Télécharger le fichier original (Mémoire de fin d’études)
Diradical combinant un élément du groupe 13 et un élément du groupe 15 : les PBPB
En 2002, notre équipe a synthétisé un cycle à 4 atomes contenant 2 atomes de phosphore et 2 atomes de bore A118. Les radicaux sont portés par les atomes de bore et reliés entre eux par des fragments PR2 (Figure I-17). Cette molécule a été obtenue par réaction de deux équivalents de diiso-propylphosphure de lithium sur le 1,2-dichloro-1,2-di(tertio-butyl)diborane et isolée sous forme de cristaux jaunes avec un rendement de 68%.*
L’analyse par diffraction aux rayons X révèle que le cycle à quatre chaînons BPBP est parfaitement plan avec des longueurs de liaisons B-P égales de 1,89 Å un peu plus courtes que des liaisons simples. La somme des angles autour des atomes de bore est de 360º, ce qui indique une géométrie plane. Ce composé est caractérisé par une distance B-B très grande de 2,57 Å. Cette distance est 38% plus longue que la plus longue liaison B-B reportée jusqu’alors (1,86 Å) ce qui indique clairement l’absence de liaison B-B (Figure I-18).
Figure I-18 : Structure du diradical A1
* Dans la suite du manuscrit, les charges formelles portées par les atomes de bore et de phosphore ne seront plus explicitées.
Caractère diradicalaire de ce composé :
Suite à la synthèse de ce composé, des études théoriques ont été réalisées par les groupes de Schoeller,19 Head-Gordon,20 Cramer21 et Hu22 afin de mieux comprendre sa stabilité et sa multiplicité de spin. Les calculs de Schoeller et al. ont porté sur le système parent avec des hydrogènes comme substituants des bores et phosphores. Ils ont montré que l’état singulet du système parent était plus stable de 17,2 kcal/mol que l’état triplet. L’étude théorique des orbitales moléculaires (Figure I-19) montre que la stabilisation de cette molécule résulte de deux types d’interactions. Il y a des interactions à travers les liaisons grâce à la combinaison des orbitales du diradical avec des orbitales σ* des liaisons P-C comme dans le cas des cyclopentanediyles substitués par des atomes de fluor. Une autre interaction intervient également dans la stabilisation du diradical, il s’agit d’une interaction à travers l’espace caractérisée par un recouvrement de type π entre les deux orbitales 2p(B) (Figure I-20). En utilisant comme critère d’évaluation du caractère diradicalaire le taux d’occupation de l’orbitale basse vacante antiliante BV (0,169 alors qu’un diradical pur doit avoir un taux d’occupation égal à 1), Head-Gordon et al. ont conclu que le terme “diradicaloide” était plus approprié pour décrire le diradical A1. Par ailleurs, pour Hu et al., le terme diradical n’est pas approprié, ils considèrent que A1 n’est qu’une molécule présentant une liaison π à travers l’espace.
En conclusion, la stabilisation de ce composé résulte de la combinaison des interactions à travers les liaisons et à travers l’espace. Il ne peut toutefois être décrit comme un composé possédant une liaison à deux électrons délocalisés sur deux centres. Le caractère diradicalaire de A1 est limité (taux d’occupation de l’orbitale BV de 0,169) ce qui explique son étonnante stabilité thermique.
Isomères de valence
Le cyclobutanediyle possède plusieurs isomères de valence : le bicyclobutane, le butadiène et le cyclobutène. Il devrait également être possible d’observer ces types de composés dans le cas des motifs PBPB23. L’isomère de type butadiène D a pu être isolé grâce à l’ajout de deux équivalents de diphénylphosphure de lithium sur le 1,2-dichloro-1,2-diduryldiborane (Figure I-21). Ce composé est instable et se réarrange pour former l’isomère bicyclique correspondant B3 à partir de -30°C. Néanmoins, des monocristaux de D ont pu être obtenus par cristallisation dans le THF entre -30 et -80°C. Ce dernier adopte la conformation s-trans la plus stable. Les atomes de phosphore sont dans un environnement quasi-plan (Σ = 350,1°) et la liaison P-B est de 1,83 Å, témoignant d’une forte interaction entre le doublet libre des atomes de phosphore avec l’orbitale vacante des atomes de bore adjacents.
Un autre isomère C a également été isolé par irradiation du composé bicyclique XXX portant des groupes tertio-butyle sur les atomes de bore et des groupements phényle sur les phosphores. Il résulte de la migration [1,2] d’un groupement phényle d’un phosphore sur un bore, le cycle PBPB étant conservé (Figure I-22).
Influence des substituants sur le phosphore :
Résultats théoriques
Hu et al. ont étudié l’influence des substituants portés par les atomes de phosphore10. Ils ont trouvé que quand les phosphores portent des H ou des Me, le diradical A n’est même pas un minimum d’énergie, alors qu’avec des substituants Et ou i-Pr, les composés A sont des minima. De plus, avec i-Pr, la forme diradicalaire A est plus basse en énergie que la forme bicyclique B de 2,7 kcal/mol (Figure II-1).
