Être catégorisé
Dans le langage courant, les personnes disent assez souvent « être catalogué » pour signifier le fait « d’être catégorisé » et classer. Le dictionnaire de la langue française définit ainsi cette notion : classer en le jugeant quelqu’un ou quelque chose de manière définitive. Nous retrouvons les ingrédients d’une catégorisation (classer), à partir d’un jugement (le plus souvent négatif). Ce sentiment de négativité ou de dévalorisation est renforcé par le fait que catégoriser ou cataloguer s’applique aussi une chose. À travers ce ressenti et la manière de l’exprimer, s’exprime une « naturalisation » des catégories, au sens d’une substantivation (le pauvre, le jeune, etc.), cristallisant des représentations explicites et implicites.
Les catégories construites socialement sont déterminantes dans le sens où c’est à partir d’elles que vont être construits nos rapports au monde et nos identités. D’une part, ces catégories apparaissent fréquemment comme des entités perçues comme « naturelles », qui ne peuvent être interrogées ; d’autre part, nombre d’acteurs dans la société vont se reconnaître dans les catégories issues de ces processus d’attribution d’identités sociales et vont les utiliser pour rendre compte d’eux-mêmes et/ou de leur situation.
Les exemples que nous avons collectés concernent les effets d’une catégorisation négative, vue, en général, sous l’angle d’un vécu d’une assignation identitaire qui contraindrait les personnes à se défendre soit pour échapper à un destin social, ou, tout au moins, se démarquer d’un mode de vie, soit réagir à une réduction de soi.
L’éducation et la formation
Au cours d’une enquête réalisée auprès d’enseignants sur l’échec de l’apprentissage de la lecture en cours préparatoire, et sur plus de 18000 jugements, aucun ne portait sur une mise en cause de l’institution, mais les enfants étaient jugés. En fait, tout se passe comme si le maître avait tendance à chercher parmi les élèves de sa classe, ceux qui font preuve d’intelligence logico–mathématique, modèle d’apprentissage privilégié par l’école. Être en conformité avec de modèle légitime la fonction du maître et de l’institution scolaire. Les chercheurs ont montré qu’il existe un effet dit « Pygmalion , parfois nommé « effet Rosenthal » ou « prophétie auto-réalisante », qui consiste à effectuer des hypothèses sur le devenir scolaire d’un élève et de les voir effectivement se réaliser. Ce dont nous sommes persuadés guide nos choix, nos actes, nos réactions exerçant un impact sur notre entourage, lequel adopte le comportement que notre propre comportement lui inspire.
La rencontre malade/psychiatre : une étape du processus d’étiquetage
La rencontre malade/psychiatre ne se réduit pas à une rencontre circonscrite dans un espace-temps unique, qui serait celui d’un colloque singulier malade/psychiatre, mais se déroule entre un malade et un système de soins psychiatriques dont le psychiatre n’est qu’un des acteurs.
Elle se définit comme un espace-temps de rencontres dans un parcours institutionnel : rencontres multiples de la personne avec les différentes sphères du système de soins et de ses acteurs, les personnels de santé et/ou d’autres patients et rencontres de l’entourage du malade avec ce système de soins et de ses acteurs. L’interaction malade/psychiatre se déroulant dans un cadre institutionnel préconstruit détermine la pratique du diagnostic, l’ensemble produisant la figure sociale du « patient ». On peut parler d’une construction collective et interactive d’une catégorie « malade ». Nous identifions une étape dans le processus de l’étiquetage, celle que le médecin appelle détermination d’un diagnostic. Phase inaugurale, le diagnostic, qui est nécessaire pour légitimer l’entrée dans le système, enclenche une activité d’étiquetage qui peut se dérouler dans des moments multiples, fractionnés. En effet, le diagnostic est de façon directe l’objet d’une discussion entre médecins autorisés, notamment dans l’ajustement des traitements, mais indirectement le diagnostic se vulgarise dans la confrontation aux données apportées par d’autres professionnels soignants et par l’entourage du patient.
L’étiquetage
Lorsque les processus de désignation ont pour « objet » des sujets humains, nous nous trouvons en présence de processus d’étiquetage.
L’étiquetage est un système qui permet de se situer pour agir, de reconnaître et d’être reconnu pour entrer dans une relation avec d’autres et se sentir exister.
C’est un système producteur d’identité au sens de la production des attributs par lesquels, d’une part, on définit et on porte un jugement sur l’autre et d’autre part, et dans le même temps, on se définit et on porte un jugement sur soi-même. En effet, en jugeant l’autre, on se démarque, on se valorise et on consolide le sentiment de sa propre consistance/continuité dans le temps. Chaque personne se constitue, en effet, un répertoire représentationnel, répertoire sémantique de l’identité et de l’altérité, « précipité » singulier de croyances et de représentations socialement établies : «Un répertoire, sorte de dictionnaire à sa disposition pour encoder et décoder la réalité» .
