprendre où en sont nos centrales et autres bâtiments nucléaires en ce qui concerne l’aléa sismique, commençons par un rappel un peu circonstancié. La construction des centrales a été définie en fonction d’un cadre réglementaire censé prendre en compte les aléas sismo-tectoniques de la région d’implantation. Cela n’a pas empêché, une fois l’installation terminée, une amélioration de la connaissance des aléas. Les études ainsi poursuivies par EDF comme par l’IPSN 1 (le bras technique de l’Autorité de sûreté) ont abouti, en 2001, à l’élaboration de ce qu’on appelle la Règle fondamentale de sûreté (RFS 2001-01) 2.
Comment avait-elle été élaborée ? Grâce à une méthodologie dite « déterministe », dont le point de départ est la détermination de ce que l’on appelle le « Séisme maximal historiquement vraisemblable » (SMHV) survenu dans la région. Dit plus simplement, on a recherché les traces historiques d’événements de ce type et on a calculé à partir de là les effets possibles sur l’installation, en tenant compte de multiples paramètres : distance par rapport à l’épicentre (et donc amortissement de la secousse), profondeur, énergie libérée… Une fois cette délicate cuisine effectuée, on a cherché à prendre des précautions supplémentaires en définissant le « Séisme majoré de sécurité » (SMS), calculé en augmentant l’intensité du précédent d’une unité sur l’échelle d’intensité (voir encadré) 3. Il faut noter que la Règle fondamentale de sécurité de 2001 tenait compte de l’avancée des connaissances en matière de risques sismiques, en particulier en ce qui concerne les « effets de site ». On sait aujourd’hui que, selon la nature du sol, un séisme peut donner lieu à de dangereuses amplifications sur le terrain comme à Mexico en 1985 ou à Kobé en 1995.
C’est donc sur cette base, formulée en 2001, que les centrales auraient dû être construites. Las, c’était trop tard. Comme elles étaient déjà installées, seules des mesures palliatives pouvaient être mises en œuvre… et encore. Lorsque, en 2003, l’IRSN publia son état des lieux sur la question épineuse de la résistance des diverses installations à une agression sismique, il se heurta à une opposition farouche d’EDF, en particulier pour le site du Blayais. Le désaccord fut tranché par l’Autorité de sûreté nucléaire… qui donna raison à EDF.
Les choses sont donc assez compliquées, mais pas assez, car tous les sites ne sont pas pour l’instant logés à la même enseigne. S’ils sont tous assujettis à la première Règle fondamentale datant de 1981, ils ne s’adaptent que progressivement à la plus récente. Cette dernière n’est en effet mise en œuvre qu’à compter des visites décennales effectuées sur les réacteurs : ainsi, ce sont les sites du Tricastin, de Fessenheim et du Bugey qui ont inauguré la « mise à niveau ». Elle se poursuivra jusqu’en 2020, voire 2025 si le calendrier n’est pas changé. Rappelons qu’à Fukushima l’opérateur TEPCO avait choisi de différer la mise à niveau de l’aléa sismique, avec les résultats que l’on connaît.
A ce propos, notons que l’IRSN a analysé les Evaluations complémentaires de sûreté imposées à EDF par le gouvernement français et mises en place par l’Autorité de sûreté. Au sujet de l’aléa sismique (et d’inondation, qui est lié), l’IRSN émet des réserves sérieuses et « considère que les réponses apportées par EDF ne sont pas satisfaisantes 4. Les Evaluations complémentaires visent précisément à estimer les conséquences qu’aurait une agression externe de type séisme (et inondation) dont les caractéristiques dépasseraient celles retenues jusqu’à présent. Qu’est-ce qui a été négligé par EDF, et que devrait faire l’opérateur ? « Inventorier l’ensemble des failles qui sont susceptibles de produire des séismes de plus forte magnitude que ceux actuellement pris en compte en application de la RFS 2001-01 », estime l’IRSN… en attendant que cette Règle fondamentale de sûreté change à son tour. Il est probable, en effet, qu’elle sera modifiée suite à Fukushima et intégrera toutes les études sismiques réalisées entre 2001 et 2011.

