Discussions
En débutant cette recherche, et après revue de la littérature existante, l’hypothèse dégagée était la suivante : la prévalence des symptômes dépressifs est supérieure chez les fonctionnaires de police en comparaison avec la population générale. Cette prévalence varierait en fonction des facteurs démographiques tels que l’âge, le sexe, le grade, le nombre d’années de carrière et le statut marital, mais également en fonction des zones de police. Après analyse des résultats obtenus, cette hypothèse n’est pas retenue. En effet, la prévalence des symptômes dépressifs mesurée chez les policiers se rapproche fortement, quel que soit l’indicateur, de la prévalence mesurée dans la population générale. Seule une légère variation a été observée pour l’indicateur AD_5 pour lequel l’absence de dépression était inférieure de 8,5% en comparaison avec la population générale en province de Liège. De plus, la présence d’une dépression qualifiée de légère (selon les critères du PHQ-9) dépassait de 8,2% le pourcentage obtenu dans la population générale (toujours en province de Liège). Il semblerait donc que l’échantillon policier présente moins d’absence de dépression et plus de dépression légère en comparaison avec la population générale. Les autres types de dépression (modérée, modérément sévère et sévère) possèdent des pourcentages proches de ceux obtenus dans la population générale. La principale différence entre la population policière et la population générale se trouve donc dans le pourcentage inférieur d’absence de dépression et le pourcentage supérieur de dépression légère chez les fonctionnaires de police. Une différence qui pourrait s’expliquer par l’exposition aux facteurs de stress inhérents au métier.
Un constat intéressant qui, pour être confirmé, devrait faire l’objet de recherches supplémentaires avec échantillonnages probabilistes de plus grande ampleur. Pour les autres indicateurs, les pourcentages obtenus dans la population policière sont très proches de ceux obtenus par Sciensano dans la population globale. L’existence d’un pattern de mauvaise santé mentale chez les fonctionnaires de police et d’une prévalence de dépression supérieure à celle de la population générale tel qu’identifiée par Dill & al. (2018), mais également par Chao & al. (2006), ne semble donc pas se confirmer dans le contexte de cette recherche. Plusieurs hypothèses peuvent alors être réalisées concernant les résultats obtenus. La première hypothèse formulée est le caractère moins anxiogène du contexte policier belge en comparaison avec le contexte nord-américain. Des risques éventuellement inférieurs de blessures et de violences mais également des facteurs organisationnels potentiellement moins stressants pourraient être à l’origine de ces différences de résultats. La seconde hypothèse serait que le tabou identifié au sein de la fonction vis-à-vis des problèmes de santé mentale (Boyle et Chae, 2013 ; International Association of Chiefs of Police, 2017 ; Soomro & Yanos, 2018) ait contribué à réduire la participation des personnes les plus touchées par les symptômes dépressifs. La prévalence de ces symptômes dans l’échantillon s’en retrouverait ainsi diminuée. Enfin, le travail fourni par la Stressteam et les conseillers en prévention ainsi qu’une bonne formation à la gestion du stress pourraient s’avérer suffisants à la prévention/gestion des symptômes dépressifs.
L’influence des facteurs démographiques sur cette prévalence n’a pas non plus pu être démontrée au travers de cette étude, si ce n’est l’influence de la composition de ménage sur l’indicateur AD_4. Seule cette dernière s’est avérée d’une influence statistiquement significative après réalisation des tests de corrélation. L’observation des résultats porte à croire que le statut de célibataire est plus susceptible de présenter un autre type de trouble dépressif (AD_4) au contraire du statut de couple avec enfant qui est le moins susceptible de présenter un trouble dépressif (AD_4). Ce résultat viendrait confirmer les résultats d’Andrew & al. (2009) selon lesquels l’engagement dans une relation stable réduirait le risque de présenter des symptômes dépressifs. Il serait néanmoins nécessaire de réitérer cette enquête avec un échantillonnage probabiliste pour confirmer cette relation et pousser l’analyse statistique. L’influence des autres variables démographiques telles que le sexe des agents, l’âge et le niveau d’éducation (Gershon & al., 2002 ; Chao & al., 2006) ainsi que le nombre d’années de carrière (Aron & Violanti, 17 1995 ; Buchet & al., 2019) n’a pas pu être démontrée au travers de cette étude, les tests de corrélation ne révélant pas de relation significative.
Si les variables démographiques ne se sont pas montrées d’une influence significative dans la présente recherche, il convient alors de réfléchir aux autres facteurs pouvant influencer les résultats obtenus. Dans leur article, Gershon & al. (2009) émettent l’hypothèse selon laquelle certains policiers seraient plus vulnérables aux facteurs de stress. Parmi ceux-ci se retrouveraient ceux qui n’ont pas/peu de soutien venant de leur famille/amis, ceux dont les ressources en matière de gestion du stress font défaut ou encore ceux rencontrant des problèmes dans leur vie privée. Buchet & al. (2019) précisent que la personnalité influence également la vulnérabilité ou la résilience face au stress. Leur étude avance par exemple que le névrotisme est la dimension de personnalité la plus à risque de développer un trouble de stress aigu voire un trouble de stress posttraumatique alors que l’extraversion joue un rôle protecteur face aux symptômes de stress. Les auteurs ajoutent que d’autres facteurs de risques (tels que les antécédents d’adversité ou de burn-out) mais aussi de protection (tels qu’un sentiment d’efficacité personnel élevé ou un bon soutien social) peuvent influencer la vulnérabilité au stress. Il est donc probable que ces diverses variables jouent également un rôle vis-à-vis des symptômes dépressifs. Chao & al. (2006) identifiaient dans leur article une variation de la probabilité de présenter une dépression en fonction du sexe ; cette probabilité étant largement inférieure pour les femmes. Les auteurs en avaient conclu que les policières semblaient avoir une vie moins stressante que leurs collègues masculins.
