Généralités sur les polymères organiques conducteurs
Durant plusieurs décennies, les polymères n’étaient connus que pour leurs propriétés isolantes. Ils étaient utilisés comme matériaux d’emballage. L’idée qu’ils puissent conduire l’électricité aurait été considérée comme absurde jusqu’à une découverte majeure dans les années 70. En dépit de la parution de plusieurs articles de l’équipe australienne de Weiss en 1963 sur la conductivité du polypyrrole de l’ordre de 1 S.cm-1 et sur les conséquences du dopage à l’iode, la découverte des polymères conducteurs est habituellement attribuée à Shirakawa, Mac Diarmid et Heeger récompensés par le prix Nobel en 2000 pour la découverte et le développement des polymères conducteurs . Tout a commencé par l’obtention accidentelle en 1967 du polyacétylène sous forme de film. Une concentration trop élevée en catalyseur Ziegler-Natta a donné un film au lieu d’une poudre noire. Mac Diarmid, Heeger et Shirakawa découvrent plus tard qu’il est possible de moduler la conductivité électronique de cet polyacétylène par dopage faisant passer le polymère de l’état d’isolant à l’état conducteur. Cette découverte a totalement bouleversé la conception que les chimistes avaient des polymères organiques. Dès lors, les chercheurs ont découvert de nombreux polymères conjugués stables présentant des conductivités électriques élevées.
Généralement, pour qu’un matériau soit conducteur, il doit posséder des électrons ou des trous capables de se déplacer librement générant ainsi un courant. Les polymères conducteurs sont des polymères conjugués dont la conductivité peut être modulée par dopage et peut varier selon les cas de celle d’un matériau isolant (<10-10 S.cm-1), à celle d’un semi-conducteur (~ 10-5 S.cm-1) jusqu’à celle d’un matériau conducteur (>104 S.cm-1) proche de celle du cuivre (5⋅105 S.cm-1). Les polymères conjugués ont une structure alternant des liaisons covalentes simples et des liaisons covalentes doubles (permettant la délocalisation des électrons π sur la totalité de la chaîne). La plupart du temps, les liaisons concernées sont des liaisons carbone-carbone mais il peut y avoir d’autres types de liaisons chimiques comme celles carbone-azote (par exemple, la polyaniline) ou encore carbone-soufre (par exemple, le polythiophène). Parfois, des doublets libres présents sur certains atomes (oxygène, soufre, azote) peuvent jouer un rôle dans la délocalisation des électrons ce qui est le cas, par exemple, pour le polypyrrole, le polythiophène ou encore la polyaniline.
Les différentes formes de polyaniline en fonction de son état d’oxydation
La polyaniline, existant sous différents états d’oxydation, peut être synthétisé par oxydation chimique ou électrochimique de l’aniline. Comme d’autres polymères organiques conducteurs, la polyaniline (PANI) a été largement étudiée en raison de sa bonne stabilité thermique, sa haute conductivité électrique et chimique surtout lorsqu’elle est dopée en milieu acide . On peut distinguer principalement trois différents types de PANI :
leucoéméraldine réduite (LEB) ( x = 0), éméraldine moitié oxydé (EB) ( x = 0,5), oxydé pernigraniline (PAB) (x = 1). Dans leur forme base, elles ont toutes une conductivité inférieure à 10-5 S.cm-1 . En revanche la forme dopée de l’éméraldine base, ou le sel d’éméraldine (vert) a une conductivité de l’ordre de 15 S.cm-1. Ces principales formes de polyaniline n’ont pas toutes la même stabilité. En effet, les formes totalement réduite (leucoéméraldine) et totalement oxydée (pernigraniline) sont instables dans l’air. La leucoéméraldine est un puissant agent réducteur qui réagit facilement avec l’oxygène de l’air pour donner l’éméraldine et la pernigraniline subit de son côté une dégradation hydrolytique via la scission de chaînes . La forme semi-oxydée (éméraldine) est stable dans l’air et peut être conservée sans altérations chimiques.
Les mécanismes de dopage de la polyaniline
Les polymères conjugués doivent être dopés pour favoriser l’apparition de porteurs de charge et donc devenir des polymères conducteurs. Il existe différents types de porteurs de charge dépendant de l’état fondamental dégénéré ou non du polymère. Ainsi, dans le cas d’un polymère dans l’état fondamental non dégénéré représentant la majorité des polymères conjugués, apparaissent les polarons ou bipolarons (à des taux de dopage plus importants) alors que pour un polymère dans l’état fondamental dégénéré (par exemple, le trans-polyacétylène, la polyaniline dans sa forme totalement oxydée), se forment des solitons.
