Le développement local
On entend par «développement la capacité d’un pays ou d’une région non seulement à répondre aux différents besoins du plus grand nombre de ses habitants, mais aussi à respecter et à valoriser ses possibilités présentes et futures» (Julien, 1997: 9). Un des éléments du développement est «la création d’un surplus et son accumulation [ . . . ] permettant non seulement de répondre aux besoins essentiels[ .. . ] mais d’investir afin d’améliorer la production de ces biens et ainsi de dégager du temps pour la communauté afin de satisfaire ses autres besoins » (Julien, 1997 : 9). Au cours des vingt dernières années, le gouvernement du Québec a mis à la disposition des régions de nombreux mécanismes et fonds de développement afin de soutenir le développement économique et l’entrepreneuriat. Lévesque et Mendell (1997) ont répertorié, en 1995, une liste de 254 fonds de développement local et régional en vigueur au Québec. Ces multitudes de mesures et de programmes ont pour effet de créer de la confusion tant chez ceux qui ont à les gérer que chez les promoteurs qui souhaitent s’en prévaloir. Devant la pléthore des mesures et programmes ainsi que le grand nombre de structures qui en découlent, le gouvernement doit rationaliser et resserrer ses interventions, et les milieux doivent partager ce souci de simplification des services à l’entrepreneuriat tout en étant partie prenante de l’effort gouvernemental en ce domaine. Le gouvernement doit soutenir cette transformation du développement en adaptant en conséquence l’organisation de ses services aux régions.
Quant aux intervenants locaux et régionaux, ils sont les mieux placés pour travailler à 1′ essor économique de leur milieu. Bernard Kayser (1990) utilise le terme« localisme »pour parler de régionalisme et de développement local. L’auteur soutien que le localisme s’exprime dans la mise en relation de ses propres stratégies1 avec celles de l’État. Nous retrouvons donc une articulation du local et de l’appareil étatique. Le développement local ne s’applique pas partout de la même manière. Il s’ agit plutôt d’une façon de penser le développement qui, en se centrant sur les individus, vise à recréer « la volonté et la capacité d’un milieu à produire son développement» (Vachon, 1995). En fait, il s’agit de «tout développement planifié issu du milieu local qui utilise des ressources et des initiatives locales dans le but d’améliorer les conditions de vie des résidents et d’atteindre des buts collectifs de la communauté » (Bryant, 1992 : 5). Joyal (2002 : 29) quant à lui, définit le développement local « en un lieu de la mise en action des initiatives individuelles ou collectives en fonction des ressources sur un territoire précis ». Ses actions qui sont réalisées au niveau local peuvent être modifiés selon l’intervention des différents acteurs qui cherchent à répondre à des exigences spécifiques. Le développement local « se présente sous forme territorialisée ». L’auteur parle « davantage de complémentarité locale/globale, comme de deux logiques appelées à s’interrelier » (loyal 2002 : 39).
