Les grandes lignes du système statistique d’information français
On retrouve, dans les règles qui président à l’appréhension de la création d’entreprise, l’application de celles qui régentent ce qu’il est convenu d’appeler les « statistiques d’entreprises » au sein de l’INSEE. L’entreprise y est définie comme une unité institutionnelle d’un type particulier, dans la mesure où elle est dotée d’une autonomie juridique ou réelle, et relève d’une forme cataloguée du droit. Elle doit appartenir en outre au secteur dit « marchand », avec au moins la moitié de ses recettes provenant de la vente du produit de son activité (les unités institutionnelles n’appartenant pas au secteur marchand sont appelées « organismes ») . La reconnaissance statistique de cet univers prend appui sur ses caractéristiques juridiques et plus précisément d’état-civil (des personnes pour les entrepreneurs individuels, des sociétés pour les autres modalités), et s’opère par le biais du répertoire SIRENE, qui recense un peu plus de deux millions d’unités (chiffre qui peut varier selon les champs retenus). Il convient de noter que le champ couvert par le répertoire est celui des « ICS », c’est-à- dire celui des activités économiques marchandes de l’industrie, de la construction, du commerce et des services (en y comprenant les professions libérales), à l’exclusion de l’agriculture, de la sylviculture, de la pêche et des activités financières (banques, assurance, etc.).
C’est ce système dans son ensemble qui va permettre d’enregistrer, chaque année, avec rapidité et une relative fiabilité (ce qui n’est pas le cas pour les disparitions d’entreprises), les nouvelles immatriculations, qui sont décomposées en trois catégories : les créations d’entreprises ex nihilo, les réactivations et les reprises d’entreprises (cf. encadré 4). A celui- ci s’ajoute un autre dispositif, appelé SINE (Système d’Information sur les Nouvelles Entreprises), qui a pour objectif de suivre une Verstraete Thierry, Saporta Bertrand, Création d’entreprise et entrepreneuriat, Editions de l’ADREG, janvier 2006 (http://www.adreg.net).
génération d’entreprises pendant cinq ans, une génération correspondant aux entreprises nées la même année. Ce principe, initié en 1987, a permis de connaître de façon fiable la durée de vie des nouvelles entreprises françaises, et d’étayer l’assertion, souvent reprise depuis, qu’une entreprise nouvelle sur deux disparaît (et non échoue, comme nous le verrons plus en détail par la suite) au bout de cinq ans. Le dispositif s’est ensuite affiné pour donner lieu, à partir de l’année 1994, à des panels régulièrement effectués tous les quatre ans, sur des échantillons tirés du répertoire SIRENE représentant environ 30% de la population totale, et interrogés trois fois par enquête postale : quelques mois après la création, la troisième année d’existence, et cinq ans après la naissance. Cette technique permet de suivre de manière précise le devenir des unités statistiques sondées (et en particulier leur pérennité), mais aussi de procéder à des analyses de type associatif ou prédictif, sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir.
Les définitions de la création d’entreprise retenues par l’APCE
Les statistiques de la création d’entreprise en France décomposent cet univers en trois catégories, les créations ex nihilo, les réactivations et les reprises. Elles ne prennent pas en compte la création d’établissements, ceux-ci étant privés d’autonomie juridique.
Les créations d’entreprises « pures » ou « ex nihilo » correspondent à la création d’une unité économique jusqu’alors inexistante et par ailleurs autonome juridiquement. En moyenne chaque année, un peu plus de 60% des créations au sens large sont des créations ex nihilo.
Les réactivations correspondent à une création nouvelle ou à une reprise, en nom propre, dont le nouveau chef d’entreprise a déjà été dans le passé créateur ou repreneur d’une entreprise individuelle. Il garde en effet le même numéro SIRENE tout au long de sa vie professionnelle, quel que soit le nombre de créations successives en nom propre dont il est l’auteur. Cette modalité de création, représentant environ Verstraete Thierry, Saporta Bertrand, Création d’entreprise et entrepreneuriat, Editions de l’ADREG, janvier 2006 (http://www.adreg.net).
