Élargir ses possibilités de communication dans le monde
Nous pouvons distinguer une deuxième conception de l’avantage du bilinguisme parmi les résultats des entretiens. Il nous semble alors qu’une autre moitié de jeunes interviewés valorise plutôt l’élargissement de leurs possibilités de communication et de rencontre, ainsi que de compréhension des autres et du monde par les langues. En plus de la capacité à entrer en relation avec d’autres personnes, une fois sur deux cette représentation associe aux langues la liberté de mouvement, comme le synthétise ce répondant: «plus tu en sais [des langues], plus tu peux te déplacer, puis communiquer, puis échanger ». Si pour ces jeunes le fait de pouvoir s’exprimer en français et en anglais est également un atout qui fait référence au bilinguisme officiel du Canada: «ça a été un avantage, le fait d’en parler deux [ … ] surtout que c’est les deux langues officielles du Canada, alors c’était pas mal garanti que j’allais pouvoir me faire comprendre dans une langue ou dans l’autre partout », ce n’est toutefois pas tant par rapport à l’emploi sur le marché du travail, mais plutôt en regard de la possibilité de se déplacer et d’établir le contact avec autrui d’un bout à l’autre du pays dans n’importe quelle des deux langues: « je dirais que c’est un avantage d’être bilingue, surtout au Canada, tu peux aller n’importe où, puis tu peux rencontrer n’importe qui, puis tu comprends tout ce qui se passe ». il y a déjà là un important élément de réponse qui permettra d’ alimenter nos questionnements de recherche au seuil de ce chapitre. Sans représenter un préalable obligatoire aux déplacements, le bilinguisme les facilite certainement au Canada, mais pour cette répondante il se justifie et prend son sens au fond dans l’importance qu’elle accorde à l’apprentissage de la langue de l’endroit où l’on va séjourner ou habiter: Moi, je pense que c’est un avantage de parler deux langues pour se déplacer. [ … ] si j’avais parlé juste français, je suis du type que j’aurais été quand même voyager pour apprendre l’anglais [ … ] j’aurais quand même été au Yukon, puis j’aurais appris l’anglais. Par exemple, si j’avais été en Italie, j’aurais appris l’italien. Ouais, c’ est important d’apprendre la langue de la place.
La connmssance de deux langues est également présentée comme facilitant l’apprentissage notamment d’autres langues, parfois dans la repnse d’un discours scientifique sur le bilinguisme: «les scientifiques, les chercheurs ont réalisé que les gens qui étaient bilingues, d’entrée de jeu, avaient plus de facilité à apprendre une autre langue, avaient plus de facilité en maths aussi ». Ce serait particulièrement le cas pour la compréhension et l’acquisition de certaines langues «très proches» du français ou de l’anglais, ce qui élargit les possibilités de communication de ces jeunes également à l’international: Je peux parler à plus de monde. Ça m’aide à comprendre d’autres langues. Par exemple, si je vais au Mexique ou à Cuba, ils parlent espagnol. Juste le fait de comprendre le français, de pouvoir parler français. [ … ] c’est vraiment semblable à l’espagnol, je peux me débrouiller. Ainsi, il nous semble que ce sont en fait les langues vues comme moyen de communication et d’ ouvelture sur le monde qui sont ainsi valorisées dans le bilinguisme par ces jeunes participants. Une autre répondante renchérit en parlant de son admiration pour le multilinguisme qui, en plus d’être utile, serait à ses yeux la clé vers la compréhension et la solidarité entre les cultures: … n’impOlte quelle opportunité que tu peux parler plus qu’une langue, c’est mieux. Donc pour moi c’est un avantage. [ … ] Je vois en Europe des gens parler trois ou quatre langues et j’admire ça et c’est tellement beau. Dans mes voyages, c’était important pour moi d’apprendre les langues parce que j’ai beaucoup étudié le japonais alors, les langues sont très importantes pour moi. Pas seulement le français. Mais de développer les langues, ça ouvre des portes, ça ouvre un peu plus de compassion envers les autres, ça ouvre un peu plus la compréhension de différentes cultures. Si on peut apprendre plusieurs langues, ça mène à se joindre plus ensemble.
