Les différents genres d’acteurs politiques libano-chretien

Les acteurs politiques libano-chrétiens présents en 1989

« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter une paille de ton œil alors qu’il y a une poutre dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère » – Evangile de Jésus Christ selon Saint-Matthieu, 7, 3-5 « Balayer devant sa porte »
Dans l’introduction, je reproche le manque d’histoire nationale générale et fait remarquer que les travaux ont tendance à se concentrer sur une région, un évènement ou une communauté. Mais pour avoir une histoire libanaise du Liban, il faudrait que chaque Libanais fasse son autocritique et l’autocritique de sa communauté – politique comme religieuse- pour finalement, après discussions, débats, analyses multiples, que les Libanais puissent enfin s’asseoir, écrire une Histoire et créer une nation. C’est pour cela qu’aujourd’hui je travaille sur ma communauté, les chrétiens du Liban, et ses acteurs politiques qui la représentent. Alors que la guerre confessionnelle fait rage depuis 14 ans, une multitude d’entités de toutes tailles, armées ou non, est présente avec plus ou moins d’impact sur la population libanaise.
Certains groupes se forment entre les notables et/ou les personnalités d’un même quartier ou d’un même village, d’autres bandes se constituent militairement et prêtent allégeance à l’une des grandes milices ou Etat acteur du conflit, certains syndicats ou associations poursuivent leurs actions selon les moyens disponibles et, obligatoirement, les grands acteurs libanais font partie du lot, comme les partis politiques avec leurs milices. Pour rappel, le pouvoir exécutif est aussi divisé en deux. Tous ces groupements ne sont pas communautaires ou politiques puisque beaucoup ont un impact local sur les besoins quotidiens de la population. Bien qu’il soit intéressant d’étudier leurs actions dans le cadre d’une recherche d’« histoire par le bas », mon étude s’intéresse plus à l’ « histoire par le haut » des pôles libanais ayant eu un impact politiquement au Liban dans la période qui suivit directement les réunions de Taëf. Plus précisément, ce mémoire de recherche se concentre sur les personnes physiques ou morales qui sont considérées comme représentatives des chrétiens libanais, ou au moins d’une partie. Il est donc évident que les partis et personnalités musulmans ou druzes ne seront pas étudiés dans cette recherche, même si certains chrétiens en font partie, comme par exemple Fouad el Saad, allié électoralement du Parti Socialiste Progressiste102 et ayant ses entrées au Vatican. Ensuite, inévitablement, certains ne figurent pas en première ligne de cette étude, comme Georges Haoui, leader du Parti communiste libanais, ou Daoud Baz, chef du Parti syrien national social, car, bien que politiciens de confession chrétienne et ayant parmi leurs partisans des libanais de confessions chrétiennes, leurs discours ne se veut pas représentatif de la communauté chrétienne ou de la défense des droits des chrétiens. D’un autre côté, certaines organisations ou certaines personnalités sont considérées comme des porte-paroles de la communauté – ou d’une partie – chrétienne, même si leurs discours sont beaucoup plus « libanistes » que « communautariste ». On peut prendre pour exemple Raymond Éddé, ‘Amid 103 du parti Bloc nationallibanais, qui est considéré comme un des grands leaders libanais, mais surtout chrétien du XXème siècle libanais. Finalement, ce mémoire portera surtout sur les groupes politiques, milices et individus se considérant ou étant considérés comme représentatifs et défenseurs de la communauté chrétienne et de ses droits, tout en se voulant représentatifs des Libanais en général. En novembre 1989, au lendemain de l’Accord de Taëf, hormis la division du pays en deux entités distinctes répondant à deux pouvoirs divergents, la communauté chrétienne n’est pas restreinte au « réduit chrétien » et les leaders à l’« Est » comme à l’« Ouest » ont des partisans des deux côtés de ces frontières informelles. Par souci de clarté, je les présente selon leur date d’ancienneté :