Table des matières
EXPÉRIENCE ET QUESTIONNEMENT
ETRE CONFRONTE AUX MOTS QUI ASSIGNENT
Au commencement
Une pratique professionnelle
Questionnement et enjeux
LA RECHERCHE
La démarche de recherche
Exposition de la recherche
CHAPITRE I : LES PRATIQUES DE CATEGORISATION
1. 1 LA FONCTION DE CATEGORISATION
1. 1. 1 Catégoriser
1. 1. 2 Être catégorisé
1. 1. 3 Faire avec le fait d’être catégorisé
1. 2 LA CATEGORISATION DANS LES « METIERS DE LA SOCIETE »
1. 2. 1. Les pratiques administratives
1. 2. 2 Le travail social
1. 2. 3 Les pratiques médicales
1. 2. 4 L’éducation et la formation
1. 3. LA CONSTRUCTION DU « PATIENT » PAR L’INSTITUTION PSYCHIATRIQUE
1. 3. 1 La rencontre malade/psychiatre : une étape du processus d’étiquetage
1. 3. 2 Les voies de la construction du patient
1.3.2.1 Le dossier médical
1.3.2.2 L’interaction entre acteurs de l’équipe soignante
1.3.2.3 Les cadres interprétatifs mobilisées par les professionnels
1.3.2.4 L’organisation des services
1. 3. 3 Du diagnostic à l’étiquette sociale
1. 4 LA CATEGORISATION PERÇUE PAR LES PATIENTS
CHAPITRE II ETIQUETAGE, PERCEPTION DE L’ETIQUETAGE, REPRESENTATION DE SOI ET
COMMUNICATION SUR SOI
2. 1 NOMINATION ET ETIQUETAGE
2. 1. 1 La nomination
2.1.1.1 Faire exister et mettre en ordre
2.1.1.2 En mettant en relation plusieurs « rapports au monde »
2.1.1.3 Pour pouvoir agir
2. 1. 2 L’étiquetage
2.1.2.1 Faire exister dans un ordre social
2.1.2.2 En utilisant le stéréotype comme catégorie « naturelle »
2.1.2.3 Pour agir avec/sur autrui
2. 2 EXPERIENCE DE L’ETIQUETAGE : ETRE VU COMME
2. 2. 1 Une situation d’exposition de soi
2. 2. 2 Une confrontation aux normes qui s’imposent à soi
2. 2. 3 Un vécu de stigmatisation
2. 3. LE TRAITEMENT DE L’ETIQUETTE PAR LES SUJETS ETIQUETES, SE VOIR COMME
2. 3. 1 S’inter-percervoir
2.3.1.1 Se voir comme
2.3.1.2 Voir autrui
2. 3. 2 Se voir dans l’interagir
2.3.2.1 Le sentiment de compétence
2.3.2.2 L’adoption de rôle
2.3.2.3 Du rôle à l’étiquette
2. 3. 3 Se situer dans des rapports interindividuels et sociaux
2.3.3.1 L’habilitation intersubjective
2.3.3.2 Le sentiment d’appartenance à un groupe
2.3.3.3 Les attributions réciproques entre groupes sociaux
2.4 LA COMMUNICATION SUR SOI, SE DONNER A VOIR COMME
2. 4. 1 Communiquer
2.4.1.1 La notion d’intention d’influence
2.4.1.2 La notion de sens et de signification
2.4.1.3 La notion d’adresse
2.4.1.4 La notion de polyphonie
2. 4. 2 Communiquer sur soi
2.4.2.1 Les présentations de soi dans la communication
2.4.2.2 Les stratégies de présentation de soi
CHAPITRE III PARLER DE SOI
3. 1 PARLER DE SOI EN SITUATION DE COMMUNICATION PUBLIQUE
3. 1. 1 Objectifs et contexte de la production
3. 1. 2 Acteurs
3. 1. 3 Réalisation du tournage
3. 1. 4 Montage
3. 2 L’OBJET : LES DIRES DE SOI EN SITUATION D’ETIQUETAGE
3. 3 HYPOTHESES : LIENS ENTRE ETIQUETAGE, VECU DE L’ETIQUETAGE ET PRESENTATION DE SOI
3. 4 CHOIX DES OUTILS METHODOLOGIQUES
3. 4. 1 Traitement du matériau
3. 4. 2. Construction d’indicateurs de perception de l’étiquetage
3. 4. 3 Construction des adresses
CHAPITRE IV DIRES DE SOI, IMAGES DONNEES ET ADRESSES
4. 1 CARACTERISTIQUES DES SEQUENCES ET DES ENONCIATIONS PAR DES ACTEURS
4. 1. 1 Le temps de parole des intervenants
4. 1. 2 Le découpage séquentiel de la situation de communication et les marques de locution
4. 1. 3 Attitudes des acteurs
4. 1. 4 Les graduations vocales