20% du total, est encore mal cernée par l’INSEE, qui cherche à mieux la connaître, notamment au niveau de l’estimation de sa composante saisonnière (présumée importante, comme l’atteste le grand nombre de réactivations dans les régions touristiques du littoral).
Les reprises d’entreprises correspondent à la poursuite d’une entreprise juridiquement autonome par un autre chef d’entreprise, qui en devient le propriétaire et l’exploitant, que ce soit par rachat, donation, héritage, reprise au conjoint ou location-gérance. C’est pour cette catégorie que les procédures de dénombrement de l’INSEE, à vocation essentiellement administrative et juridique, posent le plus de problèmes pour en appréhender la réalité économique. En effet, les reprises par rachats d’actions ou de parts sociales, ne générant pas de passage obligatoire par le Centre de Formalités des Entreprises, ne sont pas identifiées (de même que les reprises par rachat de clientèle, comme c’est fréquemment le cas pour les professions libérales médicales ou juridiques). Or ce type de reprise concerne le plus souvent des opérations de taille conséquente, qui échappent pour la plupart au dénombrement statistique. En revanche, les transformations d’entreprises individuelles en sociétés, sans qu’il y ait eu changement de propriétaire, sont comptabilisées en reprises (l’INSEE, consciente du problème, ne prend pas en compte cette modalité pour la constitution de ses panels SINE). Dans l’ensemble, on peut conclure que les évaluations fournies par l’INSEE sont systématiquement sous-estimées, au détriment des opérations les plus importantes. Mais elles reflètent assez bien celles de la vie de tous les jours, qui sont le fait de particuliers, et alimentant les colonnes des journaux d’« annonces » spécialisés (rachats de bars, restaurants, hôtels, boulangeries, etc)…
Comment utiliser ces catégories, et quels choix effectuer entre elles pour étayer une observation ou une analyse ? Ici, comme souvent, le bon sens servira de guide à l’utilisateur. Le total des trois catégories, que l’on dénommera « créations au sens large », doit être retenu pour une appréhension globale du phénomène, notamment au niveau de l’emploi généré ou sauvegardé qu’il aura permis. Sans l’intervention d’un créateur (au sens strict), d’un « réactiveur », d’un repreneur, aucune des unités économiques concernées n’aurait vu le jour ou ne se serait maintenue en vie. Si l’on souhaite par ailleurs comparer les degrés de dynamisme de différentes zones géographiques, il n’est pas déraisonnable d’utiliser au numérateur ce total, qui représente en gros la somme d’initiatives individuelles de caractère Verstraete Thierry, Saporta Bertrand, Création d’entreprise et entrepreneuriat, Editions de l’ADREG, janvier 2006 (http://www.adreg.net).
entrepreneurial » ayant eu lieu une année sur un territoire donné. Si par contre on se penche sur le devenir et notamment la durée de vie des unités étudiées, il sera prudent d’exclure les réactivations, qui posent trop de problèmes d’interprétation à un niveau longitudinal d’analyse (alors qu’il est pertinent de comparer les taux de pérennité des créations pures et des reprises, ces dernières ayant systématiquement une durée de vie plus longue que les premières). Enfin, les créations pures seront étudiées à part si l’observateur (aux côtés de qui nous nous rangerons dans la plus grande partie de cet ouvrage) veut se concentrer sur la manifestation la plus spectaculaire du phénomène : le choix par un certain nombre de personnes (ou d’équipes), pour des raisons extrêmement diverses, de renoncer à un emploi salarié, et de se lancer dans une activité indépendante nouvelle sur le marché, avec les espoirs, mais aussi les risques que cela comporte.
Remarque : Dans le cadre d’un travail théorique, l’observateur, alors chercheur, éclaire les situations à la lumière du modèle théorique qu’il mobilise et la création d’entreprise est, dans un tel cadre, délimitée par ce modèle.
1993-2002 : dix années de stabilité et de tassement relatif des chiffres de la création
Sur dix ans, l’évolution de la création d’entreprise en France a été globalement stable, comme le montre le tableau ci-après.