A noter que ce risque inférieur contredit les données obtenues dans la population belge générale ; les femmes présentant plus de risque de présenter une dépression quel que soit l’indicateur. Dans les résultats obtenus par cette étude, AD_6 (présence d’un trouble dépressif, caractérisé ou non) est légèrement inférieur pour les femmes (11,8%) en comparaison avec les hommes (13,6%). AD_3 (présence d’un trouble dépressif caractérisé) est en revanche largement supérieur chez les policières (11,8% contre 4,9% pour les policiers masculins). Au contraire, l’indicateur AD_4 (présence d’un autre type de trouble dépressif) n’a été positif dans aucun des cas (0% chez les femmes contre 8,7% chez les hommes). Si, d’après ces observations, les femmes présenteraient un pourcentage légèrement inférieur de trouble dépressif (AD_6), il semblerait que ces troubles dépressifs présents soient d’une plus grande intensité. En effet, l’observation d’AD_5 indique un pourcentage supérieur d’absence de dépression chez les femmes, mais surtout des pourcentages supérieurs de dépression sévères et modérément sévères contre un pourcentage inférieur de dépression légère (toujours en comparaison avec les hommes). Malheureusement, le faible nombre de réponses féminines obtenue dans le cadre de ce mémoire (N=17 sur 120) ne permet pas de tirer des observations significatives. Il serait intéressant dans une prochaine étude d’interviewer un nombre supérieur de femmes dans l’échantillon pour une comparaison optimale.
Conclusions
Après revue de la littérature, l’hypothèse formulée soutenait une prévalence de symptômes dépressifs supérieure chez les fonctionnaires de police en comparaison avec la population générale. Il était également envisagé que les variables démographiques telles que l’âge, le sexe, le grade, le nombre d’années de carrière, la zone de police et la composition de ménage influençaient cette prévalence. Après analyse des résultats, cette hypothèse a été réfutée. Aucune variation majeure n’a été retrouvée lors des comparaisons avec la population générale. Seule une légère variation concernant l’indicateur AD_5 a attiré l’attention du chercheur. Selon les critères du PHQ-9, les scores obtenus dans l’échantillon policier indiquent un pourcentage inférieur d’absence de dépression et un pourcentage supérieur de dépression légère en comparaison avec la population générale. Il est nécessaire pour confirmer cette observation et en tirer des conclusions de réitérer l’enquête avec un échantillonnage probabiliste de plus grande ampleur. Il en va de même pour la corrélation entre la composition de ménage et l’indicateur AD_4, seule relation significative retenue après réalisation des tests de corrélation et dont l’observation porte à croire que le statut de célibataire est plus susceptible de présenter un autre type de trouble dépressif (AD_4) au contraire du statut de couple avec enfant qui est le moins susceptible de présenter un trouble dépressif.
Si la prévalence des symptômes dépressifs chez le personnel d’intervention se rapproche de celle de la population générale, il convient néanmoins de souligner que la présence de dépression, qu’elle soit caractérisée ou non, est une problématique qu’il ne faut pas prendre à la légère. Il est nécessaire de poursuivre les efforts de soutien au niveau fédéral comme local et d’apporter une aide aux personnes en souffrance. Cette enquête a également permis d’évaluer le caractère anxiogène de certains facteurs / certaines situations propres à la fonction de police même si elle n’a pas la prétention d’avoir été exhaustive sur le sujet. Il en résulte que la situation la plus décriée par les répondants est le manque de suivi au niveau de la Justice, un facteur qui n’avait pas été retenu dans la littérature existante, probablement du fait de sa spécificité belge. En seconde position se retrouve le risque de mort ou de blessure grave d’un collègue juste avant le manque de respect de la population envers le personnel policier. Il a été intéressant de voir que dans les réponses libres se retrouvaient principalement des facteurs organisationnels liés aux relations hiérarchiques. L’identification de ces facteurs est pertinente dans le cadre du développement des politiques de bien-être du personnel.
Il serait intéressant, au niveau local pour les différentes zones, mais également au niveau national pour la police fédérale, de réaliser ce genre de questionnaires pour permettre aux fonctionnaires de police de faire part de leurs difficultés et de réfléchir collégialement aux solutions possibles. Dans le cadre de cette enquête, le manque de suivi au niveau de la Justice et le manque de respect de la population semblent relativement indépendants des Zones de Police. Ce qui l’est moins en revanche et peut éventuellement faire l’objet d’une réflexion sont les facteurs organisationnels tels que les relations avec la hiérarchie, qu’il s’agisse du manque de soutien, de la perception d’un certain favoritisme ou du manque de reconnaissance. La littérature comme la présente recherche indiquent qu’il ne faut pas sous-estimer l’impact de ces facteurs sur la santé mentale du personnel bien qu’ils paraissent mineurs face aux blessures graves et agressions physiques qui sont, elles, beaucoup plus rares. Si elle ne dispose pas de la méthodologie la plus pointue, cette enquête a pour intérêt principal de s’être intéressée à un sujet laissé à l’abandon en Belgique et de l’avoir exploré : la santé mentale du personnel policier. Le chercheur espère que la lecture de ce travail motivera d’autres personnes à se pencher plus en profondeur sur la problématique ou du moins qu’il permettra, à sa manière, de lever le tabou existant au sujet de la santé mentale. Un certain intérêt pour la problématique s’est d’ailleurs fait ressentir dans les différents échanges réalisés avec les fonctionnaires de police, notamment auprès des chefs de corps.
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