L’Eglise maronite

Ayant son siège à Bkerké, le patriarcat maronite fut depuis les années 1940, et même avant, « un repaire religieux qui a dépassé la confession et s’est consacré à la défense du Liban ». Contrairement à certains moines qu’on a vu « porter des armes aux premiers rangs sur leslignes de démarcation »et qui ne répondaient pas à Bkerké, et à travers lui au Saint-Siège.
Le Patriarche, le clergé et ses évêques se posèrent toujours auprès de la Légalité. En avril 1986 est élu comme Patriarche, Nasrallah Sfeir pour succéder au démissionnaire Antoine Khoreiche. Sfeir était déjà presque prêt pour cette charge puisqu’il l’avait occupée collégialement avec deux autres évêques lorsque son prédécesseur tomba malade. En tant qu’hommes d’Eglise, le Patriarche et son équipe ne peuvent détenir une fonction publique. Mais son influence en tant que chef religieux de la communauté, ainsi que son rôle dans l’écriture du brouillon du Document d’Entente nationale, lui donne un poids politique officieux.

Les partis libanais de la communauté arménienne

Les trois partis principaux qui regroupent la communauté arménienne au Liban, le Tachnak106 (ou Tachnaktsoutiou), le Hentchak107 (ou Hentchakian qui veut dire tocsin) et le Ramgavar sont à la base les branches libanaises de ces partis basés à l’étranger et qui s’occupent de la diaspora, surtout après le génocide perpétré par les Ottomans durant la Grande guerre. Intégrée à la nation et au système libanais et n’ayant plus de liens hiérarchiques avec leurs partis-mères, la communauté arménienne s’est divisée durant les « évènements » de 1958 et a mis plusieurs années pour « cicatriser ». Depuis, la communauté arménienne décida de toujours soutenir et de « prêter allégeance au concept de la légalité de l’Etat » pour reprendre les termes du Secrétaire général du parti Tachnak108. Dès le déclenchement du conflit civil en 1975, les partis arméniens au Liban décidèrent de poursuivre une politique de « neutralité positive » qui consistait à s’auto-défendre militairement en cas d’attaque, quel qu’en soit l’auteur, palestinien comme libanais. Leur politique consistait aussi à soutenir l’Etat dans toutes ses actions et ses institutions et à prôner le dialogue pour régler les différends à la place des armes. Ils participèrent à toutes les réunions interlibanaises en proposant des plans de paix, comme en 1983, et ont évidemment reconnu et accepté l’accord de Taëf dès sa signature.

Les Kataëb et la milice des Forces Libanaises (FL)