Trois remarques peuvent être formulées au vu de cette évolution chiffrée :
En premier lieu, et contrairement à ce qui est parfois avancé par des observateurs pessimistes de la société française, les chiffres constatés ne représentent pas des quantités négligeables. Bon an Verstraete Thierry, Saporta Bertrand, Création d’entreprise et entrepreneuriat, Editions de l’ADREG, janvier 2006 (http://www.adreg.net).
mal an, environ 270 000 personnes au cours de cette période se sont lancées dans une initiative entrepreneuriale, individuelle ou sociétaire. Ce chiffre peut paraître faible (un peu plus de 1%) par rapport à la population active occupée, estimée aux alentours de 2 500 000 ; mais, comme on le verra un peu plus loin, il a généré chaque année environ 530 000 emplois, chiffre à comparer avec les objectifs en termes d’emplois nouveaux visés par la loi des 35 heures, ou l’instauration du chèque-emploi au profit des petites entreprises de moins de dix salariés. Si l’on se tourne maintenant vers les créations pures, et sachant que le parc d’entreprises françaises est estimé à environ 2 200 000, c’est chaque année entre 7 et 8% de ce parc qui a fait l’objet d’un renouvellement…
La stabilité d’ensemble des créations au sens large masque des inégalités d’évolution selon les catégories. Le déclin structurel du nombre des reprises (amorcé plusieurs années avant 1993) n’a pas encore été aujourd’hui expliqué de manière entièrement convaincante, et il faut attendre pour y voir plus clair le résultat des travaux d’un observatoire de la reprise mis en place au sein de l’INSEE, et dont les premiers essais sur des territoires témoins confirment l’hypothèse d’une sous-estimation considérable de cette catégorie (peut-être de l’ordre de 40 à 50%). Les réactivations, quant à elles, après avoir connu un pic en 1994, ont subi ensuite une baisse tendancielle (de l’ordre de 4% sur l’ensemble de la période), en partie due au fait que les créateurs « bis » créent de plus en plus en société (figurant alors en création pure et non en réactivation). Les créations ex nihilo ont connu un début de période similaire, avec un même sommet en 1994-1995, conséquence probable de l’effet d’incitation provoqué à cette époque par l’ACCRE (subvention aux chômeurs Verstraete Thierry, Saporta Bertrand, Création d’entreprise et entrepreneuriat, Editions de l’ADREG, janvier 2006 (http://www.adreg.net).
créateurs d’entreprises). Elles ont ensuite décliné, pour se rétablir à partir de 1999, et se stabiliser ensuite au voisinage des 180 000 unités.
A l’intérieur de chaque catégorie, on retrouve d’importantes différences d’évolution selon les variables d’étude sélectionnées. Dans le cas des créations ex nihilo, les points suivants peuvent être soulignés : – On a assisté à une augmentation de la proportion des créations sans salarié, qui était déjà importante en 1993 (75,5%), et qui se retrouve à plus de 80% (81,6%) en 2002 ; mais elle s’accompagne d’une augmentation des créations sous forme de sociétés, qui passent de 43,3% 47,9% : résultat conjoint des phénomènes de substitution réactivation-création évoqués plus haut et de l’engouement pour les créations NTIC à partir de 2000 ?
– Au point de vue géographique, un certain rééquilibrage s’est produit, car les régions françaises où les créations ex nihilo ont le plus augmenté sont en majorité celles où la densité de création au départ de la période était faible (Nord-Pas-de-Calais, Lorraine, Limousin, etc). Par contre, cinq régions qui ont connu une évolution défavorable (décroissance du nombre de créations sur les dix ans) avaient également au départ une densité faible, comme le groupe précédent : dans leur cas, le déséquilibre s’est plutôt aggravé. En fin de période toutefois, de très fortes inégalités de répartition du dynamisme entrepreneurial subsistaient sur le territoire, comme nous le verrons par la suite (v. plus loin, figure 2).
. Au niveau des activités, de fortes différenciations sont observées, avec des augmentations importantes dans les secteurs de la construction, de l’immobilier, des services aux entreprises, de l’éducation et de la santé, et un recul spectaculaire des créations industrielles, dans les transports et dans le commerce dans son ensemble.