Ceci est en accord avec les calculs effectués par Wiest et al. sur des bicyclo[1.1.0]butanes encombrés stériquement11. Ils ont trouvé que les paramètres géométriques varient du dérivé non-substitué b1 aux dérivés b2 et b3. En fait, l’angle de repliement entre les deux plans τ passe de 122 à 133 et 145° du dérivé b1 aux dérivés b2 et b3 respectivement. De plus, il y a une légère mais significative élongation de la liaison C-C centrale de 0,03 et 0,05 Å respectivement.
Il est intéressant de remarquer que l’écart singulet/triplet ne varie pas de manière significative avec la nature des groupes alkyles sur les phosphores. En d’autres termes, les facteurs stériques sur le phosphore ont peu voire pas d’influence sur l’écart singulet/triplet.
Confirmation expérimentale
La symétrie de l’orbitale HO des systèmes BPBP est 1,3 liante contrairement aux diradicaux de Niecke. Ceci implique que la fermeture thermique en bicyclo[1.1.0]butane B (ou papillon) est dans ce cas autorisée selon les règles de Woodward-Hoffmann. Par conséquent, la structure de l’état fondamental des composés A/B devrait être grandement influencée par les substituants placés sur les atomes du cycle. En effet, en variant les substituants autour du cycle BPBP, il a été possible non seulement d’isoler les structures limites A et B mais aussi d’isoler différents composés avec des liaisons B-B allant de 1,83 à 2,57 Å12 (Figure II-2). Ceci illustre de manière élégante le processus d’inversion de la structure bicyclique B au diradical singulet A via l’élongation de la liaison B-B.
Ces résultats semblent confirmer les résultats théoriques concernant l’influence des substituants placés sur les phosphores. En effet, en gardant des substituants duryle sur les bores (composés XXIX et XXXI), le remplacement des iso-propyles par des éthyles sur les phosphores conduit à un raccourcissement de la liaison B-B (de 2,24 à 1,89 Å). On observe le même phénomène pour A1 et XXX ou les atomes de bore portent des tertio-butyle. Le remplacement des i-Pr par des Ph induit un raccourcissement de la liaison B-B de 2,57 à 1,99
Å. Le seul composé pour lequel la forme diradicalaire est observée (A1) porte des groupements i-Pr sur les atomes de phosphore. La seule conclusion que nous pouvons en tirer est que des substituants encombrés sur les phosphores sont nécessaires pour favoriser la structure diradicalaire A. Nous venons de voir que pour les systèmes de type PBPB, le problème s’avère être complexe étant donné que la fermeture thermique menant au bicycle est autorisée par les règles de symétrie de Woodward et Hoffman. Il en résulte qu’une modification de substituants peut influer sur l’écart singulet-triplet mais aussi sur la stabilité relative des isomères diradical/papillon. Il s’avère difficile de dissocier l’influence des substituants sur ces deux paramètres. Nous nous pencherons essentiellement sur l’effet des substituants sur la stabilité relative des isomères diradical/papillon.
Influence des substituants sur les bores
Résultats théoriques
Hu et al. ont étudié l’influence des substituants portés par les atomes de bore sur la stabilité relative des isomères d’élongation10 (Figure II-3). Ils ont trouvé qu’aucun des dérivés plans A portant H, SiH3 ou t-Bu sur les atomes de bore n’est un minimum quand les atomes de phosphore ne sont pas substitués.
Ce résultat n’est pas très surprenant puisque nous avons vu qu’il est nécessaire d’encombrer stériquement les phosphores pour stabiliser la forme plane diradicalaire. Cependant, en examinant la différence d’énergie entre les isomères A et B, il ressort que le groupement tertio-butyle favorise plus la forme diradicalaire qu’un hydrogène ou un silyle.
Résultats expérimentaux
Coexistence d’isomères d’élongation de liaison
Parmi les différents modèles synthétisés, celui portant des iso-propyle sur les atomes de phosphore et des groupes phényle sur les atomes de bore présente un intérêt particulier13. En effet, dans ce cas l’énergie des deux formes A2 et B2 est très proche et ces dernières sont toutes les deux des minima sur la courbe d’énergie (Figure II-4). De plus, la fermeture du diradical en papillon est autorisée thermiquement compte tenu de la symétrie des orbitales dans le diradical. Ainsi, dans le cas du dérivé (i-Pr2PBPh)2, l’isomère diradicalaire A2 est le seul à cristalliser mais les deux formes sont en équilibre en solution. Cet équilibre a pu être suivi par des études de RMN et d’UV/Vis à température variable en solution car l’équilibre entre le 1,3-bora-2,4-diphosphonio-cyclobutane-1,3-diyle A et son isomère d’élongation (bond-stretch isomer14) est fonction de la température (Figure II-5).