Un polaron est un ion radical possédant une charge positive ou négative, c’est aussi un radical libre de spin égal à ½. Dans le cas de la polyaniline, la charge positive est localisée sur l’azote (- -). L’intérêt du dopage de la polyaniline est lié à l’apparition des polarons. En effet, ces cations-radicaux présentent une forte affinité vis-à-vis de l’ammoniac et l’absorption de l’ammoniac engendre un changement des propriétés optiques de la PANi. Ce comportement singulier de la PANi dopée favorise l’usage de la PANi comme couche sensible de capteur de gaz. Le dopage, généralement obtenu par des réactions d’oxydo-réductions ou acido-basiques, est réversible ; avec peu ou pas de dégradation de la structure du polymère. Le dopage consiste à introduire, par voie chimique ou électrochimique, des espèces accepteurs pour un dopage de type p réalisé par des oxydants ou donneurs d’électrons pour un dopage de type n réalisé par des réducteurs au voisinage des chaînes macromoléculaires conjuguées.
Ainsi, des charges électriques apparaissent sur les chaînes et la conductivité augmente fortement. Les espèces introduites lors du dopage, souvent appelées dopants ou contre ions.
Sulfonation de l’aniline
Les polyanilines sulfonés sont devenus des blocs de construction prometteurs dans la construction de biocapteurs .
Des polyanilines substituées directement sur leurs cycles aromatiques par des groupements acide tels que l’acide sulfonique ou l’acide phosphonique sont des polyanilines capables de s’auto-doper. L’ «auto- dopage» semble s’opérer immédiatement via la protonation des imines des cycles quinoïdes rendant ainsi le polymère conducteur.
Le mécanisme proposé s’apparente à celui du dopage de l’éméraldine base avec un acide fort tel que HCl. La conductivité du polymère auto-dopé est moins importante mais sa stabilité est améliorée par rapport aux polymères dopés non substitués. Ces caractéristiques très intéressantes des polyanilines sulfonés ont fait l’objet de plusieurs travaux.
C’est ainsi que, A Malinauskas et R. Holze ont deposé et caractérisé la N-méthylaniline et la N (3-sulfopropyl) aniline sur une électrode de platine par électro-oxydation de la solution aqueuse. Les polymères obtenus montrent une activité redox en milieu acide ainsi que des solutions légèrement acides. Dans la meme mouvance, Karyakin et al . ont synthétisés par électropolymérisation des copolymères à d’aniline et d’acide métabenzènesulfonique comme monomère, le polymére obtenu présente d’importantes des propriétés redox. Kim et al ont synthétisé le poly (acide 4-aniline-1- butanesulfonique ) en l’absence de dopant, le polymére auto-dopé obtenu, présente une plus grande stabilité au cours des cycles d’oxydo-réduction.
Avec ces types de composés à base d’aniline, ayant des groupements sulfoniques sur leurs squelettes, la solubilité des polyanilines a pu etre améliorer dans l’eau . Ainsi, les travaux de Shimizu et al. sur les polyanilines sulfonées ont conduit à des polyméres solubles dans l’eau.
Les différentes méthodes de synthèse de la polyaniline
La polyaniline est synthétisée par oxydation du monomère . Dans la majorité des cas, l’oxydation se fait par voie chimique ou électrochimique
La synthèse par voie chimique
La polymérisation chimique est la principale méthode commerciale de production des polyanilines. Elle nécessite la mise un contact direct du monomère anilineen solution, avec un oxydant dans un milieu organique ou aqueux acidifié. Généralement cette synthèse est éffectuée entre 0 et 2°C à un pH inférieur à 2 dans une solution aqueuse d’acide chlorhydrique (HCl) 1 mol.L-1, avec un rapport molaire oxydant/monomère inférieur ou égal à 1,15 et à un temps de polymérisation d’une à deux heures. Cette voie de synthèse conduit à la formation de poudre de polymères à l’état oxydé avec des quantités très appréciables.
L’influence des conditions expérimentales sur les propriétés de la polyaniline obtenue , a été étudiée selon différents paramètres :
La température de polymérisation : A température ambiante , la polyaniline a une masse molaire faible et comporte de nombreux défauts structuraux dus par exemple à des couplages en ortho entraînant une polyaniline branchée.
Entre 0 et 5°C (domaine de températures largement utilisé), la polyaniline obtenue (éméraldine base) a une masse molaire comprise entre 30 000 et 60 000 g.mol-1 (mesurée par chromatographie d’exclusion stérique, SEC). A basse température (< -30°C) , température atteinte par addition de sels tels que LiCl et CaF2, la masse molaire de la polyaniline est élevée (> 400 000 g.mol-1) avec une polymolécularité importante supérieure à 2,5.
La nature de l’acide : Les acides les plus utilisés sont l’acide chlorhydrique (HCl) et l’acide sulfurique (H2SO4). Ce milieu acide favorise la solubilisation du monomère dans l’eau et limite les réactions secondaires de ce composé . La nature de l’acide a une influence sur le temps de polymérisation , la morphologie , les propriétés physicochimiques et la masse molaire obtenue .