L’embellie des années 2003 et 2004 : premières tentatives d’interprétation
Davantage que tout commentaire, la lecture des statistiques de la création d’entreprise française montre qu’un changement de régime s’est imposé au cours de la période la plus récente. Le tableau ci-dessous en donne les lignes principales :
Tableau 3. Le nombre de créations d’entreprises françaises en 2003 et 2004 : valeurs absolues et éléments de comparaison avec la période précédente
Comme on peut le constater, la progression du nombre total d’entrepreneurs français a été spectaculaire au cours des deux dernières années : le total cumulé des créations ex nihilo-réactivations-reprises atteint dès 2003 un seuil qui n’avait été franchi qu’en 1994, et dépasse très largement en 2004 les 300 000 unités. En pourcentage, la progression a été d’une année sur l’autre d’environ 9%, chiffre comparer avec le déclin d’un peu plus de 1% entre les deux dates extrêmes des dix années précédentes. Mais c’est surtout le dynamisme des créations stricto sensu qui entraîne l’ensemble, avec une progression d’environ 12% d’une année sur l’autre, à comparer aux seuls 4% d’augmentation obtenus au cours des dix années précédentes. Dès 2003, le seuil symbolique des 200 000 créations pures a été pratiquement atteint, performance qui n’avait jamais été accomplie auparavant, à l’exception de l’année 1989. A ce rythme, 300 000 créations annuelles seraient obtenues en moins de cinq ans…
Si le recul manque pour donner des explications définitives à un phénomène aussi subit qu’inattendu, les premières analyses fournies par l’A.PC.E. permettent du moins d’en proposer quelques premières pistes d’interprétation (APCE 2004, APCE 2005). En effet, la décomposition des chiffres globaux (ceux correspondant à la ligne « total » du tableau précédent) par catégories plus fines autorise à parler d’un double mouvement de rattrapage, à la fois au niveau des activités choisies par les créateurs et des espaces couverts par leurs initiatives.
Au niveau des activités, on constate que trois grands secteurs sont responsables de la plus grande part (environ les deux tiers) de la progression d’ensemble. Il s’agit de la construction, du commerce de détail et des services aux entreprises, générateurs à eux seuls d’un peu plus de 30 000 créations nouvelles (au sens large) au cours des deux années 2003 et 2004. A l’intérieur de ces catégories, des progressions plus élevées que d’autres sont à relever, à rapprocher, pour certaines, du « boom de l’immobilier » constaté au cours de la période : c’est le cas des métiers du second œuvre (électricité, plomberie, peinture, climatisation), qui regroupent la moitié de la hausse au sein de la construction ; il est à noter par ailleurs que les métiers tertiaires de l’immobilier (agences, marchands de biens) ont attiré pendant la même période 3376 nouvelles entreprises, soit une hausse de 35% entre 2002 et 2004.
Sans doute, ces activités avaient connu une certaine progression au cours des années précédentes, mais sans rapport avec celle que l’on vient d’évoquer…Au sein du commerce de détail, ce sont des activités peu à l’honneur dans le passé qui fournissent le plus gros des nouvelles troupes : on citera les commerces non sédentaires sur les marchés, les magasins de détail spécialisés (non alimentaires) et d’habillement, qui comptent pour un peu plus de la moitié des 10 500 nouveaux commerces de détail créés pendant la période, desquels il faut rapprocher plus de 3 000 nouvelles entreprises consacrées aux services aux personnes (esthétique, soins corporels, autres services personnels) ; on peut à cet égard, à la suite des observateurs de l’A.PC.E., parler d’une « revanche des indépendants », ces derniers exploitant à leur profit un certain nombre de retards d’implantations au niveau géographique, comme on va le voir ci-après.
D’une manière générale, on constate en effet que les espaces géographiques qui ont connu les plus fortes évolutions entre 2002 et 2004 sont aussi ceux qui avaient peu progressé ou même décliné pendant les années précédentes, et qui, au vu de la dernière carte disponible des taux de création par rapport au nombre d’habitants (cf. plus loin, figure 2), comprenaient une forte proportion de départements à faibles densités. C’est le cas, en particulier, des huit régions où le taux de croissance des créations au sens large a dépassé les 20% entre 2002 et 2004 : soit, par ordre décroissant au niveau des taux, la Haute- Normandie, l’Alsace, le Poitou-Charentes, le Limousin, le Centre, la Franche-Comté, les Pays de la Loire, le Nord – Pas de Calais. Si on ajoute à la liste la Basse-Normandie, la Bourgogne, la Champagne-Ardennes et la Picardie, quatre autres régions auparavant déficitaires et qui ont connu des taux de croissance honorables (égaux ou supérieurs à 17%), on peut véritablement parler d’un mouvement de rattrapage au niveau géographique : un certain nombre d’espaces comblent peu à peu leurs retards d’implantations, ce qui aura pour effet d’atténuer les disparités constatées au niveau de la carte de France de la création d’entreprise, comme nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque ce sujet sera abordé par la suite.
