Les différentes représentations numériques définitions
Quantité et nombre analogique
Les premières capacités de quantification solliciteraient les représentations numériques nonverbales ou préverbales (Sarnecka et Carey, 2008). Considéré comme analogique (Dehaene, 1995), il s’agit d’un type de représentation primitif et universel codant le nombre de manière nonsymbolique et donc non-verbale. Ce code analogique est indépendant du langage et ne nécessite pas d’acquisition scolaire. Il s’agit de la représentation mentale des quantités, de la magnitude sous forme de grandeur analogique. La magnitude correspond à une grandeur variable qui peut s’exprimer à travers une représentation qualitative (longueurs, taille). Le modèle de l’accumulateur (Meck et Church, 1983), repris par Gelman et Gallistel (1992) permet de schématiser la représentation de la quantité chez les enfants sous forme de magnitude. L’idée est que face aux objets, la magnitude s’accroît à mesure que le nombre d’objets présent augmente. Mais ce modèle suppose une perception sérielle des quantités signifiant que face à une grande collection le temps de perception devrait être plus long que celui nécessaire pour une petite collection.
En réalité, ce n’est pas le cas, puisque pour comparer deux quantités suffisamment discriminables, le temps de réponse sont très rapides et ne suivent pas une fonction linéaire. En revanche, plus la taille de la collection augmente, moins la discrimination est précise et plus elle est floue. Toutefois, le modèle de l’accumulateur reste valide lorsque la perception des nombres est sérielle, comme cela peut être le cas au niveau auditif. Pour certains auteurs, comme Dehaene et Cohen, c’est au sein de ce code analogique qu’est contenue l’information sémantique des nombres, c’est-à-dire le « sens du nombre » (Dehaene, 1992 ; Dehaene et Cohen, 1995 ; 2000). Il s’agit d’intuitions numériques rapides, automatiques et inconscientes (Dehaene, 2009). Servant ainsi de base aux apprentissages mathématiques ultérieurs, le code analogique s’affine et se précise avec le temps et avec l’expérience. Par la suite, grâce à un mapping bidirectionnel, la correspondance entre la magnitude et les nombres symboliques se met en place. Cela permet d’associer les représentations symboliques avec leur signification. Certains auteurs défendent l’idée que la représentation numérique sous forme de grandeur s’active automatiquement suite à la présentation d’un nombre.
Ce phénomène a été montré dans des tâches numériques où son activation n’est pas nécessaire (Pavese et Umiltà, 1998) mais également dans des tâches non numériques comme la comparaison physique de deux nombres (Dehaene et Les différentes représentations numériques définitions 10 Akhavein, 1995). Nous reparlerons de ces aspects dans la quatrième partie qui s’intéresse plus spécifiquement au mapping et à l’activation de la représentation analogique. Classiquement dans la littérature, on décrit deux systèmes distincts de traitement de la quantité qui s’activent selon la grandeur de l’ensemble, ainsi qu’un système plus général activé quelle que soit la modalité de la magnitude.
Le « Système de Localisation d’Objets » ou subitizing
Le premier système de traitement, dépend du processus de subitizing. Le subitizing est un terme introduit en 1949 par Kaufman, Lord, Reese et Volkmann pour désigner le processus spécifique de quantification de petites quantités. Il s’agit de la capacité à quantifier immédiatement une petite quantité sans la dénombrer (Mandler et Shebo, 1982). Cette quantification est rapide (environ 600 ms pour un adulte) et quasiment sans erreurs.
Pour certains auteurs comme Gallistel (1988), le subitizing n’est pas important pour le développement des habiletés numériques tandis que d’autres le considèrent comme une base aux apprentissages (Schaeffer, Eggleston et Scott, 1974 ; Klahr et Wallace, 1976). L’habileté à subitizer est liée à l’existence d’un système préverbal général appelé « Système de Localisation d’Objets » ou « Object Tracking System » (OTS) (Mandler et Shebo, 1982 ; Spelke, 2008 ; Trick et Pylyshyn, 1994 ; Xu, Spelke et Goddard, 2005). Il enregistre les caractéristiques spatio-temporelles des objets jusqu’à trois ou quatre éléments et permet ainsi de les quantifier immédiatement. Toutefois, il ne s’agit pas d’estimation mais d’un phénomène de perception immédiate, ce qui rend sa compréhension et sa classification complexe. Sa mise en évidence expérimentale repose sur l’augmentation linéaire des temps de reconnaissance pour les quantités supérieures à 4 tandis que les temps de reconnaissance sont stables pour les quantités inférieures à 3 ou 4 objets. Ce phénomène est probablement lié à la fréquence de situations où ce petit nombre d’objets est rencontré, et aux différentes formes représentationnelles courantes qui existent (doigts, dés, objets de la vie quotidienne …). Le subitizing est parfois assimilé à l’autre système de traitement de la quantité – le système numérique approximatif – car les premiers nombres sont estimés avec précision. Toutefois, la précision de la discrimination de 1 à 3 objets dépasse celle observée selon la loi de Weber, il s’agirait alors plutôt d’une estimation précise (Revkin, Piazza, Izard, Cohen et Dehaene, 2008).