De ce fait, « la quasi-totalité des actions de développement local concertées dans une perspective territoriale globale s’inscrivent dans un schéma de rencontre de 1′ exogène avec l’endogène » (Ka yser, 1990 : 217). L’exogène représente les procédures et les incitations mises en place par les structures supérieures de l’État, des organisations socioprofessionnelles et des organismes privés ou publics, qu’ils soient économiques, sociaux ou syndicaux. L’endogène caractérise le mouvement ascendant d’initiatives locales élaborées par les élus et les divers groupes concertés dans la dynamique sociale de développement. « Cette dynamique endogène doit nécessairement chercher la rencontre avec les forces exogènes : pour se faire reconnaître, pour faire admettre ses capacités, pour que sa crédibilité soit assise, et pour enfin obtenir les moyens indispensables, l’acteur collectif du développement local non seulement recourt aux pouvoirs publics ou à l’investissement privé, mais encore se glisse dans des structures institutionnelles». (Kayser, 1990 : 217)
La collaboration avec les forces exogènes n’est pas le seul élément de cohésion nécessaire pour assurer la bonne marche du développement local. Il doit également y avoir concertation et consensus à l’ intérieur des forces endogènes. La théorie du développement global de Vachon (1995) vise le développement local. Cette théorie, basée sur la concertation, peut être appliquée à une micro-région. Lorsque Vachon (1995) parle du développement local, il exprime la nécessité d’égalité entre les interlocuteurs. «La pratique du développement local [ . . . ] tend à associer le plus de partenaires possibles autour d’un projet de développement, dans une intervention simultanée et cohérente ». Vachon (1995) articule son discours autour d’un partenariat entre différents acteurs d’une communauté afin d’ avoir une cohésion et une concertation mobilisatrice. La concertation n’ est pas un simple exercice d’échange d’informations ou de débat. Elle implique l’alliance et l’échange de compétences et d’énergie en vue de l’avènement d’un but commun : le développement local. Elle crée une synergie parmi les collectivités et les acteurs qui ont décidé de collaborer au développement.
Schneider (1989: 25) définit la concertation comme étant « une démarche qui comprend l’ensemble des pratiques articulées d’un groupe d’ acteurs décisionnels et autonomes qui ont convenu d’harmoniser non seulement leurs orientations mais également leurs stratégies d’intervention et leurs actions concrètes au sein d’un secteur d’activité donné ». Depuis quelques années déjà, un consentement se dégage au sein de l’appareil étatique voulant qu’une part essentielle du développement local économique d’une région repose sur la concertation du milieu. Le développement économique d’une région passe par une plus grande responsabilisation des milieux locaux et régionaux. La situation exige, en outre, une plus grande participation de l’État avec les partenaires du marché du travail , à savoir les représentants patronaux et syndicaux auxquels se joignent maintenant ceux d’organismes de développement économique et communautaire. Proulx (2002: 103) souligne qu’ il «semble que l’État post-keynésien désire désormais se rapprocher des agents économiques tels que les entrepreneurs, les travailleurs, les investisseurs et les consommateurs». Ce partenariat devrait s’étendre à tous les niveaux, notamment à l’échelle locale, là où l’intervention peut le mieux concourir à l’adéquation d’un développement économique.
La gouvernance comme cadre conceptuel
La reconstitution des modes de gestion des gouvernements aboutit à une redéfinition des rapports de pouvoir entre l’État, la société civile et l’entreprise. Cette redéfinition des pouvoirs met en évidence les demandes des acteurs socio-économiques en faveur de modes décisionnels décentralisés. Cette requête des acteurs renvoie au concept de gouvernance locale qui sous-tend des pouvoirs partagés entre les acteurs sur un territoire défini. Le terme gouvernance est une notion polysémique, car celle-ci touche à un ensemble de domaines (sociologie, politique, histoire, économie, etc.) et de secteurs (les notions de territorialisation, de mondialisation, d’ administration, de gestion, d’urbanisation, etc.) (Allemand, 2000: 15-18). Avant de pouvoir valider les indicateurs et les conditions de la gouvernance dans le contexte de concertation et de l’action collective, plus spécifiquement sur l’ étude entre le pouvoir des institutions associées à l’action collective et sur les réseaux d’acteurs autonomes, il nous faut approfondir la connaissance de ce concept sur le plan théorique. La présente section cerne le concept de la gouvernance en vue d’ aider à en identifier la présence dans la pratique. Bob Jessop (1998 : 31) souligne que la notion de gouvernance « tirée de l’anglais governance est d’origine anglo-saxonne et étymologiquement, cette notion a de quoi séduire, car elle renvoie à l’idée de pilotage (des bateaux latin et grec ancien)».