Outre les arguments qui viennent d’être fournis, peut-on se risquer à proposer d’autres pistes, d’ordre structurel ou législatif, qui pourraient apporter leur contribution à l’explication du phénomène ? La persistance du chômage, dont nous verrons plus loin que sa relation avec le dynamisme entrepreneurial est moins claire qu’on ne le croit, n’a-t-elle pas joué son rôle au cours de la période récente ? Nous pencherions pour l’affirmative, au vu de certains recoupements effectués par les spécialistes de l’A.P.C.E., qui ont constaté au cours de l’année 2003 une hausse de 34% des chômeurs indemnisés dans le cadre des aides publiques de type ACCRE ; à partir de ce constat, et en s’appuyant sur les données du panel SINE de 2002 qui évaluaient le total des chômeurs-créateurs (indemnisés ou non) à environ 90000, on peut estimer ce chiffre à environ 108 000 en 2003, ce qui constitue une augmentation de 20% sur cette seule année ; le mouvement proviendrait à la fois d’une meilleure utilisation des procédures d’aide et de la hausse du chômage pendant la période.
Il convient enfin d’observer que la Loi pour l’Initiative Economique, dont nous avons présenté plus haut les principales dispositions (encadré 3), est intervenue au cours des premiers mois de la période, c’est -à-dire le 1er août 2003 : dispose-t-on d’indices pour avancer l’hypothèse d’une relation de cause à effet entre ce texte, qui avait pour objectif de faciliter l’accès à la création d’entreprise des porteurs les plus modestes, et la forte progression observée au cours des dix-huit mois qui ont suivi ? Plaident en ce sens deux constats effectués par l’A.P.C.E. à la fin de l’année 2003 : en premier lieu, une accélération notable du mouvement de progression en cours d’année, la hausse des créations ex nihilo s’établissant à 7% au cours du premier trimestre, pour passer à 10, puis 13 et 19% au cours des trois trimestres suivants ; en second lieu, une forte progression pendant l’année des créations pures sous la forme de SARL (+ 17%), sans doute encouragée par la disposition de la Loi supprimant l’obligation d’un capital minimum pour une création de ce type.
STRUCTURE ET PROFILS DE LA CREATION D’ENTREPRISE FRANÇAISE
Des choix devant être faits dans la masse des informations disponibles, deux pôles d’investigation seront privilégiés ici : les caractéristiques des entreprises elles-mêmes (3.1) et le profil de leurs créateurs (3.2). Seuls les aspects majeurs, relativement stables dans le temps, seront mis en évidence, en privilégiant les données relatives à l’année 2002, pour laquelle sont à la fois disponibles des résultats détaillés de fin d’année et ceux d’une première vague d’interrogations par questionnaire d’un échantillon représentatif de créateurs (Panel SINE 2002). Des développements spécifiques seront consacrés au thème de la pérennité et de la croissance des entreprises nouvellement créées, préoccupation majeure des analystes du domaine (3.3).
