Les différentes familles de cristaux pour la génération d’impulsions femtosecondes
De plus en plus d’applications industrielles sollicitent des lasers à impulsions ultra-brèves compacts, efficaces, fiables, énergétiques (fortes puissances crêtes et fortes puissances moyennes) et demandant une faible maintenance. Mais à quoi servent les lasers à impulsions ultra-brèves ? Les applications ne s’arrêtent pas qu’au domaine de l’industrie avec le micro- usinage mais s’étend également à la médecine avec la découpe de cornée dans la chirurgie oculaire et à la physique fondamentale avec des sources secondaires pour la génération d’impulsions attosecondes par exemple. L’enjeu actuel est focalisé en conséquence sur des sources laser à impulsions ultra-brèves mais surtout de fortes puissances moyennes synonyme aussi de hautes cadences et fortes énergies. Les lasers à impulsions ultra-brèves commerciaux actuels ne répondent pas intégralement aux souhaits des demandes industrielles. Le laser à impulsions ultra-brèves le plus connu et le plus largement répandu est le laser à base d’un cristal de saphir dopé au titane (Ti3+:Al2O3), couramment nommé le « Ti:saphir », découvert par Moulton [Moulton 86] en 1986. Ce cristal aux propriétés intrinsèques exceptionnelles a ouvert l’ère technologique des lasers impulsionnels. En effet, ce cristal de Ti:saphir présente un spectre d’émission extrêmement large allant de 680 nm à 1100 nm, propriété fondamentale pour la génération d’impulsions ultra-brèves. Grâce à cette bande d’émission, des impulsions de 4,8 femtosecondes (fs) ont déjà été démontrées et restent à ce jour les impulsions les plus courtes jamais obtenues issu d’un oscillateur pompé optiquement.
De plus, ce cristal présente une excellente conductivité thermique κc = 34 W.m-1.K-1, lui ouvrant la possibilité de supporter de forts pompages optiques sans risque de fracture. Ses propriétés intrinsèques font de lui un cristal très omniprésent dans la génération d’impulsions femtosecondes de puissance. Cependant la bande d’absorption de ce cristal constitue le facteur limitant concernant la puissance que peut délivrer ce genre de laser impulsionnel. En effet, le spectre d’absorption de ce cristal se situe dans les longueurs d’onde vertes. Or seuls quelques systèmes de pompage existent dans une telle région de longueurs d’onde tels que le laser à Argon ou le Nd :YAG (et ses dérivés comme le Nd :YLF et le Nd :YVO4) doublé en fréquence. Ces systèmes de pompage se révèlent être peu efficaces, imposants et particulièrement complexes. Il s’avère en conséquent extrêmement difficile de produire des puissances de pompe élevées pour les lasers à base de Ti :saphir. En résumé malgré ses propriétés intrinsèques hors du commun, le cristal de « Ti :saphir » n’est absolument pas le meilleur candidat pour la génération d’impulsions femtosecondes avec de fortes puissances moyennes, car même si les propriétés du Ti :saphir sont très bonnes, les problèmes pour obtenir de fortes puissances moyennes sont rejetés sur les systèmes de pompe émettant dans le vert. C’est la raison pour laquelle la recherche de nouvelles sources laser femtosecondes s’est naturellement orientée vers d’autres systèmes de pompage : en particulier le pompage direct par diode laser [Keyes 64].
Le pompage direct par diode laser présente de nombreux avantages. Les diodes laser ont non seulement des fortes efficacités allant jusqu’à des rendements électriques-optiques de l’ordre de 80 % et des fiabilités supérieures à 10000 heures. Mais elles sont également beaucoup plus compactes et délivrent des puissances allant du watt à la dizaine de kilowatts. Deux types de diodes laser ont été largement développés et ont une technologie pleinement maîtrisée: d’une part les diodes laser à base de semiconducteur InGaAsP/InGaAs ayant une longueur d’émission comprise entre 900 nm et 1 µm grâce aux télécommunications pour le pompage des fibres amplificatrices dopées en ions erbium et ytterbium et d’autre part les diodes laser à base de semiconducteur GaAlAs/GaAs ayant une longueur d’onde d’émission aux alentours de 800 nm pour le pompage de l’ion néodyme. Parmi tous les ions dopants qui s’ouvrent à nous, le néodyme Nd3+ et l’ytterbium Yb3+ sont sans nul doute les plus efficaces. Tout d’abord l’ion néodyme se présente avec un spectre d’absorption autour de 800 nm et l’ion ytterbium présente un spectre d’absorption autour de 900 nm – 980 nm. Quel ion dopant est le plus adapté pour la génération d’impulsions femtosecondes de puissance ? Pour pouvoir répondre à cette question, il faut s’intéresser davantage à la spectroscopie de ces deux ions dopants. Ces ions dopants ont des spectroscopies très différentes malgré des longueurs d’onde d’émission laser proches (Figure 1.1). En effet pour des émissions laser autour de 1 µm, l’ion ytterbium est comparable à une transition laser quasi-trois niveaux tandis que l’ion néodyme a une transition laser 4 niveaux. La simple structure électronique de l’ion ytterbium exclut l’existence de certains phénomènes parasites tels que les désexcitations d’Auger, les relaxations croisées ou l’absorption dans les états excités. Ces phénomènes parasites, détaillés durant l’étude thermique du chapitre 2, entrainent une baisse de l’efficacité laser. En effet, ces effets délétères réduisent la population du niveau excité de manière significative, donc provoquent une altération du gain laser. De plus, ces effets non-radiatifs sont en partie responsables également d’un échauffement du matériau hôte du dopant pouvant même entraîner une fracture de ce dernier [Fan 93].