Qu’est-ce qu’un séisme majoré de sécurité ?

Le SMS ou « Séisme majoré de sécurité » est obtenu en prenant le « Séisme maximal historiquement vraisemblable » ou SMHV produisant la plus grande intensité sur le site et en le majorant d’un degré sur l’échelle d’intensité, ou d’un demi-point en magnitude.
Magnitude SMS = Magnitude SMHV + 0,5 (échelle de Richter)
Intensité sismique SMS = Intensité sismique SMVH +1 (échelle d’intensité MSK)
Pour plus d’informations, lire la décision approuvant la RFS 2001-01 et le dossier
Pour plus d’informations, lire la décision approuvant la RFS 2001-01 et le dossier de la revue Contrôle n° 142 sur la protection des installations nucléaires contre les risques externes.

L’aléa inondation

A Fukushima, les dégâts occasionnés par le tremblement de terre ont été amplifiés par le tsunami qui a suivi. D’où la destruction de nombreux équipements, de multiples autres se retrouvant noyés parce que malencontreusement situés en sous-sol, en zone inondable. Outre que les digues n’avaient pas été prévues pour la hauteur de la vague en dépit des demandes répétées de l’autorité de sûreté japonaise, de graves erreurs de conception avaient fait installer les diesels de secours en sous-sol, donc en position inondable.
La réflexion post-Fukushima a conduit à analyser les risques d’inondation des sites français. Il est vrai que le risque d’un tsunami de type japonais semble limité sur nos sites de bord de mer, mais il ne faut jurer de rien. Des voix se sont élevées pour pointer les dangers : à l’EPR de Flamanville (en cours de construction), il serait plus judicieux de placer les diesels de secours en hauteur plutôt qu’en contrebas, sur la plateforme « au bord de l’eau ». De même, les protections des matériels en sous-sol sont à revoir. Mais remarquons tout de même que nous avons déjà eu notre « grande frayeur » de l’eau dévastatrice : au Blayais pendant l’hiver du passage à l’an 2000. Nous savons désormais qu’elle peut mettre hors service stations de pompage et installations électriques, et que cela risquerait de conduire à une perte simultanée de l’électricité et de l’eau de refroidissement.
Avec l’eau des fleuves ou des canaux, il n’y a pas moins de danger. Que ce soit à cause d’un séisme, ou parce qu’il y aurait des brèches dans les digues, ou parce qu’un barrage serait rompu, le site de Fessenheim sur le Grand Canal d’Alsace (lire ci-après) et les sites de la basse vallée du Rhône sont à la merci d’une inondation destructrice.
Conjugués, les deux aléas sont effectivement redoutables.

Fessenheim : un cas emblématique

Fessenheim est la doyenne des centrales françaises, avec ses deux réacteurs de 900 MWe, qui ont démarré en 1977. C’est aussi celle vers laquelle tous les regards ont immédiatement convergé après la catastrophe de Fukushima.
Cette centrale à 15 km de Mulhouse, 20 km de Colmar, 40 km de Bâle et 100 km de Strasbourg serait-elle capable de résister à un fort séisme suivi d’une possible lame d’eau venue du Grand Canal d’Alsace ? Son alimentation électrique ainsi que celle en eau risqueraient d’être totalement coupées, entraînant un accident grave, c’est-à-dire la fonte du cœur des réacteurs, le déversement de corium dans le bâtiment réacteur et, par attaque du soubassement ou radier, le risque que le béton soit traversé et la nappe phréatique, plus grande réserve d’eau potable d’Europe, contaminée.
Sans oublier les rejets radioactifs dans l’air, non loin de zones très peuplées. C’est ce genre de scénario fatal qui a poussé les collectivités locales à réagir juste après les débuts de la catastrophe japonaise. Allant jusqu’à réclamer, ce qui ne s’était jamais vu, la fermeture de la centrale, comme l’a fait le 11 avril 2011 le conseil municipal de Strasbourg, à l’unanimité moins une voix.
On les comprend. Même si l’Autorité de sûreté nucléaire a donné des avis favorables à la poursuite de l’exploitation des réacteurs, deux prescriptions majeures ont été faites qui sont très révélatrices des préoccupations des autorités :
— Il y avait obligation pour EDF de renforcer, avant fin 2012, les systèmes de secours au cas où il ne serait plus possible de refroidir le cœur du réacteur.
— Tout aussi important : avant fin juin 2013, l’exploitant devait réaliser un radier plus épais que l’actuel, donc jouant plus efficacement son rôle de barrière en cas d’accident, et évitant la contamination vers les sol et sous-sol.
Impossible de nier aujourd’hui les incertitudes qui pèsent sur la capacité de résistance de la centrale. Incertitudes qui ont fini, à l’aune de Fukushima, par se muer en véritables craintes. Les Rapports d’évaluations complémentaires de la sûreté (ECS) des installations nucléaires au regard de la catastrophe de Fukushima remis à l’automne 2011 par les exploitants de sites nucléaires (EDF, Areva, CEA…) à l’ASN montrent la hauteur de l’interrogation dans ce cas précis.