Les deux tableaux se complètent, la faible taille des unités nouvelles étant due en grande partie à la prépondérance du secteur tertiaire dans les activités créées. A peine 1% des créations ex nihilo étaient des PME (dix salariés et plus) dès le départ, et un peu plus de 80% n’avaient pas de salariés au démarrage (pourcentage en augmentation depuis dix ans, comme on l’a vu plus haut). La taille au départ était supérieure dans le cas des reprises, phénomène normal puisqu’elles concernent des firmes qui ont déjà souvent quelques années d’existence. Au niveau des activités, les trois grands secteurs tertiaires (commerce et services aux particuliers et aux entreprises) accaparaient à eux seuls près des deux tiers de la création au sens large. L’industrie, même si on y ajoute les IAA (industries agro – alimentaires, dans lesquelles on retrouve en fait une forte proportion d’activités artisanales : boulangeries-pâtisseries, charcuteries), ne représentait que 7% du total. Dans le cas des créations ex nihilo, les deux activités du secteur secondaire, l’industrie et la construction, ne représentaient que 20% des initiatives, le reste étant partagé par les secteurs d’activités tertiaires. L’importance relative des créations en société (48% des créations ex nihilo, 56% des reprises) n’est pas entièrement contradictoire avec ces constats : les créateurs d’entreprises sont à la recherche d’un moyen de protection de leur patrimoine personnel ou de celui de leur conjoint, quelle que soit la taille au départ de l’initiative. Nous laissons aux spécialistes du droit des affaires le soin de nuancer la portée de cette précaution, en soulignant d’une part l’omniprésence des cautions personnelles dans le cas des emprunts bancaires, ou la menace d’être considéré comme gérant de fait et poursuivi à titre personnel lors d’une création sous forme d’EURL…
Les créateurs
S’agissant de dresser des profils de personnes et non plus d’entreprises, il est préférable d’utiliser les résultats des enquêtes par questionnaires issues des panels SINE (effectuées, rappelons-le tous les quatre ans, à partir de 1994). Un grand nombre d’informations en est tiré, et en nous concentrant sur celles relatives au dernier panel effectué (2002), nous choisirons l’essentiel, laissant au lecteur le soin d’aller plus loin, tout en les actualisant au cours du temps, en consultant les sources statistiques spécialisées.
La place occupée par les femmes dans la création d’entreprise, et plus largement le thème de l’entrepreneuriat féminin, est un sujet important, qui a fait l’objet d’une première synthèse statistique ; on en trouvera ci-après les principaux résultats, qui montrent que les femmes ont à rattraper un certain retard, et le font de manière encourageante (cf. encadré 5). Notons cependant qu’au vu des résultats du panel 2002, elles ne représentaient encore que 26% des créateurs ex nihilo, et 36% des repreneurs…
La répartition par âge des créateurs d’entreprises français n’appelle pas de commentaires particuliers, avec une concentration attendue sur les tranches d’âge médianes (près des deux tiers des créateurs / repreneurs avaient entre 30 et 49 ans en 1998). La création d’entreprises par les jeunes a fait l’objet d’examens séparés7.
Une série de variables viennent confirmer, si besoin en était, la nature modeste de la majorité des projets portés par les créateurs. En création pure, seulement 24% des créateurs interrogés en 2002 ont estimé que la motivation qui les avait poussés à entreprendre résidait dans le développement d’une idée nouvelle de produit ou de marché. Plus de la moitié (55%) des créateurs n’ont pour objectif principal que de créer leur propre emploi, avec pour conséquence probable le déploiement d’activités de type banal, et donc fortement concurrencées… Le montant des capitaux initiaux réunis (entendus ici comme le coût des moyens nécessaires pour démarrer) est également faible : 57% des créateurs ex nihilo ont réuni moins de 8 000 euros, et seulement 16% ont dépassé les 16 000 euros. L’emprunt bancaire est peu sollicité (24% au bénéfice de l’entreprise, 13% en nom propre du dirigeant). Les apports en capital d’organismes de fonds propres ou d’autres sociétés restent marginaux (5% du total). On crée enfin très souvent à son domicile ou à proximité de son domicile, la dimension du projet ne nécessitant pas sans doute un éloignement géographique prononcé, puisque seulement 24% des créateurs (et 14% des repreneurs…) annoncent une clientèle à l’échelon national ou international…
On s’interroge souvent sur la présence des chômeurs au sein de la population des créateurs. Celle-ci était relativement importante (35% des créateurs ex nihilo en 2002, auxquels il faut ajouter 14% n’ayant pas d’activité professionnelle), mais, semble-t-il, une baisse de ce ratio serait amorcée depuis cette date. Comme prévu, les projets entrepris sont alors de plus petite dimension et moins entrepreneuriaux que ceux des actifs ; mais sur un certain nombre de caractéristiques, y compris la performance, les chômeurs se différenciaient moins qu’on aurait pu le croire au départ de la population d’ensemble des créateurs.