L’identité francophone
Notre troisième question de recherche s’interroge à savoir si l’identité linguistique et le statut minoritaire des jeunes participants influencent leurs migrations, particulièrement au Yukon. Avant de pouvoir apporter des éléments de réponses à ce questionnement, il nous est nécessaire d’examiner nos résultats sous l’angle des significations que revêtent d’abord l’identité francophone pour les jeunes et ensuite le statut de minorité linguistique. Comme le critère linguistique subjectif de sélection des répondants à notre recherche implique que les jeunes participants se considèrent comme francophones, on s’attend à ce qu’ils partagent tous une certaine identité linguistique francophone. En effet, la quasitotalité (22) se dit francophone, mais bien souvent en appOltant du même souffle des nuances importantes. Parmi les deux jeunes répondants qui ne s’identifient pas comme francophones, un se considère après réflexion plutôt anglophone « à cause de mon accent » alors que l’autre se dit « citoyen du monde ». Le premier a grandi au Yukon au sein d’une famille exogame et a été scolatisé smtout dans des écoles de langue anglaise, mais pas exclusivement. Il vit d’ailleurs depuis quelques années en milieu unilingue francophone où il fait des études universitaires supérieures en français lors de l’enquête: Je crois que pour me considérer francophone il va falloir passer inaperçu dans un endroit francophone et c’est pas le cas pour moi. [ .. . ] Passer inaperçu dans un endroit où les gens sont francophones, où il y a des gens qui ne parlent que français. Du fait que je peux habiter dans un endroit francophone et j’aurais pas de difficulté à faire toutes les démarches que fait un Français en français, sans grands problèmes. Les conversations et tout ça, mais j’ai toujours un peu de recul par rapport aux autres Français. Je prends un peu plus longtemps à comprendre, un peu plus longtemps à m’exprimer, je ne comprends pas toutes les blagues et on me dit presque toujours que je ne suis pas né en France à cause de mon accent. [ … ] mon accent anglophone [ … ] J’ai [du] mal à apprendre les accents. C’est quelque chose d’un peu frustrant pour moi parce que quand je voudrais m’intégrer dans une autre culture j’arrive pas à dissimuler mes origines. [ … ] C’est pour ça que je ne me considère pas trop francophone.
On remarquera la subtile force de l’exigence de conformité aux autres – tant subjective que d’autrui – qu’engendre une identité basée sur la langue pour ce jeune adulte. Nous y reviendrons. L’autre répondant, celui qui se considère « citoyen du monde » , n’accepte pas la catégorisation francophone justement par aversion pour les catégories identitaires, qu’elles soient professionnelles, nationales ou linguistiques . .. . franchement, moi, j’ai horreur des boîtes. Quand on me dit: tu es mécanicien? Je dis: non, je fais de la mécanique. Je ne suis pas francophone, je parle français. Et c’est une tendance que notre société de l’ouest [occidentale] a beaucoup, on adore les boîtes: tu es Français, tu es ça … Moi, non: tu es toi, et après, tu fais des choses. Donc non, je ne suis pas francophone. Il faudra considérer ce discours, mais pour le moment toumons-nous vers ceux et celles qui se disent volontiers francophones pour remarquer qu’ils y accolent des significations très variées que l’analyse a permis de regrouper en six thèmes principaux. Afin de décrire ce que signifie «se considérer francophone », les jeunes interrogés font surtout appel à leurs appartenances francophones (Il), à leur milieu familial et de prime socialisation (11), à leur fierté et leur attachement pour le français (10), à leurs origines et leur filiation (10), à l’acquisition et l’usage quotidien de la langue (9) et aux cultures d’expression française (8). Dans une moindre mesure, quelques-uns évoquent des fondements utilitaires (3) basés sur un bilinguisme ou un multilinguisme instrumental. Si plusieurs de ces thèmes se combinent chez chacun des répondants, l’analyse ne permet pas encore de dégager des figures typiques générales pour autant, sauf peut-être pour les appattenances. Dans les faits, les jeunes font la plupart du temps appel à deux ou trois repères dans la même réponse. Leur approfondissement thématique s’impose donc pour l’instant, en dépit des redondances que cela implique.
Les appartenances francophones
Les diverses appmtenances francophones semblent un élément définitoire de l’identité linguistique pour la moitié des répondants (11). Et c’est souvent à l’aide de leurs appaltenances qu’ils précisent la signification de cette identité générique après avoir acquiescé à se désigner – ou à se faire désigner – comme francophones. Ces jeunes se disent ainsi, francophones , français ou française au sens de francophone (5), Canadien français, Canadienne française ou Franco-Canadienne (4), ou encore Acadien et Acadienne (2). Ces deux dernières appartenances francophones sont traitées plus spécifiquement lorsque l’on considère les représentations de l’identité culturelle des jeunes dans le chapitre qui suit. Pour l’instant, une première analyse peut dégager à l’aide des axes retenus (Martuccelli, 2002) les modalités de ces appartenances qui tendent vers une identité linguistique essentialiste (6) ou au contraire, vers une identification constructiviste (4). Et en même temps, mais sur un autre plan, on peut faire une distinction entre une identité francophone s’éprouvant en un centre unique (5) ou à l’inverse une identité plurielle s’articulant en de multiples facettes coexistantes (5). Ainsi, quand les appartenances francophones paraissent plus naturelles que culturelles, celtains jeunes disent se sentir intrinsèquement francophones: «je me sens vraiment. .. je suis français. » et ressentir une identité essentialiste qui tend vers un centre unique. L’une d’entre eux a cette formule éloquente: «je parle en français, je rêve en françai s, jefeel français» bien qu’elle soit complètement isolée en milieu minoritaire. À la limite, un répondant évoque une «personnalité» francophone particulière en comparaison à celle de l’Autre: « Ça veut juste dire plus expressif, plus émotionnel, plus … les personnes ça se touche plus. C’est différent d’être anglophone ». li s’identifie avec les mots de la majorité: « en anglais, je dis: l’m French », et se définit comme «français. Parce qu’ils sont plus expressifs et émotionnels au niveau de la personnalité ».
REMERCIEMENTS |