Le problème du séisme

La centrale est-elle capable de résister à un puissant séisme dans la région ? Cela reste à prouver…
Voilà des années que la question est posée. Depuis les années 1970 et la construction des deux réacteurs, de nouvelles études ont en effet été menées concernant les zones où un tremblement de terre pourrait avoir lieu dans la région et avec quelle magnitude – en fait, le séisme pourrait être dix fois plus puissant qu’envisagé et son épicentre bien plus proche de la centrale. Elles mettent en exergue la nécessité de vérifications, voire de profondes modifications qui devraient être apportées – dont certaines seraient impossibles ou à tout le moins fort difficiles à mettre en œuvre. Ainsi, nous doutons depuis longtemps de la tenue face à un séisme du « tube de transfert » entre le bâtiment réacteur et le bâtiment combustible (l’IRSN pose la même question dans son analyse des rapports EDF). Cet équipement crucial est un tunnel de liaison immergé par lequel transitent les éléments de combustible (donc radioactifs) entre la piscine située dans le bâtiment du réacteur et la piscine de désactivation (lire encadré), située dans le bâtiment combustible. Si ce tube était endommagé, cela pourrait entraîner une vidange catastrophique des piscines. De surcroît, comme signalé par l’IRSN 5, ce tube de transfert n’a jamais été inspecté depuis le démarrage des tranches nucléaires. Son état réel (corrosion, déformation) est inconnu. A Fessenheim, un autre équipement pose problème : ce qu’on appelle la « bâche PTR » (il s’agit d’un réservoir permettant le traitement et le refroidissement de l’eau des piscines), qui serait moins résistante que prévu. Dans le cadre du programme de renforcement, le réservoir a déjà été « renforcé par un ceinturage de bandes de tissu composite à base de fibres de carbone dans une matrice époxydique (procédé TFC) qui s’avère toutefois insuffisant pour conférer à la bâche une robustesse comparable à celle des autres bâches PTR » (celles des autres réacteurs). Il faut se rappeler qu’en cas d’accident ce réservoir jouerait un rôle-clé dans le refroidissement du réacteur, car il doit servir à réalimenter les générateurs de vapeur, comme cela s’est passé lors de l’incident du Blayais en 1999.
Autre inquiétude, celle de la possible vidange totale de la piscine de désactivation. Elle pourrait être provoquée suite à un séisme par l’ébranlement et l’effondrement d’une partie des structures soutenant cette piscine. Or, l’IRSN 6 n’est pas en mesure d’apprécier à ce jour la robustesse des installations actuelles. On a dû renforcer « extérieurement le voile sud de la tranche 1 et le voile nord de la tranche 2 pour assurer la stabilité du bâtiment en cas de séisme… ».
Dans tous les cas, une vidange de piscine est à éviter impérativement. Au mieux, c’est un incident grave, mais cela peut enclencher une catastrophe.

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