Un dernier ensemble de variables vient confirmer la relative inefficacité, souvent mise en avant, du système d’appui aux créateurs. En 2002, 46% des créateurs ont déclaré avoir bénéficié d’un soutien à la mise en place de leur projet ; mais la nature de ce soutien est beaucoup plus familiale qu’institutionnelle (le conjoint est cité par 40% d’entre eux, un autre membre de la famille par 37%, et un organisme de soutien par seulement 19%). La formation, enfin, est peu sollicitée de façon volontaire : 31% des créateurs ex nihilo interrogés en 2002 ont déclaré en avoir suivi une, mais dans 62% des cas celle-ci était obligatoire…
La place des femmes dans la création d’entreprise en France
Sur cent créations d’entreprises, environ trente résultent d’une initiative féminine, et une douzaine se prolongent après cinq années de développement. » C’est sur ce constat que débute le préambule de l’étude que l’APCE a consacré à ce thème dans son rapport annuel de l’année 2000. Il existe en effet un retard indéniable des femmes, puisqu’elles ne représentaient en 1998 que 27% des créateurs d’entreprise ex nihilo (mais 39% des repreneurs, pour aboutir à une moyenne de 30% sur l’ensemble reprises-créations). Quant au taux de pérennité à cinq ans (sur la définition exacte duquel nous reviendrons un peu plus loin), il était, d’après les calculs effectués sur le panel SINE de 1994, de 41% pour les femmes créatrices (création entendue ici au sens large, sans les réactivations), contre 45% pour les hommes, pour une moyenne de 44%…
Ces chiffres une fois déclinés, il convient de les relativiser. Tout d’abord, l’entrée des femmes dans le monde du travail, pour spectaculaire qu’elle soit aujourd’hui, est plus récente qu’on ne le croit généralement. En 1968, dans la plupart des tranches d’âge, les taux d’activité masculins se situaient entre 90 et 95% (et le sont restés depuis), alors que ceux des femmes plafonnaient entre 40 et 45%. Ce n’est que peu à peu que l’écart s’est réduit, pour n’être plus que d’environ 15 points sur les tranches d’âge de 25 à 50 ans en 1999. L’entrée plus tardive des femmes sur le marché du travail explique donc en grande partie un retard dont la majorité des observateurs prédisent la disparition prochaine, tant le potentiel de création d’entreprise par les femmes est jugé prometteur. Un signal dans cette direction est apporté par un trait distinctif des femmes créatrices, qui étaient en 1998 plus portées par des motivations de type opportunité à saisir » ou « création de leur emploi » que leurs collègues masculins, qui pour leur part attachaient plus de poids à la motivation dominante « recherche d’indépendance/ goût d’entreprendre » (56% pour les hommes, 50% pour les femmes). En ce sens, leur démarche peut sembler plus créatrice que celle des hommes. On peut remarquer, en outre, que la différence de quatre points du taux de pérennité à cinq ans est somme toute assez minime, surtout lorsque l’on sait que les femmes créent majoritairement dans des activités destinées à la personne, et beaucoup moins aux entreprises, donc en principe plus fragiles : les trois secteurs en 1998 où elles dépassaient un taux de participation de 40% (c’est-à-dire de plus de dix points au dessus de leur taux de 30% pour l’ensemble de la création) étaient, dans l’ordre, les services à la personne (70%), la santé et l’action sociale (60%) et le commerce de détail (42%).
D’une manière générale, les premières esquisses de typologies qui ont été tentées à partir du profil des femmes créatrices ne montrent pas de différences sensibles avec ceux des créateurs hommes. Certes, les projets sont dans l’ensemble plus modestes, moins « accompagnés », entrepris plus tard que la moyenne des hommes. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faille retenir le schéma commode d’une création plus subie que voulue, produit d’une situation d’inactivité, de séparation ou de veuvage. Les femmes créatrices d’entreprises s’inscrivent tout autant que les hommes dans une démarche économique, dont les détails nécessitent pour être mieux connus des efforts supplémentaires, notamment de la part de la recherche académique.