La nature de l’oxydant : Une grande variété d’oxydants comme le persulfate d’ammonium ((NH4)S2O8), l’iodate de potassium (KIO3), le permanganate de potassium (KMnO4), le chromate de potassium (K2CrO4), le bromate de potassium (KBrO3), le trioxochlorate de potassium (KClO3), le trichlorure de fer (FeCl3) ont été utilisés avec succès dans la polymérisation de l’aniline. Toutefois, l’utilisation du FeCl3 permet de travailler dans des conditions expérimentales un peu différentes avec une température de polymérisation plus élevée (35°C), dans un solvant polaire, tel que le méthanol pouvant remplacer l’eau. La nature du solvant : La vitesse de polymérisation peut être ralentie par l’addition d’acétone, de tétrahydrofurane (THF) ou d’éthanol (0,2-0,6(v/v)), mais les masses molaires obtenues sont plus faibles.
La synthèse par voie électrochimique
L’électropolymérisation de l’aniline a été réalisée avec succès au début des années soixante. Les méthodes électrochimiques généralement employées pour la polymérisation de l’aniline et des polyméres conducteurs en général sont :
La méthode de courant constant ou galvanostatique, La méthode de potentiel constant ou potentiostatique, La méthode potentiodynamique où le courant et le potentiel varient dans le temps encore appélée voltammétrie cyclique.
Cette synthèse électrochimique est effectuée en milieu acidifié dans des solvants aqueux ou organiques . Elle peut se faire aussi en milieu micellaire directe ou inverse et conduit le plus souvent au dépôt d’un film de polymère sur l’électrode de travail.
Les cellules électrochimiques tricols sont généralement utilisées avec trois électrodes plongées dans cette cellule contenant la solution électrolytique :
une électrode de travail sur laquelle le polymère est déposé, Une électrode de référence pour contrôler le potentiel de l’électrode de travail Une contre-électrode appelée aussi électrode auxiliaire qui permet le passage du courant.
L’influence de plusieurs paramètres sur les propriétés du produit obtenu a été étudiée dans le cas de la polymérisation électrochimique de l’aniline. Parmi celles-ci on peut noter surtout la nature de l’électrode de travail. Une large gamme de matériaux peut être utilisé comme électrode de travail : des plaques en platine, en or, en fer, en carbone vitreux, en carbone vitreux réticulé ou en verre couverte d’une couche d’oxyde d’indium dopé à l’étain (ITO).
Les réactions d’électropolymérisation de l’aniline se font généralement en milieux aqueux en présence d’acide fort. Cependant il existe des exemples de synthèse dans des solvants organiques, comme par exemple l’acétonitrile . Dans tous les cas, les polymères obtenus ont une faible conductivité.
Table des matières
Introduction générale
Références bibliographiques
Chapitre I : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
Introduction
I-1-La polyaniline : un polymere conducteur organique
I-1-1- Généralités sur les polymeres organiques conducteurs
I-1-2- Les différentes formes de polyaniline en fonction de son état d’oxydation
I-1-3- Le mécanisme de la polymérisation de l’aniline
I-1-4- Les mécanismes de dopage de la polyaniline
I-1-5- Sulfonation de l’aniline
I-2- Les différentes méthodes de synthèse de la polyaniline
I-2-1- La synthèse par voie chimique
I-2-2 – La synthèse par voie électrochimique
a) Voltammétrie cyclique
b) Courant imposé
c) Potentiel imposé
I-3- Etude des méthodes de caractérisation
I-3-1- La caractérisation électrochimique
I-3-2- Caractérisation spectroscopique des polymères conducteurs
– Spectroscopie UV-visible
– Spectroscopie infra rouge
– Spectroscopie de Fluorescence
– Spectrométrie de masse MALDI –TOF
– Spectroscopie de photoélectron X (XPS)
I-4 – Applications aux Polymères Conducteurs Organiques
Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre II : Synthèse électrochimique du poly (acide 4-aminobenzenesulfonique) en milieu organique mixte. Application au traitement des eaux usées contenant le plomb Pb2+
Introduction
II-1-Partie expérimentale
II-1-1- Produits et matériels
II-1-2-Montage expérimental
a) Mesures électrochimiques
b) Mesures Spectroscopiques
II-2-Résultats et discussions
II-2-1- Etude de l’oxydation du monomère
II-2-2- Etude de l’electropolymérisation en milieu organique mixte optimisé
a) Voltammétrie cyclique
b) Chronoampérométrie
c) Chronopotentiométrie
II-3-Etude des caractéristiques du polymère
II-3-1- Etude des caractéristiques électrochimiques du polymère
a) Electrostabilité
b) Electroactivité
II-3-2- Etude des caractéristiques spectroscopiques
a) Spectroscopie IR- TF
b) Spectroscopie d’absorption UV-Visible
c) Spectroscopie de fluorescence
II- 4 – Applications des polymères conducteurs organiques aux traitements des eaux usées contenant le Plomb Pb2+
Conclusion
Références bibliographiques
Conclusion Générale