4. 2 LES IMAGES DONNEES
4. 2. 1 Images que l’acteur donne de lui-même
4. 2. 4 Images que l’acteur donne de la maladie
4. 3 L’ADRESSE DES ACTES DE COMMUNICATION
4. 3. 1 Analyse des adresses
4. 3. 2. Les énoncés adressés au « grand public »
4. 3. 3 Les énoncés adressés aux soignants
4. 3. 4 Les énoncés adressés à soi, « pour soi »
4. 3. 5 Les énoncés adressés aux membres du groupe
CHAPITRE V DIRES DE SOI ET DYNAMIQUE DES SUJETS
5. 1 LA MATRICE DOMINANTE DE PRODUCTION DES ENONCES SUR SOI
5. 1. 1. Logique de construction des énoncés de Caroline
5.1.2 Logique de construction des énoncés de Marc
5.1.3 Logique de construction des énoncés de Thierry
5. 2 DYNAMIQUES DES SUJETS
5. 2. 1 Stratégies des acteurs
5.2.1.1 Typologie des positionnements choisis par les acteurs
5.2.1.2 Types d’opérateurs d’ostension de soi et d’influence des cadres interprétatifs des destinataires
5. 2. 2 Pour influencer les représentations qu’autrui a de soi
5.2.2.1 Les comportements d’ostension de soi
5.2.2.2 Ostension de soi et rapport au groupe d’appartenance
CHAPITRE VI ETRE VU, SE VOIR, SE DONNER À VOIR COMME
6. 1 LA SITUATION D’ETIQUETAGE : ETRE VU COMME
6. 1. 1 Un processus d’assignation identitaire
6. 1. 2 Un vécu de mise à l’épreuve
6.1.2.1 Un vécu de confrontation à la norme et le sentiment d’avoir commis une faute
6.1.2.2 Un vécu d’étrangeté et de perte des repères familiers
6.1.2.3 Un vécu de ne plus pouvoir en sortir
6.1.2.4 Un vécu de stigmatisation
6.1.2.5 Un vécu de menace du stéréotype
6.1.2.6 Un vécu de menace de contamination
6. 2 LE RETENTISSEMENT DE L’ETIQUETAGE : « SE VOIR COMME »
6. 2. 1 Affiliation, intériorisation de la maladie et intégration d’un point de vue sur soi : l’endossement de l’étiquette
6.2.1.1 Une intériorisation de la contrainte du soin et de la maladie
6.2.1.2 Une intégration du point de vue de l’autre
6.2.1.3 Endosser l’étiquette pour faire valoir ses droits
6.2.1.4 Endosser l’étiquette pour re-éprouver un sentiment le contrôle de la situation
6. 2. 2 Appartenance à un groupe, développement de compétences et préservation de l’image de soi
6.2.2.1 Développement de compétences sociales
6.2.2.2 Préservation d’une ‘bonne’ image de soi collective et individuelle
6. 2. 3 Rappel du passé et transformation des cadres interprétatifs
6. 3 COMMUNIQUER SUR SOI A PARTIR D’UNE EXPERIENCE D’ETIQUETAGE : « SE DONNER A VOIR COMME »
6. 3. 1 Communiquer sur soi à autrui
6.3.1.1 Hypothèses faites par les locuteurs sur les destinataires et stratégies d’influence
6.3.1.2 La pertinence des sujets étiquetés en situation de communication
6. 3. 2 Communiquer sur soi à soi : dynamique argumentative et dynamique de construction de sens
6.3.2.1 Ostension de soi et construction de sens pour soi
6.3.2.2 Dires sur soi pour soi
SE RECONNAITRE COMME
POUR CONCLURE
PERSPECTIVES PRAXEOLOGIQUES
Reconnaître le processus d’étiquetage
Se reconnaître dans le processus d’étiquetage
En faisant l’expérience d’autres situations
En jouant sur les modèles de référence
En créant une visibilité positive du groupe d’appartenance
En jouant avec les étiquettes
PERSPECTIVES EPISTEMIQUES
Apports de cette recherche
Limites
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
EXTRAITS D’OUVRAGE
ARTICLES DE REVUES
REVUES
SEMINAIRES, COLLOQUES, JOURNEES
THESES, ECRITS DE FIN D’ETUDES
DOCUMENTS AUDIO VISUELS & SITES
ANNEXES