Source : Agence Pour la Création d’Entreprise : « Les femmes et la création d’entreprise », Collection Focus, 31 pages
Pérennité et croissance des entreprises créées
On aborde ici, sous un angle statistique et en se limitant au cadre français, un thème majeur, celui de la performance en création d’entreprise, qui sera approfondi dans la suite de cet ouvrage.
Quelle est la durée de vie des entreprises nouvellement créées ? A cette question, maintes fois posée, l’exploitation du premier panel de 1987 avait apporté des premiers éléments de réponse. Hors réactivations, le taux de survie (qu’on appelle aujourd’hui taux de pérennité) à cinq ans était de 49% pour l’ensemble créations/reprises, se décomposant en 46% pour les créations pures et 57% pour les reprises. Depuis, les panels ultérieurs ont apporté des estimations plus récentes, mais aussi plus fiables mesure qu’ont été éliminées du tirage au sort des unités statistiques à signification contestable (holdings, sociétés civiles immobilières à existence purement juridique, etc), d’où la recommandation par les spécialistes de ne pas comparer dans le temps les taux successifs obtenus. Nous avons vu plus haut que l’exploitation du panel de 1994 avait donné un taux de pérennité à cinq ans de 44% pour l’ensemble créations/reprises, avec un différentiel de quatre points en faveur des créations masculines. Des résultats plus récents sont à trois ans, à partir du panel de 1998, et donnent, pour les créations pures, des taux de pérennité de 84% à un an, de 73% à deux ans, et de 62% à l’expiration de la troisième année. Les taux de pérennité à trois ans des reprises sont comme prévu nettement plus élevés (76% pour les hommes, 68% pour les femmes, par ailleurs sur -représentées au sein des reprises). Le rapprochement entre ces taux et un certain nombre de variables concernant les créateurs ou leurs projets autorisent la mise en évidence de facteurs prédictifs de la pérennité en création d’entreprise, thème abordé plus en détail au cours du chapitre trois de l’ouvrage. Certaines précautions d’ordre méthodologique sont cependant de rigueur en effectuant ces travaux. Citons à titre principal : Le rappel de la signification exacte du taux de pérennité (ancien taux de survie, par opposition au taux de continuité). Il est relatif au chef d’entreprise exerçant toujours son activité dans l’entreprise qu’il a créée ou reprise ; il en résulte que si l’entreprise récemment créée est revendue ou cédée au cours de la période couverte par le panel, cela sera considéré comme une cessation d’activité, alors que l’entreprise elle-même est encore en vie (et prise en compte pour le calcul des taux de continuité).
Le constat qu’un taux de pérennité ne représente qu’une moyenne de moyennes. Si l’on prend les différents secteurs d’activité, on observe par exemple des taux de pérennité à trois ans de l’ordre de 75% dans l’éducation et la santé, secteur à l’intérieur duquel on trouvera des taux encore supérieurs dans certaines professions réglementées (établissements privés pour personnes âgées, cliniques vétérinaires, etc). Ils ne sont plus que de 56% en moyenne pour le secteur du commerce dans son ensemble, à l’intérieur duquel également certaines activités fines (commerces de détail d’alimentation générale ou d’habillement) n’obtiennent que des performances bien inférieures.
Le fait qu’il convient de ne pas confondre pérennité avec réussite, cessation d’activité avec échec. Il y a un grand nombre de créateurs d’entreprises qui décident d’arrêter l’expérience de manière tout à fait volontaire, en raison souvent d’un changement de statut (retour au salariat, position d’attente avant création d’une nouvelle activité, etc), ce qui interdit dans ce cas d’assimiler la cessation d’activité à une quelconque défaillance. En sens inverse, une nouvelle entreprise (et son créateur) qui a survécu n’a pas forcément fait ses preuves, si par exemple elle est maintenue artificiellement en vie grâce aux ressources personnelles ou familiales de son promoteur…En fait, l’interprétation des taux de pérennité doit être effectuée avec beaucoup de précautions, d’autant plus qu’avec le temps sont mises à notre disposition de nouvelles informations qui nous incitent à toujours plus de prudence dans ce domaine. C’est le cas d’une étude récente, dont nous donnons les principaux résultats ci-après (encadré 6).