Le comportement observé en RMN 31P illustre en réalité l’équilibre établi entre le diradical A2 et deux conformères B2a et B2b de la forme bicyclique B2. L’utilisation du 2-méthylpentane comme solvant a permis de débuter l’expérience à -145°C. A cette température, le signal majoritaire résonne à + 4 ppm et est attribué à la forme diradicalaire A2. On observe également deux massifs minoritaires à -32,2 et -41,8 ppm qui ont été attribués à l’aide de calculs ab initio. Pour le composé bicyclique B2, ces calculs montrent l’existence de 10 minima locaux, parmi lesquels B2a et B2b sont les plus bas en énergie. De plus leur énergie est égale. En raison de l’inéquivalence magnétique des atomes de phosphore (un des goupements isopropyle peut être éclipsé), les calculs prédisent qu’ils résonnent sous forme d’un système AX. Les déplacements chimiques en RMN 31P ont été calculés à δ= -36,3 et – 43,1 ppm pour B2a et -31,9 et -40,3 ppm pour B2b. Les deux signaux minoritaires observés à -145°C correspondent donc au recouvrement de ces quatre signaux comme illustré sur la figure II-5. Enfin, le dernier signal à -20 ppm est attribué à une impureté : la di isopropylphosphine qui apparaît sous forme de doublet en raison du couplage entre le phosphore et le proton. Trois espèces sont donc en équilibre et la vitesse d’inter-conversion entre les différentes espèces est inférieure à la vitesse caractéristique de la mesure RMN. Le système est en quelque sorte « figé ». La population du diradical est plus importante que celle du papillon dans une proportion de 3 pour 1, il est donc plus stable.
Influence de l’encombrement stérique
Dans la série de composés synthétisés, deux composés présentent un intérêt particulier pour l’étude de l’influence de l’encombrement stérique sur les atomes de bore. Il s’agit des composés XXXI et A2. Tous deux portent des groupements iso-propyle sur les atomes de phosphore mais se différencient par les substituants sur les atomes de bore. A2, avec des groupes phényle adopte une structure plane diradicalaire tandis que XXXI avec ses groupements duryle adopte une structure bicyclique. Dans ce cas, le cycle PBPB est replié (angle dihèdre de 130°) et la distance B-B est raccourcie (2,24 Å contre 2,57 Å pour A2). Le fait que XXXI adopte une structure bicyclique est probablement du à la présence des substituants méthyle sur le phényle qui empêchent ce dernier de se placer dans le plan du cycle PBPB. Le duryle ne peut alors pas stabiliser le diradical en délocalisant les électrons (Figure II-6).
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
Chapitre I : INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE
A Les diradicaux organiques
I Définitions
II Les diradicaux organiques : des espèces instables
B Les diradicaux combinant un élément du groupe 14 et un élément du groupe 15
I PCPC : Le diradical de Niecke
II Diradicaux de Power (GeNGeN)
III Diradicaux de Lappert (SnNSnN)
C Diradical combinant un élément du groupe 13 et un élément du groupe 15 : les PBPB
I Caractère diradicalaire de ce composé
II Isomères de valence
D Conclusion et objectifs
Chapitre II : INFLUENCE DES SUBSTITUANTS
A Rappels bibliographiques
I Influence des substituants sur le phosphore
I.1 Résultats théoriques
I.2 Confirmation expérimentale
II Influence des substituants sur les bores
II.1 Résultats théoriques
II.2 Résultats expérimentaux
B Etude d’un modèle dissymétrique au niveau des atomes de bore
I Modèle tertio-butyle phényle
I.1 Schéma de synthèse
I.2 Analyse du composé obtenu
II Modèle dissymétrique tertio-butyle naphtyle
II.1 Schéma de synthèse
II.2 Analyse du composé obtenu
II.3 Quatre comportements différents
III Conclusion
Partie experimentale
Chapitre III : VERS LES POLYRADICAUX ORGANIQUES
A Rappels bibliographiques
I Les polyradicaux à haut-spin de Rajca
I.1 Utilisation du motif triarylmethyle
I.2 Utilisation du motif nitroxide
II Approche de Berson
II.1 Diradicaux de Berson
II.2 Tetraradical singulet de Berson
III Utilisation du motif PBPB
B Utilisation de nouveaux espaceurs
I Espaceur encombré 2,5-diméthylphényle
I.1 Synthèse du composé cible
I.2 Analyse du composé 8
II Utilisation de l’espaceur 2-méthylphényle
II.1 Synthèse
II.2 Analyse du composé 12
III Utilisation de l’espaceur biphényle
III.1 Synthèse
III.2 Analyse du composé 16
IV Conclusion
Partie experimentale
Chapitre IV : REACTIVITE
A Rappels bibliographiques
I Réactivité radicalaire du diradical A1
B Etude de la catalyse de polymérisation
I Polymérisation en solution
II Polymérisation en masse
III Conclusion
C Additions 1,3 d’électrophiles sur les 1,3-diradicaloides
I Réactions avec le diradical A1
I.1 Addition de HCl sur le diradical A1
I.2 Addition d’acide trifluorométhanesulfonique sur A1
I.3 Etude du réarrangement observé
II Réactions sur le composé dissymétrique 4
II.1 Réaction du composé 4 avec HCl
II.2 Réaction du composé bicyclique 4 avec HOTf
D Conclusion
Partie experimentale
CONCLUSION GENERALE