Elle suggère ainsi l’action de guider ou de diriger dans un environnement incertain. Jessop (1998: 32-33) indique que le terme gouvernance« a été remis en usage sans doute à cause de la nécessité de distinguer entre gouvernance et gouvernement. Ainsi, gouvernance désignerait les modes de gouvernement et la manière de gouverner, et gouvernement, les institutions et agents chargés de gouverner». En termes de forme de coordination de gouvernance, Jessop (1998) en distingue trois: 1) la coordination par le marché, selon 1′ offre et la demande 2) la coordination impérative qui caractérise 1′ organisation hiérarchique des bureaucraties ou des entreprises et 3) la coordination de type « hétérarchique », c’est-à-dire autoorganisée. Lorsqu’on parle de coordination, Le Galès (1995) stipule qu’il ne s’agit plus d’un jeu à deux (le gouvernement: l’État et les collectivités), mais bien d’un jeu impliquant une pluralité d’acteurs aux compétences et aux statuts divers. À ce niveau, Bernier (2001) est du même avis que Le Galès (1995) lorsqu’il souligne que la gouvernance peut être définie comme: « une nouvelle forme de gouverne (processus de régulation dans une société) à laquelle participent des acteurs sociaux, politiques et administratifs; une nouvelle forme parce que l’État a perdu son rôle central, souvent moins par choix que par nécessité; aussi que l’État n’est qu’un acteur dans un réseau. Ce n’ est pas un acteur comme les autres mais il doit tenir compte des autres et une nouvelle façon de percevoir l’État en interaction avec son environnement, un système ouvert». (Bernier 2001 : 1)
En ce qui a trait aux formes de coordination, attardons-nous plus spécifiquement sur une des trois formes identifiées par Jessop (1998) à savoir: la coordination de type« hétérarchique ». Jessop (1998 : 36) indique trois types d’hétérarchie «selon les types de système d’ action qui sont mis en coordination» :
1) la constitution de réseaux interpersonnels,
2) l’ auto-organisation des relations interorganisationnelles et 3) le pilotage intersystémique.
La première forme de coordination est la plus simple selon Jessop (1998 : 38), elle implique des acteurs qui « mettent à profit leurs relations antérieures avec d’autres dans divers réseaux interpersonnels pour nouer un partenariat plus exclusif et plus ciblé». La deuxième forme est le cas où selon Jessop (1998: 38) «des organisations qui sont matériellement interdépendantes mais formellement autonomes et dont chacune a la maîtrise de ressources importantes se trouvent obligées de coordonner leurs actions pour s’assurer un résultat commun jugé mutuellement profitable». On retrouve une valeur ajoutée à cette forme de coordination selon Basting (1996) compte tenu du fait que les partenaires combinent leurs ressources au lieu d’agir seuls. La dernière forme de coordination est plutôt axée sur des missions et sur la coordination négative,« c’est-à-dire la prise en considération des répercussions défavorables possibles de ce qu’on l’on fait sur des tiers» (Jessop 1998 : 36). Carrier et Jean (2000 : 53) combinent les définitions de Jessop, Bagnasco et Le Galès pour définir la notion de gouvernance. Pour ces derniers, la gouvernance se définit « comme un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’ institutions pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés et incertains». Selon Stocker (1998 : 19), la gouvernance est évolutive car «les pouvoirs publics doivent apprendre à fonctionner selon de nouvelles règles qui remettent en question les anciennes conceptions hiérarchiques ». Dans cette forme évolutive de gouvernance, nous retrouvons des succès et des échecs. Or selon Stocker (1998 : 20) «le concept d’échec de la gouvernance est d’une importance décisive pour comprendre la nouvelle réalité du gouvernement». Afin de bien saisir cette évolution Stoker nous expose cinq propositions pour une théorie de la gouvernance. Mendell (2000), Le Galès (2000), Khosrokhavar (2001) et Paquet (2001) expliquent parfois de manière différente ou simplement renchérissent les cinq propositions de Stoker (1998).
REMERCIEMENTS |