Le parti Kataëb, ou généralement traduit par les Phalanges, fut fondé par un groupe de notables en 1936. Mais six mois plus tard, il implose à cause des deux courants politiques qui dominaient le pays110 et est repris par Pierre Gemayel qui est nommé président du parti et Joseph Chader désigné secrétaire général. Alors qu’il se voulait laïc111, le parti a pris progressivement une image chrétienne, par ses positions nationalistes, face aux positions panarabes, notamment en 1958112. Avant le déclenchement officiel de la guerre en avril 1975, les Kataëb commencèrent à s’y préparer lors de camps pour entraîner leurs jeunes partisans avec les moyens du bord.
Alors que la guerre bat son plein, le benjamin des Gemayel, Bachir, prépare son entrée dans le jeu politico-militaire et fonde, officiellement, en février 1977114, la milice des Forces Libanaises, voulue comme la « résistance chrétienne ». Le lien entre les Kataëb et les FL pourrait être un sujet de thèse à lui seul, tellement les deux groupes sont liés et se disputent pour avoir le contrôle l’un de l’autre. Théoriquement, les FL doivent exécuter les décisions prises par le commandement du Front libanais. Mais avec la « miliciarisation » et le renforcement de Bachir115, les Forces Libanaises ont pris le dessus et ne répondaient plus ni au Front Libanais, qui avait complètement perdu son influence politique, ni au bureau politique des Kataëb, ni même à Pierre Gemayel116. Avec l’assassinat de Bachir en 1982 et la mort naturelle du fondateur phalangiste en 1984, les luttes partisanes pour prendre le contrôle du parti historiquement chrétien se multiplient. Le 23 septembre 1982, le Parlement décide de confier la présidence de la République au frère de Bachir, Amine Gemayel, qui essaya durant tout son mandat, de ramener les Forces Libanaises dans le giron du parti phalangiste et d’avoir ainsi un bras armé plus puissant à ses ordres et avec moins de contraintes que l’armée nationale qui tentait de colmater les brèches hémorragiques qui l’ont paralysé depuis 1975. Mais les FL, depuis Bachir, s’étaient habituées à leur indépendance politique et à imposer leurs décisions.
Le bras de fer entre Amine et plusieurs cadres de la milice – notamment Samir Geagea, Elie Hobeika et Karim Pakradouni – mena à une intifada le 15 mars 1985 qui préserva la milice de toute ingérence d’Amine Gemayel. Mais même le directoire formé implosa moins d’un an plus tard, expulsant Elie Hobeika et propulsant Samir Geagea au commandement des FL. De plus, en 1986, l’ancien vice-président désigné par Pierre Gemayel et candidat d’Amine Gemayel à la présidence du parti, Elie Karamé, perd face à Georges Saadé. Ce dernier n’accède à la présidence qu’avec l’aide de Geagea qui y a mis tout son poids nordiste pour barrer la route au candidat des Gemayel117. De même, alors que son mandat finissait en septembre 1989, personne ne se présenta contre lui et il fut élu d’office. Mais cette reconduction a un coût : Geagea ne se présente pas mais impose, en contrepartie, à Saadé, un secrétaire général118 : Roger Dib , très proche collaborateur du leader milicien et Secrétaire Général aux affaires internes des FL.Geagea évite ainsi de diviser le parti en deux courants, tandis que la guerre de Libération du général Aoun fait rage et que les réunions de Taëf se préparent. Entre temps, Amine Gemayel, ayant fini son mandat présidentiel, s’est exilé après avoir été cerné par les hommes de Geagea dans son fief, en quasi-résidence surveillée120. Il faut noter que le bureau politique des Kataëb est environ à moitié composé de cadres FL tels que Georges Kassab, Alfred Madi, Roger Dib,etc. mais qu’inversement, le commandement FL n’est composé que de proches de Geagea, bien qu’ils soient tous officiellement phalangistes. On est donc en présence d’un chef, limité dans son champ d’action, d’un parti politique qui a perdu son influence d’antan et un nouveau za’im milicien qui souhaite conserver son rôle dans le Liban d’après-guerre.

Le Bloc National (BN)

Fondé en 1946 par l’ancien président de la République sous mandat, Emile Éddé, le parti est repris par son fils Raymond âgé de 36 ans au moment de la succession. C’est un démocrate de pure souche, qui se pose en médiateur et en arbitre, comme en 1958 où il refusa la prise des armes par les citoyens, tout comme il refusa toute ingérence étrangère. Le Bloc National n’est pas aussi structuré et organisé que les Phalangistes, et c’est pour cela à mon avis qu’il peut être facilement marginalisé. Il est profondément contre les militaires en politique, et c’est pour cela qu’il combat le chéhabisme jusqu’au bout, quitte à s’allier avec les leaders traditionnalistes121 .Quand la guerre éclate, plusieurs bureaux du BN sont visés par des engins explosifs, et le ‘Amid survit à plusieurs tentatives d’assassinat ; à l’Est comme à l’Ouest. Il comprend qu’un civil non combattant n’est pas le bienvenu au Liban s’il ne se soumet pas et décide de prendre la direction de l’exil. Il se réfugie à Paris et déclare qu’il ne reviendrait pas au Liban tant que les armes ne se sont pas tues et que les armées étrangères ne seraient pas sorties du Liban122 . Grand défenseur des principes républicains, notamment la souveraineté, il est en conflit avec toutes les milices et soutient le général Aoun dans ses luttes pour le rétablissement de l’ordre étatique. Il refuse de se rendre à Taëf en tant que député du moment où Hussein el Husseini lui expliqua que les clauses relatives à la Syrie étaient intouchables.

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